Enfreindre le tabou : Manger des chips au théâtre

2022/02/18 | Par Julien Beauregard

Bien que les scènes de théâtre aient repris leurs activités, faisons un pas en arrière pour revenir sur l'essor des captations vidéo de représentations théâtrales. Les nostalgiques des Beaux Dimanches savent que ce n'est pas d'hier qu'on immortalise des prestations scéniques.

À moins de fouiller les archives des diffuseurs publics pour revivre l'époque des téléthéâtres, on peut mettre la main sur de grandes productions sur les plateformes de diffusion gratuite comme Vimeo, Dailymotion ou YouTube.

L'Angleterre et la France en ont diffusé beaucoup. Ici, c'est une autre histoire. L'offre récente en balado de Radio-Canada et les quelques initiatives de Télé-Québec, bien que salutaires, sont révélatrices de leur contribution anémique sur ce plan.

Ce qu'il y avait de nouveau avec la tempête provoquée par le Grand Confinement, c'est que le milieu des arts de la scène jouait sa survie. Cela a mené à une multiplication des initiatives pour demeurer actif malgré tout.

Certains théâtres se sont adaptés aux contraintes sanitaires pour diffuser des œuvres à travers des plateformes numériques. Plusieurs théâtres ont opté pour le mode hybride avant la fermeture des salles de spectacle pendant les Fêtes, c'est-à-dire avec un public en salle et un autre derrière son écran.

Nonobstant l'expérience indéniable en salle, il y a toute une gamme de motifs qui justifient le choix du numérique, comme les contraintes familiales, professionnelles ou géographiques. Et on va se l'avouer, il y a aussi des avantages à profiter de ce mode de diffusion, comme manger des chips, bien entendu !

Un autre volet qui mérite d'être exploité, c'est celui de la production en vidéo sur demande (VSD). À la différence d'une diffusion en direct, ici, la présentation est en mode différé. On y perd la fragilité et l'unicité d'une expérience vivante, mais on y gagne en raffinement. Aussi, on peut arrêter la diffusion quand ça nous plait et recommencer (ou pas) à notre guise.

Pensez à la pièce Les Hardings d'Alexia Bürger portant sur la tragédie ferroviaire à Lac-Mégantic en 2013. Elle est toujours disponible sur le site de Télé-Québec. Ce qui la différencie d'une captation passive d'une scène, c'est le travail du réalisateur François Blouin qui tire profit des avantages que lui confère le média télévisuel. Le décor reste classique, mais il s'y ajoute un jeu de focalisation avec la caméra et des éléments ajoutés en postproduction qui dynamisent le tout.

Actuellement chez Duceppe, il est possible de voir Manuel de la vie sauvage de Jean-Philippe Baril-Guérard, mis en scène par Jean-Simon Traversy et réalisé par Anne Émond à qui l'on doit les films Nuit #1, Nelly et Jeune Juliette. Cette pièce inspirée du roman du même nom, publié en 2018, nous plonge dans l'univers cynique de son auteur. Dans Royal, son précédent livre, il exploitait l'univers impitoyable de la course aux stages auprès des prestigieux cabinets d'avocats par les étudiants en droit. Ici, avec Manuel de la vie sauvage, on est dans le domaine des gazelles, ces entreprises en démarrage. On y constate, à travers une série de leçons, qu'il faut savoir monnayer toute morale et loyauté pour réussir dans ce monde.

Sinon, il est possible de voir L'amour est un dumpling de Nathalie Doummar et Mathieu Quesnel, mis en scène par ce dernier et réalisé par Stéphane Lapointe, qui a entre autres réalisé la série Tour sur moi. Cette comédie romantique raconte les retrouvailles d'un duo d'artistes folk rock qui étaient amants dans une autre vie. Bien sûr, les tensions des anciennes passions amoureuses sont au rendez-vous dans cet échange entre anciens complices qui se déroule dans un restaurant asiatique où la propriétaire des lieux apporte son grain de sel.

C'était un choix adéquat pour la Saint-Valentin, mais peut l’être aussi dans tout autre contexte. Ça peut même être une expérience originale pour passer une soirée en bonne compagnie sans être gêné de plonger la main dans le tabou de manger des chips au théâtre.