L’auteur est avocat constitutionnaliste
Une communauté attikamek a récemment adopté un règlement interdisant la coupe forestière dans son territoire ancestral à l’extérieur de la réserve. Ce règlement s’appuie notamment sur des préoccupations écologiques. Pour la communauté autochtone, les coupes forestières autorisées par le gouvernement du Québec conformément aux lois provinciales sont abusives. Elle a envoyé des représentants sur le terrain pour informer de sa décision les travailleurs d’une entreprise forestière. Celle-ci a prudemment arrêté ses travaux pour ne pas envenimer la situation. Des discussions politiques seraient en cours.
Dans l’état actuel du droit canadien, en l’absence d’un traité, les conseils de bande autochtones créés en vertu de la Loi sur les Indiens n’ont aucune juridiction à l’extérieur de la réserve. Les Attikameks, les Innus et d’autres nations n’ont signé aucun traité avec les gouvernements du Québec et du Canada; par conséquent, ils n’ont pas cédé leurs droits ancestraux sur leurs territoires traditionnels, qui sont bien sûr beaucoup plus étendus que celui des réserves. Le droit canadien ne reconnaît généralement aucun droit de veto aux nations autochtones sur le développement des ressources naturelles. La Cour suprême a toutefois imposé une obligation de consulter les nations autochtones lors de l’émission de permis aux compagnies forestières. Les Autochtones considèrent que le gouvernement du Québec ne s’acquitte de cette obligation que superficiellement et ne tient pas compte de leur point de vue.
Dans la perspective autochtone, l’approche du gouvernement du Québec est colonisatrice et doit être profondément modifiée. Les Premières Nations peuvent s’appuyer sur des sources de droit qu’ils jugent supérieures : outre leur droit naturel à la souveraineté qu’ils font découler de leur occupation antérieure, ils peuvent invoquer la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones de 2007 et la loi fédérale de 2021 qui l’a mise en œuvre en droit canadien. Dans le domaine du développement des ressources naturelles, comme dans d’autres tel que celui de la protection de la jeunesse autochtone, nous assistons graduellement à une collision juridique fondamentale entre deux visions juridiques très différentes.
L’entente de principe, appelée Approche commune, signée en 2004 par le fédéral, le gouvernement du Québec et quatre des neuf nations innues n’a pas débouché sur un traité. On y constate toutefois un effort des parties pour arriver à une forme de concertation dans le développement des ressources naturelles. Les textes pertinents se trouvent au chapitre 6 :
« CHAPITRE 6
PARTICIPATION À LA GESTION DU TERRITOIRE, DES RESSOURCES NATURELLES ET DE L’ENVIRONNEMENT
6.1 PRINCIPES GÉNÉRAUX
6.1.1 Le Canada et le Québec s’engagent, suivant leurs compétences respectives, à assurer la participation réelle et significative des Innu tshishe utshimaut (les gouvernements innus appelés à remplacer les conseils de bande) dans les processus de décision relatifs à la gestion du territoire, de l’environnement et des ressources naturelles sur Nitassinan (le territoire traditionnel).
6.1.2 Cette participation réelle doit permettre une prise en compte des droits des Premières Nations et de leurs membres reconnus, notamment l’exercice d’Innu Aitun (la culture, les valeurs et le mode de vie traditionnels) conformément au Traité et aux ententes complémentaires. Elle doit également être distincte de celle appliquée aux autres intervenants, c’est-à-dire, se faire de gouvernement à gouvernement et débuter le plus en amont possible des processus, en privilégiant les échanges directs entre les intervenants de première ligne, pour assurer une réelle prise en compte des droits des Premières Nations et de leurs membres aux étapes clés des processus avant qu’une décision ne soit prise. »
Ce texte s’inspirait en partie du texte et de la pratique de la Convention de la Baie James et de la Paix des Braves signées avec les Cris, et prenait au sérieux l’obligation de consulter formulée par la Cour suprême. Il s’agissait d’une avancée en 2004, qui demeure une référence aujourd’hui.
Lors de la négociation d’un traité, la partie autochtone voudra sans aucun doute soulever les dispositions suivantes de la Déclaration de l’ONU, qui a été adoptée trois ans après l’Approche commune :
« Article 3
Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
Article 18
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.
Article 19
Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Article 26
1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.
2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.
3. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés.
Article 27
Les États mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qu’ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus.
Article 28
1. Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n’est pas possible, d’une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu’ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
2. Sauf si les peuples concernés en décident librement d’une autre façon, l’indemnisation se fait sous forme de terres, de territoires et de ressources équivalents par leur qualité, leur étendue et leur régime juridique, ou d’une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation appropriée.
La Déclaration de l’ONU va plus loin que l’Approche commune en déclarant que le consentement des parties autochtones doit être recherché (mais pas nécessairement obtenu) pour l’ensemble du développement. Elle prévoit aussi un droit à l’indemnisation ou à la réparation renforcé pour le développement du territoire traditionnel qui a eu lieu sans ce consentement. Le défi de la négociation d’un traité avec les Innus, les Attikameks et d’autres nations sera qu’il reflète cette évolution du cadre juridique applicable depuis 2004.
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