Négocier – seule avenue de paix !

2022/04/20 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est secrétaire général des Artistes pour la Paix 15 avril 2022

1. CINQ CITATIONS INTERNATIONALES

L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, célèbre pour sa déclaration à l’ONU en 2003 refusant la guerre d’Iraq, est revenu, jeudi 17 mars, sur le conflit ukrainien et l’importance d’user des voies diplomatiques pour obtenir un cessez-le-feu. Il a qualifié les frappes visant les civils dans certaines villes ukrainiennes comme Marioupoli: « Ce sont des crimes atroces et il est normal que la conscience internationale s’élève face à de tels crimes. » L’ancien ministre des Affaires étrangères a toutefois critiqué l’attitude de Joe Biden face à ses récentes déclarations au sujet de Vladimir Poutine : « L’obsession d’un responsable doit être de faire avancer la paix, d’obtenir un cessez-le-feu et négocier une paix durable. Nous sommes dans un moment où il faut mettre toutes nos forces pour un cessez-le-feu. Nous sommes dans une sorte d’entre-deux, un temps suspendu où les combats continuent, les bombardements aussi. Des négociations se nouent et il faut les développer. La diplomatie est un processus très compliqué car elle permet de transformer de la violence en énergie politique et diplomatique. C’est très complexe. »

Oscar Arias, Prix Nobel de la Paix 1987, ex-président du Costa Rica et conseiller de l’Institut de Sécurité Globale affirme que « négocier avec Poutine est la seule voie ouverte ». « Si les protagonistes de la Guerre Froide ont réussi à se réunir pour compléter le Traité de Non-Prolifération Nucléaire dans les années 60 et si les pays d’Amérique centrale se sont entendus sur un règlement mettant un terme à leurs conflits dans les années 80, on peut y arriver en Ukraine en 2022. » Il a raison. Au lieu de favoriser les bombes, le Canada devrait travailler à la paix aux côtés de l’ambassadrice du Costa Rica, Elayne Whyte qui avait négocié à l’ONU le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires obtenant une majorité des deux tiers et qui préside maintenant l’International Gender Champions (association pour le droit des femmes à de meilleurs représentations internationales) œuvrant avec UNITAR (ONU) où travaille aussi Ouided Bouchamaoui, qui fut co-lauréate tunisienne du Prix Nobel pour la Paix 2015. Les médias accusent constamment l’ONU d’impuissance, mais ce sont eux qui la rendent impuissante en ne relayant pas ce genre de nouvelles pourtant encourageantes.

Azeb Wolde-Giorghis dont les APLP ont écrit le plus grand bien, comme de Tamara Alteresco et Marie-Ève Bédard, rapporte que « la neutralité et la démilitarisation de l’Ukraine sont la seule avenue viable, selon l’Américain Ted G. Carpenter de l’Institut Catoii. Jocelyn Coulon, ancien assistant du ministre Stéphane Dion le croit aussi.

Elle transmet aussi les conseils à Zelensky, publiés au journal The Hindu de l’ancien président de l’Afghanistan Hamid Karzaï: « ne laissez pas les grandes puissances faire leur guerre par procuration sur votre territoire comme ils l’ont fait chez nous ». On connaît la dévastation de son pays par une guerre à laquelle le Canada a hélas participé pleinement.

