Les droits autochtones en Ontario

2021/11/24 | Par André Binette

L’auteur est constitutionnaliste
 

Le partage des revenus découlant de l’exploitation des ressources naturelles est de plus en plus la question incontournable qui occupe l’attention des tribunaux canadiens en droit autochtone. Un jugement majeur de la Cour d’appel de l’Ontario rendu le 5 novembre dernier dans l’affaire Restoule vient de le souligner. Ce jugement annonce une nouvelle jurisprudence qui deviendra applicable au Québec également dans les prochaines années.
 

Un partage des revenus

La décision unanime de cinq juges de la Cour d’appel, malgré quelques différences dans leurs raisonnements, confirme le jugement de la Cour supérieure. Elle constitue une victoire historique pour la nation des Anishinaabe (prononcez Anishnabés) établis dans le nord de l’Ontario depuis plusieurs milliers d’années. D‘autres membres de cette nation vivent aussi en Outaouais et en Abitibi-Témiscamingue au Québec.

Cette nation, traditionnellement connue sous le nom d’Algonquins, est de la famille culturelle algonquienne, qui comprend aussi les Cris, les Attikameks et les Innus. Elle s’étend du Québec à l’Ouest canadien. Ses membres du Québec et du sud-est de l’Ontario (dans la région du parc Algonquin) sont de part et d’autre en négociation avec le gouvernement canadien en vue de traités modernes et ils voudront sans doute s’inspirer de ce jugement.

Le jugement impose un partage des revenus entre le gouvernement de l’Ontario et la nation autochtone découlant du développement des ressources naturelles depuis 1850 dans le nord de l’Ontario, dans une zone grande comme la France située au nord-est du lac Huron et au nord du lac Supérieur. Le montant de la compensation ordonnée n’a pas été fixé à ce stade pour laisser la négociation entre les parties se dérouler. Il devrait s’élever à plusieurs milliards de dollars. Si le gouvernement du Québec ne cesse pas de jouer à l’autruche, il sera confronté à des jugements semblables dans un proche avenir.
 

Cession des droits ancestraux

La particularité de l’Ontario et des trois provinces des Prairies est que leurs territoires ont été entièrement cédés par des traités dits historiques qui ont été conclus dans une période allant de la fin du 18e siècle, peu après la Conquête, jusqu’au début du 20e. Ces traités constituent selon la Cour suprême le fondement de la légalité de l’État canadien dans ces provinces. L’expression terres non cédées, dont on a beaucoup parlé au Québec récemment, signifie une terre sans traité.

Tous les traités, anciens ou modernes, qui ont été signés au Canada contiennent en premier lieu une clause de cession des droits ancestraux en échange des avantages et des droits obtenus dans le traité. L’article 2.1 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975, le premier traité moderne au Canada et le seul à avoir été signé par une province, contient une telle renonciation aux droits ancestraux de la part des Cris et des Inuit du Québec.

Cette exigence historique et constante de cession des droits ancestraux a été jugée non conforme au droit international par l’Instance des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le gouvernement Trudeau a annoncé son intention de mettre fin à cette pratique, sans résultat jusqu’ici. Plusieurs nations autochtones, dont les Algonquins et les Innus du Québec, ont refusé de signer des traités dans le passé qui contenaient une telle clause. Exiger la cession des droits ancestraux est une expression du colonialisme. C’est l’équivalent de demander à la nation québécoise de renoncer à son droit à l’autodétermination en échange de droits constitutionnels limités.

La Cour suprême a jusqu’ici refusé de remettre les traités historiques en question même s’ils étaient massivement frauduleux et inéquitables. Dans le Code civil du Québec, une transaction immobilière peut être annulée si les parties ont des ressources disproportionnées, et si l’une a abusé de sa situation dominante de manière telle que la partie lésée n’a pu donner un consentement libre et éclairé. Il en est ainsi dans la plupart des systèmes juridiques occidentaux. La grande exception est la série de traités historiques qui ont fondé le Canada.
 

La Proclamation royale de 1763

La nécessité d’obtenir en droit canadien l’abandon des droits ancestraux pour que l’État puisse occuper légalement un territoire autochtone découle de la Proclamation royale de 1763, le premier acte juridique du gouvernement britannique immédiatement après le Traité de Paris de la même année, qui a ratifié la Conquête de 1760. La Proclamation royale avait été rendue nécessaire pour apaiser une révolte des nations autochtones alliées des Français, au Michigan et en Ontario, qui trouvaient que leurs droits étaient moins respectés par les conquérants britanniques. Les Anishnabés avaient participé à cette révolte.

Les Britanniques ont accepté dans la Proclamation royale de considérer que les droits ancestraux faisaient partie de leur système juridique interne, ce que les Français n’avaient jamais fait. En revanche, ils se sont empressés de faire signer des traités onéreux aux nations autochtones illettrées, qui ne bénéficiaient d’aucun conseil juridique. Le droit du colonisateur était trompeur et vil.

Les Anishnabés du nord de l’Ontario ont conclu en 1850 deux traités appelés les traités Robinson, du nom du négociateur canadien. Ces terres immenses étaient alors jugées de peu de valeur parce que l’industrie minière y commençait à peine et que l’industrie forestière ne s’y était pas encore rendue. Ceci a incité le négociateur à se montrer plus généreux et à insérer une clause inédite : non seulement le Canada devait payer une rente annuelle d’environ un dollar par personne (pour environ 1200 autochtones à l’époque), un montant porté à 4$ en 1875, mais il devait aussi augmenter ce montant en fonction des revenus accrus tirés du développement du territoire.

Cette clause inédite a été ignorée pendant plus d’un siècle. Elle vient d’être remise en vigueur par la Cour d’appel et il est peu probable que la Cour suprême remette ce jugement en question si l’affaire est portée devant elle. Les traités de 1850 ont été ratifiés par le gouvernement du Canada-Uni, dirigé par Louis-Hippolyte Lafontaine, deux ans après l’obtention de l’autonomie gouvernementale du Québec et de l’Ontario, réunis de 1840 à 1867. Plus tard, les tribunaux ont décidé que les obligations découlant de ces traités étaient uniquement à la charge de l’Ontario.

Au Québec, pour des raisons particulières, aucun traité historique n’a été signé. Au sud du territoire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, les droits ancestraux n’ont pas été cédés et les traités restent à faire. Il est certain que les négociateurs autochtones voudront un règlement semblable au jugement Restoule. S’ils ne l’obtiennent pas par la négociation, ils pourront s’adresser aux tribunaux.

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