L’autrice est députée du Bloc Québécois
Je pensais intituler ce texte : les vautours. On utilise souvent cette expression pour dénoncer un groupe, un individu qui utilise la conjoncture pour siphonner des plus petits que soi. Or, après de courtes recherches sur internet, je découvre que le vautour a une vocation très importante dans la limitation de la propagation des maladies. Un éboueur naturel, peut-on lire. Les vautours fauves sont, parait-il, reconnus comme des piliers de l’écosystème. Tout le contraire de ce que je veux dénoncer dans ces lignes.
La guerre sévit en Ukraine, elle touche des familles entières, elle nous ébranle dans nos convictions d’un monde pacifique, elle remet en question tout ce qui s’est fait depuis la fin de la Guerre froide.
Les pétrolières salivent
Parallèlement, les pétrolières et les gazières voient l’argent au bout du tunnel. Pourquoi ne pas développer nos énergies fossiles pour remplacer le gaz russe en Europe? La machine propagandiste fonctionne à toute vitesse. Ils font tout pour récupérer cette crise pour leurs objectifs financiers. Comment peuvent-ils penser que la meilleure façon d’aider l’Ukraine et de démontrer notre solidarité c’est de construire des pipelines ? Comment ne peuvent-ils pas calculer que construire un oléoduc ou un gazoduc pour rejoindre un port sur l’Atlantique est un chantier d’une décennie.
Ce qui revient donc à promettre aux Européens un approvisionnement en bitume ou en gaz albertains en 2030 ou 2035, longtemps après que Vladimir Poutine aura quitté l’Ukraine et la scène politique, du moins on peut l’espérer.
L’Ukraine, qui a pourtant toutes les raisons du monde de vouloir diminuer l’influence de la Russie, ne nous demande pas de construire plus de pipelines. Svitlana Krakovska, cheffe de la délégation ukrainienne dans les négociations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), déclarait : « Le changement climatique provoqué par l'Homme et la guerre en Ukraine ont les mêmes racines: les combustibles fossiles et notre dépendance vis-à-vis d'eux. (…) Nous ne capitulerons pas en Ukraine et nous espérons que le monde ne capitulera pas dans sa construction d'un avenir climatique durable. »
Le gaz naturel est une source d’énergie non renouvelable qui produit des émissions, tant lors de son extraction que lors de sa combustion. Ce n’est pas l’énergie du futur. Le gaz naturel « carboneutre » est une supercherie. Quelques jours à peine avant l’invasion de l’Ukraine, le GIEC a publié un nouveau rapport, ce dernier s’ajoute à une multitude qui sont tous plus alarmants les uns que les autres. Mais personne ne les écoute. Il y a plusieurs années de cela, j’ai lu le livre de Naomie Klein intitulé La stratégie du choc (Leméac). Ce livre explique très bien comment ces rapaces utilisent chaque crise pour mener à bien leurs objectifs de privatisation et de profit à terme.
On ne règle cependant pas une crise en en provoquant une autre. La crise ukrainienne est réelle, mais la crise climatique l’est aussi. Citons le secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres: « Les événements actuels nous le montrent très clairement: notre dépendance continue à l’égard des combustibles fossiles rend l’économie mondiale et la sécurité énergétique vulnérables aux chocs et aux crises géopolitiques. Au lieu de ralentir la décarbonisation de l’économie mondiale, il est temps d’accélérer la transition énergétique. »
Le cynisme des conservateurs
Du côté des élus, l’instrumentalisation du conflit par le Parti conservateur du Canada, qui veut profiter de cette guerre pour développer les hydrocarbures de l’Ouest et plaire à sa base électorale à la veille d’une course à la chefferie, c’est du cynisme à grande échelle. Quant aux libéraux, ils n’ont pas encore l’air de savoir où ils s’en vont.
Sur le plus long terme, aucun Européen ne veut couper la Russie de l’Europe sur une base permanente. Nul ne souhaite que la Russie demeure un pays paria. Nul ne veut jeter la Russie dans les bras de la Chine dans une alliance militaro-pétrolière qui n’annoncerait rien de bon.
Si la crise s’amplifie, ce dont l’Europe aura besoin, c’est d’une solution rapide. Or, désolé de le dire aux conservateurs, ce n’est pas l’Alberta qui est la solution. Prétendre le contraire, c’est présenter une illusion aux Albertains.
D’autant plus que les grandes infrastructures de transport d’hydrocarbures, vu leurs coûts prohibitifs, ne peuvent se réaliser que si elles sont en service pendant 20 à 30 ans. Y a-t-il vraiment quelqu’un qui croit sincèrement que la demande sera là, à grande échelle, pour les combustibles du 20e siècle jusqu’en 2050 ou 2060 en Europe, alors qu’elle s’apprête à accélérer son virage vers les énergies propres ?
Le coût des énergies renouvelables a beaucoup diminué depuis les débuts du boom des gaz de schistes. De plus en plus, lorsqu’elles arrivent en fin de vie utile, on remplace les centrales thermiques fonctionnant aux énergies fossiles par des énergies renouvelables et des mesures d’efficacité énergétiques. Ce mouvement ira en s’amplifiant.
L’Agence internationale de l’énergie, organe de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), confirme qu’en redoublant d’efforts, il est possible de répondre durablement aux besoins énergétiques de la planète tout en interdisant tout nouveau projet d’hydrocarbure, pétrole comme charbon ou gaz.
Le gaz naturel n’est pas une solution
Le dernier rapport du GIEC nous indique que les impacts des changements climatiques sont plus alarmants que ce qu’on pensait : la moitié de la population de la planète, soit entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes, est hautement à risque de voir sa vie bouleversée par les changements climatiques. Déjà, près de 20 millions de personnes sont forcées de quitter leurs foyers chaque année pour fuir des inondations, une sécheresse, la hausse du niveau de la mer, la désertification ou la dégradation environnementale.
Le gaz naturel n’est pas une solution. Nulle part dans ce rapport ni dans aucun rapport du GIEC, on ne le mentionne comme énergie de transition. La transition vers les énergies propres implique de développer les énergies propres. Pas d’augmenter la production et l’exportation des hydrocarbures albertains.
Ce que les lobbyistes proposent actuellement comme étant LA solution au conflit est vu uniquement sous la lorgnette du développement de la filière des gazoducs et autres projets énergétiques qui, soyons-en assurés, auront d’importantes conséquences.
D’abord, un recul sans précédent sur des progrès réels faits en Europe depuis plus d’une décennie pour améliorer le bilan climatique de plusieurs États. Ensuite, l’enlisement, davantage globalisé, dans la dépendance aux énergies fossiles dont nous devons absolument nous défaire.
Nommons les choses comme elles sont réellement : la guerre est, malheureusement, une triste occasion d’enrichissement pour le secteur pétrolier et gazier.
En ce moment, ce dont l’Ukraine et le monde ont besoin, ce sont des investissements dans des projets qui réduisent leurs empreintes carbone et qui augmentent la sécurité énergétique du continent américain ET européen.
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