Mieux on cerne l’effet réel de la loi 101 en matière d’assimilation linguistique, plus c’est évident. Avec le projet de loi 96, le français n’est pas sorti du bois.
Dans le mémoire Un projet de loi à reprendre que j’ai présenté fin septembre à la commission parlementaire sur le projet de loi 96, j’ai démontré que la majeure partie de la hausse depuis 1971 de la part du français dans l’assimilation des allophones n’a rien à voir avec la loi 101 comme telle. Il s’agit plutôt de l’effet de deux facteurs extrinsèques à la loi, soit l’immigration continue d’allophones majoritairement francotropes et les modifications apportées au questionnaire de recensement en 1991 et 2001.
J’ai souligné également à la commission que la loi 101 avait au mieux freiné durant la décennie 1991-2001 la hausse de l’anglicisation nette des Québécois francophones qui était en marche depuis 1971, mais que cette tendance avait repris de plus belle depuis 2001. Si bien que le rattrapage du français vis-à-vis de l’anglais quant au profit global que les deux langues tirent du phénomène d’assimilation est aujourd’hui en panne.
Je viens d’estimer de combien la loi 101 a réellement contribué à ce rattrapage global du français en matière d’assimilation. Le résultat révèle comme nul autre à quel point le projet de loi 96 est insuffisant.
À première vue, les données de recensement portent à croire que la part du français dans le profit global que réalisent le français et l’anglais par voie d’assimilation serait passée de 4 % en 1971 à 33 % en 1991, 43 % en 2001 et 50 % en 2016 (voir mon récent livre Le français en chute libre. La nouvelle dynamique des langues au Québec, tableaux 1 à 3). Cela représenterait une hausse de 29 points de pourcentage entre 1971 et 1991, de 10 points entre 1991 et 2001 et de 7 points entre 2001 et 2016. Au total, donc, une hausse de 46 points de pourcentage en 45 ans.
Or, 2 des 10 points de hausse observés entre 1991 et 2001 résultent de modifications apportées au questionnaire de 2001. Jusqu’au recensement de 1996 inclusivement, le substantif « anglais » précédait « français » dans toutes les questions sur la langue aussi bien que dans leurs aires de réponse. À partir de 2001, Statistique Canada a inversé cette priorité dans la version française du questionnaire. Cela a eu pour effet de gonfler artificiellement de 2 points la part du français dans l’assimilation des allophones et de 2 points, aussi, la part du français dans le profit global réalisé par voie d’assimilation. La hausse réelle de la part du français dans ce profit global entre 1991 et 2001 se chiffre donc à 8 points, et non à 10.
Cette hausse artificielle de 2 points illustre comment des modifications même relativement mineures de l’instrument d’observation peuvent influer de manière significative sur les résultats observés. Le chambardement majeur du questionnaire en 1991, que j’ai analysé à fond dans mon étude Les indices généraux de vitalité des langues au Québec : comparabilité et tendances 1971-2001 (Office québécois de la langue française, 2005), a donné lieu à une hausse artificielle d’une tout autre ampleur.
De 4 % en 1971, la part du français dans le profit global qui provient de l’assimilation s’est entièrement effacée aux deux recensements suivants. Le français essuyait en effet un déficit global en matière d’assimilation de 1 100 locuteurs en 1981 et de 9 400 en 1986 (voir Le français en chute libre, tableau 1). Mais en réduisant subitement l’anglicisation des francophones – auparavant croissante – à presque zéro et en faisant bondir la part du français dans l’assimilation des allophones, le nouveau questionnaire introduit en 1991 a fabriqué, pour ainsi dire du jour au lendemain, un étonnant profit global pour le français de 66 100 locuteurs, ce qui représente une part de 33 % dans l’ensemble du profit global de 201 700 locuteurs que le français et l’anglais tiraient alors de l’assimilation (ibid., p.37-38).
Si la part du français dans le profit global avait été de 0 % en 1986, sa part de 33 % en 1991 représenterait une hausse tout à fait invraisemblable de 33 points en 5 ans. À la lumière de la hausse réelle subséquente de cette part, soit de seulement 8 points durant la décennie 1991-2001 (voir ci-dessus), il serait logique d’estimer que la partie réelle de la hausse observée entre 1986 et 1991 n’était que de 4 points. Tout le reste, soit 29 points, serait artificiel, c’est-à-dire engendré par le nouveau questionnaire.
Cependant, la part du français dans le profit global en 1986 n’était pas de 0 %. En 1981 comme en 1986, le français accusait au contraire un déficit global en matière d’assimilation. On peut donc juger quelque peu conservatrice l’évaluation ci-dessus de l’aspect artificiel de la hausse en question.
Au total, au moins 31 des 46 points de hausse entre 1971 et 2016 de la part du français dans le profit global réalisé par voie d’assimilation seraient ainsi entièrement fictifs : au moins 29 découleraient des modifications apportées au questionnaire en 1991 et 2, de celles apportées en 2001. De la hausse réelle de 15 points qui reste, la plus grande partie, disons 8 points au minimum, serait par surcroît attribuable au facteur francotrope. Ce qui laisse tout au plus une hausse de 7 points comme étant proprement attribuable à ce qui reste de la loi 101.
Pour mettre fin à l’affaiblissement du rapport de force entre le français et l’anglais par voie d’assimilation, c’est-à-dire pour mettre fin à l’anglicisation du Québec, il faut que 90 % du profit global que le français et l’anglais tirent de l’assimilation revienne au français et 10 %, à l’anglais. Selon le questionnaire utilisé en 2016, la part du français dans ce profit global serait présentement de l’ordre de 50 %. Il resterait donc à hausser cette part de 40 points.
Or, le projet de loi 96 n’a même pas l’envergure de ce qui reste de la loi 101, qui contraint encore les nouveaux arrivants et les francophones de souche à inscrire leurs enfants à l’école française. Et depuis 1971, ce restant de la loi 101 n’a, en réalité, fait progresser la part du français dans le profit global réalisé par voie d’assimilation que de 7 points, tout au plus.
Pour faire comprendre à François Legault qu’il doit aller bien plus loin, faudrait-il déménager l’Assemblée nationale de Québec à Montréal ?
Tiens. Ce ne serait pas une mauvaise idée.
Publicité : Livres d'André Binette et de Jean-Claude Germain https://lautjournal.info/
Du même auteur
2024/10/04 | L’arnaque du français langue secondaire |
2024/09/06 | Comment saboter le suivi de l’assimilation |
2024/06/12 | La francophonie repensée de Jean-Pierre Corbeil |
2024/05/10 | Français : Tous les indicateurs sont au rouge |
2024/04/10 | Le bilinguisme territorial, un crime contre l’humanité ? |