L’auteur est avocat constitutionaliste
Les mots Legault et indépendance sont maintenant antinomiques. François Legault a fait le cheminement politique inverse de René Lévesque et de Jacques Parizeau. De souverainiste, il est devenu un bon Canadien.
Louise Mailloux, l’ardente défenseure de la laïcité, croit qu’une future déclaration d’invalidité de la loi 21 par la Cour suprême relancera le projet d’indépendance. Rien n’est moins sûr. D’abord, la Cour suprême devrait normalement se résigner à accepter la validité de l’usage de la clause dérogatoire. Elle, et la Cour d’appel, pourraient même retirer l’exemption de l’application de la loi 21 pour les commissions scolaires anglophones, que le juge de la Cour supérieure avait accordée en suivant un raisonnement juridique douteux. Ce raisonnement était fondé sur une lecture peu convaincante et inédite de la garantie des droits linguistiques de l’article 23 de la Charte canadienne. La Loi sur la laïcité de l’État n’a rien à voir avec les droits linguistiques.
Plus fondamentalement, rien ne prouve encore que la laïcité est d’une importance telle pour le peuple québécois qu’elle pourrait à elle seule rallumer le feu de l’indépendance si la loi 21 était invalidée. On peut le souhaiter, mais ce n’est pas démontré. Cependant, d’autres dossiers sont peut-être plus révélateurs de la possibilité d’un revirement, qu’il ne prévoit pas lui-même, du gouvernement Legault sur la question nationale au cours de son second mandat.
Ce gouvernement se caractérise, après quatre années au pouvoir, par son profond désir d’entretenir une relation organique avec la nation québécoise. Il affirme et souhaite renforcer profondément l’identité nationale québécoise à l’intérieur du Canada. Il veut exprimer des consensus nationaux qu’il croit irrésistibles. Il ne veut cependant pas aller plus loin que sa base électorale régionale, qu’il considère être le cœur de la nation.
Il y a deux problèmes avec cette approche. D’abord, le gouvernement peut se tromper et ne pas voir des périls pour la nation à l’extérieur de sa base régionale. Il en est ainsi de l’application nécessaire de la loi 101 aux cégeps. Legault n’a eu jusqu’ici ni le courage, ni la volonté, ni la lucidité de freiner efficacement l’anglicisation de la région de Montréal.
Deuxièmement, son désir de refléter des consensus peut l’amener à suivre l’opinion publique plutôt qu’à la définir. Nous en avons eu un exemple dans les dernières semaines au sujet des mesures contre les antivaccins. Début décembre, le premier ministre était jovialiste devant la pandémie. Il nous conviait à préparer des listes d’invités pour des réveillons de vingt personnes. Il s’est rendu compte tardivement de son erreur de vision et a opéré un virage à 180 degrés. Début janvier, il a pris conscience de la colère du peuple contre les antivaccins et a appliqué en vitesse des mesures pour les contrer. Il a couru pendant plusieurs semaines pour rattraper les faits sociaux et l’opinion publique. Parfois, sa devise semble être : « Je suis leur chef, donc je les suis. »
Un autre dossier révélateur en 2021 a été celui de la monarchie. Au début de l’année, un sondage nous confirmait qu’environ les trois quarts des Québécois, et 80% des francophones, souhaitent l’abolition de la monarchie canadienne. D’autres sondages indiquaient la montée de l’appui à cette idée au Canada anglais au point d’approcher pour la première fois une majorité hors Québec. Il aurait été facile pour ce gouvernement nationaliste de construire un consensus au Québec afin de réclamer l’ouverture de la Constitution canadienne. Des initiatives unilatérales pour préparer le terrain auraient pu être prises.
Au lieu de cela, le gouvernement Legault a démontré une peur bleue de rouvrir la Constitution. Il fait partie des traumatisés de l’échec de l’accord du lac Meech, qui a suscité une réaction telle de l’opinion publique en 1990 qu’elle a même surpris Jacques Parizeau et créé une vague conduisant au référendum du 30 octobre 1995. Ce gouvernement compte une aile dure de fédéralistes inconditionnels, incarnée par Geneviève Guilbault, Eric Girard et Sonia Lebel. C’est d’ailleurs cette dernière qui a été chargée de calmer le jeu sur la monarchie.
La réouverture du dossier constitutionnel pourrait créer des ruptures, ou de soudaines reconversions, à l’intérieur du parti au pouvoir à Québec. En fait, le gouvernement est paralysé par le dossier constitutionnel parce qu’il craint de ne pas pouvoir créer ou maintenir un consensus sur la question parmi ses propres troupes, que ce soit au conseil des ministres, au caucus ou dans son parti. Il maintiendra donc le couvercle sur la marmite en espérant que l’eau ne se mette pas à bouillir. Il est inévitable que la question de la monarchie se posera avec de plus en plus d’insistance dans les toutes prochaines années.
Paradoxalement, c’est là où il s’y attend le moins que le gouvernement a peut-être commis l’erreur constitutionnelle la plus dangereuse. Il fera adopter le projet de loi 96 au printemps. Il tient à y inclure une disposition qui n’a qu’un rapport indirect avec le renforcement de la langue française, qui est l’objet du projet de loi. Cette modification a pour but d’insérer unilatéralement l’affirmation de l’existence de la nation québécoise dans la Constitution unilingue anglaise de 1867.
Ceci démontre à nouveau une obsession avec l’Accord du lac Meech, qui n’avait pas réussi à obtenir la reconnaissance d’une société distincte au Québec. Le gouvernement semble se dire que, puisque le Canada n’a pas voulu consentir à la société distincte et qu’il nous a imposé unilatéralement une constitution en 1982, nous obtiendrons notre revanche en lui imposant unilatéralement notre nation dans sa constitution. C’est de l’amateurisme constitutionnel, car ce n’est pas ainsi que la Cour suprême risque de voir les choses. Certains sont d’avis qu’il s’agira d’un échec programmé. Un échec qui risque l’implosion de la CAQ ne fera pas sourire madame Lebel.
Sur la demi-douzaine d’experts constitutionnels consultés par la commission parlementaire sur le projet de loi 96, deux, dont moi-même, ont exprimé l’avis que cette disposition projetée est inconstitutionnelle. Jamais les tribunaux n’ont approuvé une telle modification unilatérale de la Constitution canadienne par une seule province. L’avis favorable du premier ministre fédéral et de la Chambre des communes dans un contexte de cynisme préélectoral ne peut pas rendre constitutionnel ce qui ne l’est pas. Ou bien le gouvernement court à sa perte dans son second mandat dans ce dossier, ou bien nous pourrions voir des vestes à nouveau retournées à la vitesse de l’éclair dans le sens de la souveraineté.
Nous savons quelle a été la puissance de la réaction du peuple québécois devant le rejet de la société distincte. Qu’en sera-t-il du rejet de la nation? Ce gouvernement est un apprenti sorcier qui joue avec un feu constitutionnel qu’il pourrait ne pas pouvoir éteindre.
Finalement, Louise Mailloux a peut-être raison. Une déclaration d’invalidité d’une loi du gouvernement Legault par la Cour suprême pourrait nous donner une troisième chance de réaliser l’indépendance. Elle a seulement identifié la mauvaise loi.
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