Ottawa peut intervenir pour combattre l’inflation

2022/01/28 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.
 

Depuis plusieurs mois, nous vivons avec un taux d’inflation plus élevé que la normale. Les données les plus récentes montrent que le coût de la vie a augmenté de 4,8 % en un an, alors que la normale tourne plutôt autour de 2 %. Le rôle de la Banque du Canada est de maintenir l’inflation dans une fourchette oscillant entre 1 % et 3 %. C’est pourquoi elle devrait recommencer à hausser son taux directeur. Comme le font la Federal Reserve états-unienne et les autres banques centrales.
 

De multiples causes

Les causes de cette augmentation des prix sont multiples et le phénomène est mondial. Les gens étant confinés durant la pandémie, ils ont moins dépensé en services, comme les voyages et les restos, et plus dépensé en biens, comme les téléviseurs et autres appareils électroniques. Le réseau de conteneurs de marchandises s’est vite trouvé surchargé par ce changement soudain des habitudes de consommation avec, comme résultat, la création de goulots d’étranglement.

Même chose pour les semi-conducteurs. La demande plus élevée en appareils électroniques a provoqué une rupture de stock pour les véhicules. Toute la chaîne d’approvisionnement s’est ainsi trouvée perturbée. La méthode de production « just-in-time » avec des fournisseurs ultraspécialisés de composantes et de faibles inventaires avait permis de réduire les coûts de production, mais s’est avérée fragile devant des changements soudains de la demande. Une région en Asie, qui doit se reconfiner, a aujourd’hui le potentiel de déstabiliser toute la chaîne d’approvisionnement.

Côté alimentation, les sécheresses et bouleversements climatiques ont causé de mauvaises récoltes. À tout ceci s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre. C’était un phénomène présent avant la pandémie, qui s’explique fondamentalement par le vieillissement de la population. La pandémie a aussi amené, aux États-Unis, un grand nombre de personnes à quitter leurs emplois de misère, comme s’il y avait eu une prise de conscience collective. L’économiste Paul Krugman a baptisé ce mouvement social, la Grande Démission.

Après une importante baisse des cours du pétrole, nous enregistrons actuellement des prix records à la pompe. Ici aussi, le phénomène est mondial.

On assiste également à l’explosion des prix de l’immobilier. L’épargne ayant augmenté durant la pandémie, les taux d’intérêt s’étant retrouvés au plancher, les gens désirant être confinés dans un espace plus grand et souvent à la campagne, toutes les conditions étaient réunies pour provoquer ce phénomène spectaculaire, qui touche également le secteur locatif.

La durée de cette période d’inflation plus élevée sera déterminée en grande partie par la capacité des banques centrales à stopper les attentes inflationnistes en haussant leur taux directeur.

Dès les premiers mois de la pandémie, de nombreux économistes avaient prévu que l’éventuelle reprise économique serait en « K ». C’est-à-dire une reprise favorisant les mieux nantis et pénalisant les moins nantis. Comme c’est souvent le cas, cette crise-ci aura vraisemblablement contribué à accroître les écarts de richesse. Les plus fortunés ont eu la possibilité d’accroître leur épargne, de diminuer leur endettement, de réduire leurs dépenses avec notamment le télétravail, et ont vu la valeur de leurs résidences et de leurs placements augmenter. Les moins nantis sont aujourd’hui davantage affectés par l’inflation et ont encore moins les moyens d’accéder à la propriété.
 

Logement social ou logement abordable?

Si le contrôle de l’inflation revient d’abord aux banques centrales, les différents niveaux de gouvernement se doivent aussi d’intervenir. Et la réduction des écarts de richesse doit être au cœur de leurs préoccupations.

Par exemple, dans le secteur immobilier, l’État peut faire une immense différence en soutenant mieux le logement social. Une offre plus élevée de coopératives, d’OBNL d’habitation ou de HLM permet à celles et ceux qui ont des revenus plus modestes de se loger convenablement en y consacrant une part raisonnable de leurs revenus. Cela permet de protéger ses utilisateurs des fluctuations du marché et génère un effet stabilisateur sur l’ensemble du marché locatif, et même sur l’ensemble du marché résidentiel.

Malheureusement, on se souvient qu’Ottawa s’était retiré du soutien au logement social sous les libéraux de Chrétien. Québec avait pris le relais, mais un demi-État n’a pas les moyens financiers d’un État entier. Trois décennies plus tard, force est de constater que les effets ont été dévastateurs et la situation est pire dans les autres provinces.

Le problème existait avant la pandémie et la hausse spectaculaire actuelle des prix de l’immobilier vient accentuer le problème de l’accès au logement abordable. Le gouvernement Trudeau a certes recommencé à investir, mais de façon terriblement timide et dans le logement abordable plutôt que dans le logement social, où il n’investit rien de récurrent.

Le concept de logement abordable est pernicieux. Grosso modo, il en va ainsi. Le gouvernement subventionne le secteur privé à la condition qu’il réserve une partie du nouveau parc locatif, pendant une période de dix ou vingt ans, à un prix inférieur aux prix du marché, mais à peu près jamais à des niveaux acceptables pour les faibles revenus. Très souvent, ces logements sont également trop petits pour répondre aux besoins des familles.

Bref, avec ce concept, on ne règle en rien la question de l’accès à un logement réellement abordable pour les ménages à faibles revenus. C’est une imposture. Ottawa doit donc recommencer à soutenir le logement social. C’est la meilleure façon de garantir l’accès à de véritables logements abordables et indirectement à exercer un contrôle efficace sur l’ensemble du marché.

À titre illustratif, Véronique Laflamme du FRAPRU rappelle que, pour régler le problème, le Directeur parlementaire du budget demande que les sommes consacrées au logement abordable soient entièrement redirigées vers le logement social. Et ces montants doivent être substantiellement augmentés pour répondre aux besoins actuels.

Comme le fédéral est propriétaire de plusieurs terrains, il a aussi le pouvoir de les utiliser pour la construction de logements sociaux. Consacrer ces terrains au logement social plutôt qu’aux projets des amis et financiers du parti au pouvoir, ça serait dénaturer l’ADN même d’Ottawa. Toujours est-il qu’avec un peu de bonne volonté, le fédéral aurait la capacité de faire une réelle différence sur les prix du marché immobilier. Ici encore, il serait plus simple d’effectuer nous-mêmes pleinement nos choix québécois, plutôt que tenter de convaincre le voisin canadien d’agir dans notre intérêt.

Pour mieux nous protéger d’une inflation plus élevée, l’État peut intervenir dans plusieurs secteurs. Accélérer la transition écologique permettrait notamment de nous mettre à l’abri de la volatilité des cours du pétrole. Les exemples de la sorte sont nombreux, nous y reviendrons.

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