Une réflexion partielle sur notre identité

2022/02/25 | Par Simon Rainville

Avec un titre aussi attirant qu’un coup de masse, Le Québec et ses autrui significatifs (Québec-Amérique), le collectif dirigé par Jean-François Laniel et Joseph Yvon Thériault propose une série de textes sur l’identité québécoise.

Dans leur introduction, les codirecteurs utilisent de bien grands mots, « autrui significatifs », pour dire en fait peu de choses nouvelles : la culture et l’identité québécoises n’ont pas été façonnées uniquement par le rapport à la France, à l’Église, à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Voilà qui n’a rien de surprenant pour quiconque s’intéresse à notre histoire.

S’inspirant du psychologue interactionniste George Herbert Mead, qui expliquait comment l’identité individuelle interagit avec son milieu, Laniel et Thériault cherchent à comprendre comment notre identité, collective cette fois, s’est construite en interaction avec les Autres, donc comment l’identité est le «résultat d’une conversation avec autrui».

Il ne s’agit pas, précisent-ils, de nier ni de minimiser les référents proprement québécois, mais plutôt de voir la dette du Québec envers ceux qui se sont immiscés dans son « univers de sens » en influençant son parcours historique. Je pourrais longuement interroger l’intérêt de passer par Mead pour aborder la question identitaire puisqu’il existe des avenues récentes beaucoup plus stimulantes, mais je vais me contenter de montrer ce qu’il y a de problématique dans l’ouvrage, et surtout dans ce qui sous-tend la réflexion des codirecteurs.

Dans un tel collectif, les chapitres sont toujours d’inégale valeur et d’intérêt variable. Ainsi je vous épargnerai les litanies de Jocelyn Létourneau et les textes, malheureusement légion dans le monde universitaire, si pointus que même une aiguille ne voudrait pas à s’y insérer sous peine de mourir d’ennui. Mais il y a aussi des propositions intéressantes et audacieuses, comme celle de Caroline St-Laurent, qui traite du regard que porte l’imaginaire québécois sur l’Afrique du Sud depuis la guerre des Boers (même si l’on peut douter de la grande prégnance de l’Afrique du Sud dans notre imaginaire), et celle d’Yvan Lamonde, qui poursuit sa réflexion fructueuse sur notre américanité et notre rapport aux États-Unis.

De la même façon, le texte dans lequel Jacques Beauchemin aborde l’intériorisation toute québécoise du jugement d’autrui dans notre propre perception identitaire mérite d’être lu même si son analyse ne me convainc pas, comme c’est souvent le cas avec Beauchemin. Il ouvre au moins une réflexion souvent omise sur notre condition politique. Il y a aussi de drôles de propositions, comme celle de Michel Biron qui aborde la question du « non-conflit » dans l’œuvre de Saint-Denys Garneau et celle de Thériault lui-même qui interroge la façon dont des penseurs influents comme Jürgen Habermas et Francis Fukuyama ont, au détour d’une page, mentionné le cas du Québec.

La réflexion de Biron n’est pas sans intérêt, bien au contraire, mais elle me semble détonner de l’ouvrage et ne pas réellement porter sur un « autrui significatif ». Pour ce qui est de celle de Thériault, je ne vois pas ce qu’elle apporte à la compréhension de notre identité tant les exemples soulevés sont anecdotiques et montrent surtout que les nombreux clichés sur notre peuple donnent trop souvent lieu, sous couvert « d’analyse scientifique », à un déferlement de haine antiquébécoise.

Mais plus concrètement, l’ouvrage est très partiel et partial. Dans la section des intellectuels étrangers qui ont jeté un regard sur nous, il y a un article intéressant sur la relation privilégiée entre le sociologue américain Everett Hugues et le Québec et sur son influence sur le développement de la sociologie québécoise.

Or, des géants, pourtant fondamentaux, comme Jean-Paul Sartre, Albert Memmi et Jacques Berque, sont absents de la section. Il n’y a presque rien sur l’autrui colonisé, outre le texte sur l’Afrique du Sud, ni sur l’Amérique latine ou les Noirs américains. On le voit, la vision de l’identité de Laniel et Thériault ne fait pas trop de place à la gauche et à la décolonisation. Et pourtant, que serait le Québec d’aujourd’hui si ces idées n’avaient pas revivifié le nationalisme et notre identité depuis les années 1960-70?

Le genre d’exercice auquel se sont livrés les codirecteurs implique nécessairement que l’on délimite subjectivement ce qui relève de l’autrui. Nous avons souvent droit à une vision conservatrice et très « canadienne-française » du Québec dans l’introduction comme dans le découpage des sections. Par exemple, ils insistent sur le fait que nous serions beaucoup moins américains que nous le disons aujourd’hui, sous-entendant bien sûr, comme c’est souvent le cas chez les conservateurs, que nous sommes encore beaucoup plus français que nous voulons l’admettre.

On le voit, le collectif, et surtout l’introduction du livre, ne propose pas une vision convaincante et satisfaisante de notre identité. Les directeurs auraient pu tenter d’esquisser, en conclusion, une synthèse des propos tenus dans l’ouvrage. Or, ils ne le font pas, laissant un sentiment de confusion par moment : l’identité québécoise est à la fois un peu tout et un peu rien.

On pourrait ajouter que l’ouvrage est très centré sur les élites et les intellectuels. Comment, par exemple, ne pas aborder la voix des syndicats dans notre identité, dans leur rapport à la gauche internationale? Comment ne pas aborder le marxisme comme autrui significatif, alors que le marxisme-léninisme et l’appel à l’international ont été très présents chez nous ?

Ce qui en dit encore davantage sur la subjectivité des codirecteurs est qu’ils n’abordent pas la question des minorités du Québec comme autrui significatif, ce qui se défend dans la mesure où ils prêteraient le flanc à des attaques d’exclusivisme. Mais il s’agit aussi d’une position un peu frileuse puisque plusieurs minorités rejettent activement et consciemment leur inclusion dans l’identité québécoise. Cette exclusion de la part des codirecteurs, on le sent bien, n’a rien de scientifique. À moins qu’ils considèrent que leur apport soit limité ? Je ne leur prête pas cette intention, mais leur omission est particulièrement étonnante.

Thériault et Laniel reconnaissent par ailleurs qu’ils n’ont pas abordé la question autochtone en se limitant à dire que la question « mérite un traitement séparé ». Nous ne saurons pas pourquoi. Il est d’ailleurs fort à parier qu’ils ne s’y attèleront jamais vraiment. C’est à la fois dommage et significatif, justement, qu’ils préfèrent étirer la sauce avec, par exemple, notre rapport à la Scandinavie, plutôt que d’amorcer une réflexion sur les autochtones. Ce sont pourtant les premiers autrui auxquels nous avons été confrontés.

Ainsi donc, que peut bien nous dire une réflexion sur notre identité qui n’inclut pas les minorités du Québec ni les peuples autochtones et minimise la part progressiste de notre collectivité ?

Mais il y a encore davantage : bien que l’ouvrage approche notre identité d’un point de vue historique, tout y est pêle-mêle, les textes abordant des thèmes d’époques différentes. Le découpage thématique plutôt que chronologique est en soi problématique. Nous savons bien que notre identité a beaucoup changé en 400 ans, passant par pas moins de quatre noms, donc par quatre identités. Il y aurait pourtant tellement à dire sur cette indécision identitaire en abordant successivement nos quatre dénominations à partir de notre relation aux « autrui significatifs ». Le cumul de ces identités en dit au moins autant sur nous que notre rapport singulier à chacun de ces Autres.