Un ministère qui privilégie l’exploitation de la forêt plutôt que sa conservation

2022/02/16 | Par Henri Jacob et Richard Desjardins

Respectivement président et vice-président, L’Action boréale
 

À chacune de vos déclarations publiques, vous insistez fortement sur la conception que vous vous faites de votre mandat : maintenir un « équilibre » entre la mise en valeur (exploitation) des ressources naturelles, d’une part, et leur conservation, d’autre part.

Votre mandat n’est pas de tout repos, car dans les régions forestières du Québec, à peine 10 % du territoire se trouve protégé et le reste est dévolu aux dealers de ressources naturelles. Il y a du travail de « rééquilibrage » à faire, on en conviendra comme vous.

Le problème, c’est que vous n’êtes pas apte à le faire. Ne le prenez pas trop personnel, car au fil du temps, dans votre ministère, l’incompétence est devenue un critère de sélection pour le poste que vous occupez. Nouveau venu dans le monde complexe de la foresterie, vous êtes maintenu sous influence par une garde rapprochée d’une vingtaine de hauts fonctionnaires non élus : le « bunker ». Ce puissant groupuscule non imputable, aveuglément acquis aux volontés de l’industrie, encourage, exacerbe ce déséquilibre et se montre réfractaire à toute initiative de conservation forestière. C’est lui qui vous dicte le discours officiel à tenir, la plupart du temps sous forme de parlotes truffées de mensonges et d’approximations parsemées d’annonces dommageables pour le territoire forestier.

Ainsi, le bunker vous a enjoint :

- D’annuler 83 projets d’aires protégées dans le sud du Québec. Elles avaient été pourtant démocratiquement choisies par les populations des régions, et ce, après dix ans d’intenses négociations et de compromis consentis par toutes les parties prenantes, y compris l’industrie forestière et votre propre ministère. Équilibre ?

- De décréter l’artificialisation de 25 % de la forêt québécoise, sans consulter la population. On verra alors des plantations d’épinettes à n’en plus finir — hautement inflammables — sur nos territoires les plus productifs qui laisseront au sol une biodiversité anémique. Équilibre ? Ce plan terrifiant porte l’appellation « Aire d’intensification de la production ligneuse » (AIPL). À retenir.

- D’abaisser l’âge à partir duquel une forêt est considérée comme commercialement mature, donc disponible pour son abattage. Équilibre ? On pourra ainsi récolter cette forêt au tiers de sa maturité. Un inacceptable gaspillage… comme annoncer à ses enfants de 25 ans qu’ils sont désormais vieillards…

- D’enfermer en enclos ce qui reste de caribous forestiers pour permettre à l’industrie de compléter le saccage de leurs habitats. Votre objectif. Le prétexte ? Les protéger des méchants loups qui cohabitent pourtant dans la même forêt depuis 1 000 ans. Muni d’un simple permis de chasse de « petit gibier » coûtant 21 $, un chasseur peut aujourd’hui tuer tous les loups qu’il rencontre. Profitant de la même expédition de chasse, il pourra en passant abattre une femelle ours dès le mois de mai, au moment où elle prend soin de ses oursons nouveaux nés. Ça, c’est de la gestion faunique !

Vous avez accepté tout cela.

Toutefois, d’ici la fin de votre mandat — prévue pour l’automne prochain — Monsieur le ministre, vous auriez encore une chance d’infléchir un tant soit peu le déséquilibre affligeant de votre ministère qui privilégie démesurément l’exploitation de la forêt au détriment de sa conservation.

Vous pourriez tout d’abord dévoiler le bilan des travaux sylvicoles effectués depuis une quarantaine d’années avec nos taxes. Même que le Vérificateur général du Québec l’a réclamé, ce bilan, à 2 reprises depuis 20 ans. La dernière fois (2017) fut en ces termes : « Le MFFP ne sait pas si les investissements sylvicoles des dernières décennies ont donné les résultats escomptés. » Cette information s’avère pourtant fondamentale pour estimer si notre foresterie telle qu’elle se pratique aujourd’hui — en récoltant plus que ce que la nature fournit — demeure la moindrement sensée.

Il faut dix semaines pour accorder un permis de coupe forestière à une compagnie, mais dix ans pour créer une aire protégée de même surface. Où est l’équilibre ? Certes, il vous serait loisible d’émettre des permis de coupe de bois, mais à la condition que les territoires concernés soient soumis aux mêmes études exigées pour la création d’une aire protégée. On pourrait alors commencer à parler d’équilibre.

Vous pourriez même entreprendre l’ouvrage sur votre propre territoire abitibien, Monsieur le Ministre, où l’industrie minière a pris possession de 40 % du sol, empêchant les villes — en pleine immensité boréale — de construire de nouveaux quartiers résidentiels, et bloquant l’établissement d’aires protégées. Dans votre propre région, à peine 1 % du territoire de la Municipalité régionale de comté d’Abitibi est protégé. Le reste est ouvert aux coupes à blanc. Équilibre ?

Votre conception de l’équilibre nous révolte, Monsieur le Ministre. Ce pseudo « donnant donnant » faux et parfaitement inéquitable se reflète bien dans sa variante abitibienne que vous connaissez sûrement : “half and half”, un bœuf pis un lapin !

Dernière chose, vous nous avez promis récemment que vous seriez plus « transparent » dans vos fonctions. L’objectif pourra être atteint aisément dès cette année si vos électeurs vous font disparaître. L’Action boréale s’assurera que les caribous se prévaudront de leur droit de vote, comme ils l’ont exercé contre votre prédécesseur, Luc Blanchette. Avec succès.