L’auteur est député du Bloc Québécois
Pour mettre un terme au siège d’Ottawa par le convoi de camionneurs, Justin Trudeau a choisi de sortir l’arme nucléaire législative, la Loi sur les mesures d’urgence. Aux abonnés absents durant trois semaines, le premier ministre a recours à la loi ultime plutôt que d’adopter une approche progressive. Son inaction initiale a sans doute été motivée par des calculs partisans. Le siège a divisé les conservateurs, O’Toole a été démis de ses fonctions et le parti risque l’éclatement.
Mais, rapidement, le gouvernement Trudeau s’est retrouvé dépassé par les événements. Le recours à la loi est devenu une stratégie de communication pour pallier la passivité des premières semaines. C’est inacceptable ! Pour invoquer la loi, qui lui donne le pouvoir de gouverner par décret, le gouvernement doit démontrer que les lois et règlements en vigueur au fédéral, mais aussi à Québec, dans les provinces et dans les municipalités, ne permettent pas de régler la crise. Or, le gouvernement n’a même pas essayé d’en faire la démonstration !
Manifester pacifiquement est un droit fondamental. Mais le siège d’Ottawa outrepassait ce droit. Une intervention était alors requise et le cadre législatif ordinaire le permettait. Le recours à la Loi des mesures d’urgence était injustifié.
Pas de vide juridique
Le décret prévoit une série de motifs permettant de déclarer une manifestation illégale : paralysie d’infrastructures essentielles, entraves importantes à la circulation, etc. Or, tous ces motifs sont énoncés dans l’une ou l’autre des lois ordinaires actuellement en vigueur : code criminel, code de la route, règlements municipaux. Elles permettent une opération conjointe de plusieurs corps policiers.
Les forces de l’ordre avaient tous les outils légaux pour faire face aux différents blocages frontaliers. On l’a vu à Windsor et à Coutts. Il n’y avait pas de vide juridique qui appelait à la proclamation des mesures d’urgence.
Même chose pour le gel de comptes bancaires. Le Code criminel interdit le financement des activités illégales. La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes prévoient que les institutions financières peuvent geler les fonds qui sont le fruit d’une activité criminelle ou qui servent à financer une activité criminelle. Les lois actuelles autorisent également des interventions auprès des plateformes de sociofinancement. Celles-ci sont déjà encadrées par les provinces.
Les lois existent et elles fonctionnent. À preuve : le 10 février dernier, la Cour supérieure de l’Ontario a accordé au gouvernement l’injonction demandée pour geler les fonds recueillis par les campagnes Freedom Convoy 2022 et Adopt-a-Trucker sur la plateforme de sociofinancement GiveSendGo. Cela en vertu des lois ordinaires, sans le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, sans le gouvernement par décret.
Le décret du gouvernement stipule qu’il est interdit d’amener un enfant à une manifestation interdite. Or, les lois provinciales sur la protection de la jeunesse prohibent déjà d’exposer un enfant à une situation dangereuse, tant au Québec qu’en Ontario. La Société d’aide à l’enfance, l’équivalent ontarien de la DPJ, était déjà présente au dossier à la demande de la police d’Ottawa, qui lui avait déjà transmis des cas.
D’autre part, demander aux compagnies d’assurances de suspendre les assurances des occupants semble être une mauvaise idée. En suspendant l’assurance responsabilité des camionneurs, on prive les victimes de la capacité d’être indemnisées pour des dommages, en cas d’accident. Rappelons que le No Fault n’existe pas en Ontario.
Une consultation bidon
Étant un Québécois indépendantiste, il est assez facile de comprendre que la déclaration des mesures d’urgence vient me chercher dans mes tripes. On a fait valoir que la Loi sur les mesures d’urgence est complètement différente de la sulfureuse Loi sur les mesures de guerre, qui avait servi à intimider les Québécois et à tyranniser les indépendantistes en 1970. C’est vrai. Et pour cause !
Pour comprendre l’objectif de la loi, on doit remonter au moment de son adoption. La loi a été déposée en 1987 et adoptée en 1988. Brian Mulroney était au pouvoir. Il dirigeait un Parti progressiste-conservateur qui n’existe plus aujourd’hui. Il avait été élu sur un programme de réconciliation avec le Québec. En 1987, c’est dans ce cadre qu’il avait conclu l’Accord du lac Meech. Il voulait réparer l’affront de 1982, alors que le Canada anglais avait modifié la Constitution en réduisant les pouvoirs de l’Assemblée nationale, sans nous et malgré nous. On connait la suite : Meech a échoué, Charlottetown a échoué, et la réconciliation n’est plus à l’ordre du jour.
La même année, le gouvernement Mulroney déposait la Loi des mesures d’urgence, pour remplacer la Loi sur les mesures de guerre pour réparer l’affront de 1970. Ce qui explique la différence entre les deux lois. Pas de policiers ou de militaires débarquant en pleine nuit pour procéder à des arrestations sans mandat. Les droits fondamentaux ne sont plus abolis. Et des contrôles sont prévus.
Aujourd’hui, il n’est pas possible d’invoquer la Loi des mesures d’urgence à volonté et de la maintenir à volonté. La Loi exige que le gouvernement consulte les provinces et fasse rapport au Parlement du résultat de ces consultations. Dans le contexte de l’époque – de réconciliation avec le Québec – il était implicite que la loi ne pourrait être imposée au Québec sans son consentement.
Le gouvernement nous a informés que, sur dix provinces, sept s’opposent à la proclamation des mesures d’urgence. Et, sur les trois autres, qui ont justifié leur appui à cause de la situation dans la ville d’Ottawa, deux ont affirmé qu’elles n’en ont pas besoin chez elles.
Et qu’est-ce que le fédéral a fait ? Il a choisi d’imposer sa loi partout ! Il l’impose au Québec, même si le gouvernement et un vote unanime de l’Assemblée nationale l’ont récusée. Pour le gouvernement, consulter c’est « cause toujours ». Nous imposer cette loi sans notre consentement nous apparaissait impensable. C’est pourtant c’est ce qui se produit. La réconciliation avec le Québec a pris le bord !
En Chambre, il est toujours navrant de voir les députés libéraux qui représentent des circonscriptions québécoises voter contre la volonté unanime de notre Assemblée nationale. Même chose pour le seul député néodémocrate du Québec. Avec ses collègues du NPD, il a choisi d’appuyer le gouvernement Trudeau, permettant à la loi d’être adoptée.
En 1970, le NPD de Tommy Douglas avait voté contre la Loi sur les mesures de guerre. Douglas disait que cela équivalait à utiliser un marteau piqueur pour écosser une arachide. Sortir l’arme nucléaire législative dans le contexte actuel revient aussi à utiliser un marteau piqueur pour écosser une arachide.
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