Ces gens d’affaires qui tardent à prendre le virage vert

2022/01/21 | Par Clément Fontaine

L’auteur est journaliste indépendant et membre du Regroupement Des Universitaires
 

DES UNIVERSITAIRES – Il est rare que les gens d’affaires appuient spontanément les initiatives visant à défendre l’environnement quand celles-ci risquent de compromettre la rentabilité de leurs entreprises. L’être humain est enclin à privilégier ses intérêts immédiats plutôt que les intérêts supérieurs de la collectivité à moyen et à long terme. Cela peut parfois aller jusqu’au déni d’un grave problème sociétal.

C’est normal, diront certaines personnes. Un ou une entrepreneure qui investit des sommes importantes dans un commerce de détail ou une usine de fabrication voit grand par définition, espérant non seulement récupérer sa mise le plus rapidement possible, mais aussi prendre de l’expansion et augmenter son chiffre d’affaires.

Bref, le modèle de croissance continue à la base de notre système capitaliste fait encore souvent passer les écologistes pour des enquiquineurs.
 

Le rôle des Chambres de commerce et d’industrie

Cependant, on aurait tort d’imputer systématiquement à nos gens d’affaires un conservatisme qui peut être attribuable à un processus décisionnel hors de leur contrôle. Un processus inhérent à un organisme censé les représenter, mais au sein duquel ils n’ont pas toujours droit au chapitre: la chambre de commerce et d’industrie régionale.

On en dénombre plus de 120 sur le territoire québécois. Elles sont encore considérées comme des ressources incontournables pour de nombreuses jeunes pousses.

Plusieurs de ces Chambres établissent leurs frais d’adhésion en fonction de l’importance des entreprises, ce qui provoque une inégalité fondamentale. Leur structure hiérarchique tend à favoriser la vision des grandes corporations plutôt que celles des petites et moyennes entreprises (PME). Les prises de position officielles concernant des enjeux importants comme la lutte au réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité deviennent alors la prérogative d’une minorité influente.
 

Un cas typique: le projet de GNL Québec au Saguenay

La saga entourant le projet Énergie Saguenay de l’entreprise GNL Québec illustre bien ce phénomène de concentration du pouvoir décisionnel à l’encontre des principes de la démocratie.

Séduites par la perspective d’importantes retombées économiques, les Chambres de commerce du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont, dès le départ, pris position en faveur du projet d’usine de liquéfaction de méthane destiné à l’exportation par voie maritime.

Comme cela se produit fréquemment, la plupart des élus provinciaux et municipaux ont emboîté le pas sans se poser trop de questions. Même la protection du béluga dans le fjord, une espèce emblématique en voie de disparition, était balayée sous le tapis des promesses d’avancées technologiques de la part du promoteur.

Les groupes environnementaux et plusieurs représentants des milieux scientifiques avaient beau répliquer avec vigueur sur la place publique, l’appui indéfectible des pro-gaz s’est prolongé jusqu’au dépôt du rapport défavorable du BAPE. Et même au-delà pour plusieurs.
 

Un manque de transparence gênant

La Chambre de commerce et d’industrie de Saguenay-Le-Fjord (CCISF), la plus importante et la plus directement concernée par le projet de GNL, est intervenue en sa faveur à de multiples reprises, sur toutes les tribunes. Il se trouve que le président de son conseil d’administration était aussi le directeur de l’Administration du Port de Saguenay relié au parc industriel destiné à accueillir l’usine de liquéfaction. Un nouveau terminal maritime y aurait été construit à l’usage des super méthaniers affrétés par l’entreprise pour l’exportation de son gaz.

La CCISF charge aux entreprises intéressées à joindre ses rangs entre 60 et 230 $ annuellement, selon le nombre de leurs employés. Une catégorie spéciale de membres, les Ambassadeurs, bénéficie d’avantages particuliers moyennant une contribution de 2 000 $.

À l’exception du géant de l’aluminium Rio Tinto, aucune entreprise n’est identifiée sur le site web de la Chambre. Il faut effectuer une demande en ligne et attendre un retour d’appel pour obtenir, peut-être, l’autorisation d'accéder à leur bottin des membres.

Parmi la faible proportion de mémoires favorables au projet Énergie Saguenay déposés au BAPE, soit environ 10% sur un nombre record de 3000, on trouvait sans surprise celui de la CCISF. Elle y reprenait presque mot à mot les arguments avancés par le promoteur et déjà présentés depuis des mois sur son site web en guise d’information à ses membres.

Le mémoire de la deuxième principale Chambre de commerce de la région, basée au Lac Saint-Jean, était à l’avenant, tout comme celui de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui affirme représenter quelque 50 000 entreprises.

Bref, toute la communauté d’affaires de la province semblait s’être liguée derrière GNL Québec !
 

Des apparences trompeuses

Mais sur quelles consultations s’appuyaient ces organismes pour défendre un projet aussi controversé?

Dans son mémoire déposé au BAPE, la FCCQ ressortait un vieux sondage Segma dont le questionnaire, la méthodologie et l’interprétation des données avaient fait l’objet de vives critiques de la part des groupes opposants. Le seul autre sondage mentionné par la Fédération favorise GNL Québec à hauteur de 80.7% et il aurait été mené cette fois par son pendant régional, la CCISF, auprès de 114 de ses quelque mille membres.

C’est donc principalement sur la base d’un échantillonnage d'environ 11% d'individus, dont le public ignore l’identité, que la décision d'appuyer le projet de GNL Québec aurait été prise!

Que valaient donc au final ces mémoires de nos Chambres de commerce et d’industrie? Pas grand-chose assurément. Même le gouvernement caquiste, pourtant réputé affairiste, ne s’y est pas trompé en refusant de donner le feu vert à Énergie Saguenay.
 

Le respect des compétences

La structure et le fonctionnement des Chambres de commerce et d’industrie ne sont pas conçus pour défendre les intérêts de la collectivité, mais bien ceux de ses membres les plus influents, minoritaires en nombre. Il faut, par conséquent, se méfier de leurs prises de position sur des enjeux publics importants.

Nous disposons heureusement du BAPE pour recadrer la vision souvent réductrice des communautés d'affaires locales. Ainsi, on peut raisonnablement penser que si le projet de la cimenterie McInnis de Port-Daniel, en Gaspésie, avait été soumis à une évaluation environnementale, cette entreprise ne serait pas devenue l'industrie la plus polluante du Québec.

De même, si le BAPE avait pu procéder à un examen du projet d'un troisième port sur le Saguenay demandé par la minière Arianne Phosphate, celle-ci aurait probablement dû choisir une autre voie pour l'exportation de son apatite. Sa mine étant située au Lac à Paul, à 200 km au nord, l'actuel terminal maritime de Baie-Comeau sur la Côte-Nord aurait été l'alternative tout indiquée.

Arianne Phosphate étant toujours en quête de financement privé, la menace de construction d'un nouveau port attenant au fjord plane sur la tête des Saguenéens depuis maintenant six ans.

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