Est-ce illégal d’enseigner l’histoire de manière honnête ? La question semble surréaliste et, pourtant, les enseignantes et enseignants d’histoire de dix États états-uniens se la posent régulièrement.
C’est que dix États ont adopté des mesures visant à légiférer comment des sujets comme le racisme ou le sexisme peuvent être enseignés dans les écoles primaires et secondaires. En Floride et en Utah, ces mesures prennent la forme de règlements adoptés par le Conseil de l’éducation de l’État. En Arizona, Iowa, Idaho, New Hampshire, Oklahoma, Caroline du Sud, Tennessee et Texas, ce sont des lois étatiques. Les mesures en Oklahoma, Iowa et New Hampshire s’appliquent également aux institutions d’enseignement supérieur ainsi qu’aux formations sur la diversité et l’inclusion offertes aux employés de l’État et les éducateurs.
La National Education Association (NEA) a publié une Foire aux questions sur son site Internet pour expliquer la teneur de ces mesures à leurs membres et leur donner des conseils juridiques pour qu’ils connaissent leurs droits quand ils abordent dans leur enseignement des sujets touchant le racisme, le sexisme, les préjugés historiques, qui sont décrits incorrectement comme la « théorie critique de la race » (critical race theory).
Aux enseignants qui demandent s’ils peuvent continuer à enseigner certains éléments du programme d’histoire que ces lois bannissent, la NEA répond que toutes ces lois sont différentes. « Les lois les plus extrêmes interdisent d’enseigner que les États-Unis sont institutionnellement ou systématiquement racistes ou sexistes, ou que des gens peuvent être biaisés consciemment ou inconsciemment. Cependant, ajoute-t-on, aucune de ces lois ne devrait vous empêcher d’enseigner toute l’histoire des États-Unis, incluant les presque 250 ans d’esclavage qui ont pris fin à la suite d’une guerre civile et qui a mené à la Reconstruction, ni d’enseigner la montée du suprémacisme blanc violent qui a mis fin à cette Reconstruction et qui persiste encore aujourd’hui. »
Mais, ajoute-t-on, assurez-vous de contacter votre syndicat pour bien connaitre les implications de ces nouvelles lois.
Les concepts qui divisent
Le 13 décembre 2021, au New Hampshire, trois enseignants d’écoles publiques, deux parents et la section locale de l’AFT-New Hampshire ont déposé une poursuite judiciaire fédérale afin de demander à la cour d’invalider cette loi appelée communément la « Loi sur des concepts qui divisent » (divisive concepts).
Ils dénoncent cette loi qui est tellement vague qu’il est pratiquement impossible pour les enseignants des écoles publiques de savoir comment ils peuvent enseigner en respectant à la fois les obligations de cette loi et le programme d’histoire qui requiert qu’ils enseignent l’histoire de manière précise et honnête.
En effet, les normes éducatives du New Hampshire exigent que toutes les écoles publiques et privées abordent dans leur enseignement « l'intolérance, l'antisémitisme, la haine et la discrimination nationale, ethnique, raciale ou religieuse qui ont évolué dans le temps » et que les élèves apprennent sur les événements controversés à partir de multiples perspectives et idéologies.
« En tentant de restreindre la façon dont la discrimination, la diversité, les préjugés et la justice sont perçus ou enseignés, cette loi place les éducateurs au centre d'un scénario cauchemardesque : ils sont tenus de se conformer à une loi qui est en contradiction avec la constitution rendant obligatoire une éducation scolaire publique solide et complète – une éducation qui comprend l'enseignement d'une histoire et d'événements actuels précis et honnêtes », dénonce la présidente de l’AFT, Randi Weingarten.
Ryan Richman, enseignant d’histoire au secondaire, est l’un des signataires de la poursuite judiciaire. Dans ses cours, il demande régulièrement à ses élèves de choisir un événement d’actualité, et il fait le lien avec un événement du passé. Cela entraine des discussions riches à propos de sujets comme le génocide des Rohigya, celui des Ouïghours ou le mouvement Black Lives Matter. Il craint que cette méthode d’enseignement soit illégale à cause de la loi sur les concepts diviseurs.
De plus, les conséquences sont graves pour les enseignants qui ne respectent pas la loi sur les concepts qui divisent : ils sont passibles de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement et à la perte de leur licence d’enseignement.
Cette contestation juridique de le FAT New Hampshire a été lancée après que le gouverneur Chris Sununu ait adopté le budget de l’État, qui inclut une provision sur les concepts diviseurs, et que le commissaire de l’éducation Frank Edelblut ait lancé une page Web où le public peut enregistrer une plainte contre des enseignants qui enfreindraient la loi.
Ceci a conduit un groupe extrémiste connu sous le nom de Moms for Liberty à mettre une prime de 500 $ sur la tête de tout enseignant du New Hampshire qui enfreindrait la loi, promettant de donner cet argent à tout informateur qui dépose une plainte avec succès. Depuis lors, de nombreux éducateurs signalent à leur syndicat qu’ils sont victimes de harcèlement en ligne, d’obscénités et d’attaques vicieuses, une conséquence directe de cette intimidation politique.
« Cette loi a semé la terreur parmi les enseignants qui ne violent, en fait, aucune loi, mais craignent d'être ciblés sans preuve par des personnes ayant un agenda politique, dénonce la présidente de l'AFT-New Hampshire, Deb Howes. Les éducateurs sont terrifiés à l'idée de perdre leur licence d'enseignement en essayant simplement d'enseigner. C'est quelque chose que je n'aurais jamais cru possible en Amérique. »
« Cette loi me glace le sang », conclut la présidente de l'AFT, Randi Weingarten. « Les enseignants sont placés devant un choix impossible. Ou bien ils tentent de respecter une loi si imparfaitement vague et large qu'ils ne peuvent pas remplir leur devoir d'enseigner correctement à leurs élèves, ou bien ils choisissent d'enseigner comme ils l'ont toujours fait et comme les programmes de l'État l'exigent, mais ils risquent alors de mettre fin à leur carrière. Cette loi ne vise qu’à salir l’école publique, blâmer les enseignants, diviser nos communautés et priver nos enfants d'opportunités d'apprendre et de s'épanouir. »
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