L'auteur est avocat constitutionnaliste
Pendant que le monde a les yeux rivés sur l’Ukraine, la Terre continue de tourner. Le prince William et sa conjointe ont entrepris un voyage en Amérique centrale et dans les Antilles qui, selon un expert britannique sur la monarchie, a viré à la catastrophe pour cette institution vétuste et contestée.
Ce qui devait être une offensive de charme auprès des peuples et des États qui conservent la monarchie constitutionnelle, afin de limiter les dégâts causés par le passage de la Barbade à la république l’an dernier, a plutôt démontré la force du courant républicain et du ressentiment envers la famille royale dans cette partie du monde.
Le couple princier a d’abord débarqué à Belize, qui, selon Wikipédia, «est un royaume du Commonwealth ( monarchie constitutionnelle dotée d'un régime parlementaire), dont le territoire est situé en Amérique centrale, à l'est-sud-est du Mexique et au nord-est du Guatemala. » Cet État souverain était une colonie connue sous le nom de British Honduras jusqu’à son indépendance acquise en 1981. C’est sans doute le seul État d’Amérique latine dont la langue officielle est l’anglais. Cela n’a pas empêché un peuple autochtone qui y habite de refuser à William et Kate de se rendre sur son territoire ancestral, pour le motif que l’empire britannique n’avait pas respecté ses droits.
Ce faux départ aurait pu être rapidement oublié si les événements avaient mieux tourné en Jamaïque, l’étape suivante parmi une demi-douzaine et l’une des plus significatives. Trois camouflets attendaient tour à tour le futur roi. D’abord, juste avant son arrivée, une lettre ouverte signée par une centaine de notables de l’île soulignait que la famille royale s’était enrichie au cours des siècles au moyen de crimes contre l’humanité et réclamait des réparations financières pour l’esclavage qui avait fait la fortune de l’Angleterre. Rien que ça.
Après cette délicate entrée en matière, le gouvernement jamaïcain a annoncé au moment où l’avion princier atterrissait qu’il avait entrepris les préparatifs pour le passage à la république. Enfin, à la suite d’une rencontre officielle du prince avec le premier ministre, celui-ci a déclaré à la presse devant son hôte que son pays s’apprêtait à tourner une page de son histoire. Ajoutez à cela que les habituelles photos enjouées de Kate avec des enfants locaux ont été sévèrement critiquées parce qu’elle était séparée d’eux par un grillage qui rappelait les distances raciales, et vous aurez un aperçu de ce désastre majeur des relations publiques. Nul besoin d’ajouter que les visages royaux étaient de plus en plus tendus à mesure que le voyage avançait.
Il est maintenant évident que la Barbade n’était pas un cas isolé, et qu’une demi-douzaine de petits et micro-États des Amériques suivront bientôt son exemple. À ceux déjà mentionnés, on peut ajouter les Bahamas, les Bermudes, Sainte-Lucie, les Iles Vierges britanniques, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et la Grenade. (Trinidad-et-Tobago est devenu indépendant en 1962 et une république en 1973.) Ils constituent la moitié des États qui reconnaissent toujours Elizabeth II comme chef d’État.
Il semble que, contrairement à la Barbade, mais stimulés par son initiative, tous ces États aboliront la monarchie au même moment. Ils auront eu la patience d’attendre la fin du règne de Sa Majesté actuelle, qui décline physiquement chaque mois. On peut croire qu’après la tenue des célébrations pour le 70e anniversaire de son règne, Elizabeth II annoncera son abdication, peut-être dans son prochain message du Nouvel An.
Par ailleurs, des élections générales se tiendront en Australie au début de mai. Le premier ministre sortant, un conservateur, est impopulaire. Les sondages annoncent la victoire de l’opposition travailliste, qui est antimonarchiste. Aux dernières élections, le chef travailliste d’alors avait promis d’enclencher le passage à la république dès son élection. On verra ce qu’il en sera cette fois. Des Néo-Zélandais ont déclaré qu’il était inconcevable que leur pays conserve la monarchie si l’Australie ne le faisait pas.
On sait que les Australiens sont venus bien près d’abolir la monarchie par référendum en 1999. La majorité serait acquise aujourd’hui. En Jamaïque, qui compte moins de trois millions d’habitants, cette majorité serait de 70 %, moins qu’au Québec selon les sondages. La Constitution jamaïcaine exige, comme en Australie, la tenue d’un référendum. Chaque pays doit suivre ses propres procédures constitutionnelles. Certaines constitutions exigent un référendum pour abolir la monarchie, d’autres pas. La constitution canadienne ne l’exige pas, mais un référendum canadien ou québécois pourrait être le meilleur moyen politique pour y arriver.
Il est vraisemblable qu’avant que nous puissions voter dans un tel référendum, le Canada sera parmi les cinq derniers pays, sur plus de cinquante membres du Commonwealth, à conserver la monarchie constitutionnelle. Le Canada risque aussi d’être le dernier pays des Amériques, d’un pôle à l’autre, à conserver la monarchie. Il risque d’y avoir une vague de nouvelles républiques dans le Commonwealth dans les trois prochaines années pour inaugurer le règne du roi Charles III.
Ce prénom royal est funeste dans l’histoire anglaise puisque Charles 1er fut si impopulaire qu’il fut décapité en 1649 au cours d’une guerre civile et que le fils de Charles II fut chassé du trône quarante ans plus tard dans un changement constitutionnel fondamental appelé la Glorious Revolution, qui a instauré la monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire soumise au Parlement.
Le Canada abolira la monarchie après Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il est jusqu’ici incapable de couper le cordon constitutionnel. Contrairement à ce qu’on nous raconte depuis 1982, la Constitution canadienne ne sera pas entièrement rapatriée avant l’abolition de la monarchie.
La Constitution canadienne n’exige pas un référendum, mais elle exige le consentement du Québec. La Cour suprême a nié l’existence du droit de veto du Québec en 1982, mais le nouveau texte constitutionnel le lui a restitué pour certaines fins. Les journaux prêtent l’intention au ministre de la Justice, M. Jolin-Barrette, de faire adopter la première constitution formelle du Québec. Il serait impensable d’adopter une telle constitution sans y inscrire le désir profond d’une vaste majorité de Québécois d’abolir la monarchie.
Seuls les pleutres et les traumatisés souverainistes y verront une impossibilité. Aucun obstacle constitutionnel ne pourra tenir devant une volonté démocratique fermement exprimée. Même la communauté antillaise de Toronto s’oppose à la monarchie. Le multiculturalisme canadien, dont les bénéficiaires sont majoritairement issus de républiques, n’a aucune affection pour les rois et les reines.
Les fédéralistes bon teint du gouvernement Legault, tels que la ministre des Affaires canadiennes, madame Lebel, feront tout pour contrer une tendance lourde de l’histoire contemporaine, parce qu’ils sont effrayés à l’idée que notre peuple voie dans ce débat l’occasion de se donner l’idée et la volonté d’aller plus loin.
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