Noam Chomsky le 17 mars (traduction Pierre Jasmin qui l’a lue le 18 mars à la radio CPAM) : « Je voudrais accentuer le point crucial à inscrire au fronton de toutes discussions à propos de cette terrible tragédie. Nous devons trouver une façon de terminer cette guerre avant qu'elle n'escalade dans la destruction totale de l'Ukraine et vers une inimaginable catastrophe au-delà. LA SEULE ISSUE EST UN RÈGLEMENT NÉGOCIÉ. Qu'on aime cela ou non, ce règlement doit inclure une sorte d'échappée pour Poutine, OU LE PIRE ARRIVERA. Ce genre de souci doit gouverner nos esprits. Zelensky a reconnu que joindre l'OTAN n'est plus une opinion pour l'Ukraine. Il a aussi à bon droit insisté pour que l'opinion des habitants de la région du Donbass compte comme un facteur critique en vue de déterminer le règlement. Bref, Zelensky répète les évidences d'un sentier de prévention de cette tragédie - même si nous ne pouvons pas le savoir avec certitude puisque les États-Unis ont refusé d'emprunter ce sentier. Selon notre compréhension de longue date - des décennies en fait - l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN aurait été comparable à voir le Mexique se joindre à une alliance militaire menée par la Chine, avec des manœuvres communes avec l'armée chinoise en gardant des armes de destruction massive pointées sur Washington. Si on insistait sur le droit souverain du Mexique d'agir ainsi, ne serait-on pas au summum de l'idiotie? L'insistance de Washington à appuyer le droit souverain de l'Ukraine à se joindre à l'OTAN est pire encore, car elle érige une barrière insurmontable contre une résolution pacifique d'une crise, crime choquant appelé à s'empirer s'il n'est pas résolu par des négociations auxquelles Washington refuse de se joindre ».

 

2. RAPPEL AUQUEL LES QUÉBÉCOIS DEVRAIENT ÊTRE SENSIBLES

En avril 2014, l’article suivant intitulé Ukrainiens 1 – Harper-Poutine 0 paraissait sur le site des APLP. Republié le 21 mars dernier, il semble oublié par d’ardents Québécois tels Yvon Rivard, Gaëtan Dostie et André Binette pour qui il nous fait plaisir de le retranscrire, [avec des caractères gras et quelques précisions rajoutées par Pierre Jasmin].

2014 - Imaginons qu’il y a trois ans, l’armée et la police syriennes aient fait exactement devant les protestataires étudiants et démocrates ce qu’ont fait hier les tanks ukrainiens, REFUSER DE TIRER SUR LEURS COMPATRIOTES !!! Y aurait-il de nos jours près de 200 000 morts et trois millions de réfugiés dans ce pauvre pays dont revient aujourd’hui notre envoyé spécial, Amir Maasoumi, partisan de la Mussalaha, mouvement de réconciliation lancé par mère Agnès-Mariam-de-la-Croix [appuyée par la Prix Nobel de la Paix 1976 Mairead Maguire de Belfast] ?

La scène d’officiers ukrainiens, ayant reçu l’ordre de leur gouvernement putschiste de reconquérir l’Est russophone par la force, mais s’arrêtant pour discuter avec leurs compatriotes et refusant de les attaquer en abandonnant leurs armes, qu’elle est réconfortante pour un Québécois pacifiste ! Les dernières élections [évinçant alors le Parti Québécois au profit, c’est le mot, des Libéraux du docteur Philippe Couillard, « un concentré de crosseurs », selon Marc Laviolette ] viennent, il est vrai, d’écarter le scénario d’un Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois : émettons le souhait que les officiers canadiens refuseraient aussi d’obéir à un tel ordre fratricide !

C’est ce qu’ont fait hier les officiers ukrainiens du 25e bataillon aéroporté de Dnipropetrovsk, dans le village de Kramatorsk, à 100 kilomètres au nord de Donetsk. Venaient à leur rencontre en cette fin du 16 avril plusieurs centaines d’habitants contre lesquels ils ont refusé d’ouvrir le feu, engageant plutôt le dialogue avec ceux que leur gouvernement de droite non élu avait qualifiés de « terroristes » et leur avait ordonné de contraindre par la force. La raison a prévalu. Et pourtant le Monde, plus militariste que jamais, accompagné par la fanfare propagandiste de la majorité des journaux occidentaux, qualifia sous la plume de Piotr Smolar cette non-violence d’« émasculation symbolique d’une armée en guenilles » et de « débandade déshonorante »… Ah ! l’honneur [mâle] ! Que de crimes commis en ton nom.

Justement, de l’autre côté de la frontière, Poutine amasse des troupes pour sauver l’honneur de la Russie. Stephen Harper, lui, a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes. Tous deux ont exprimé le désir de garantir par leurs actions que les Ukrainiens ne se fassent pas massacrer en défendant chacun leur côté. Peut-on douter de leurs motivations nobles de paix, vu leurs discours belliqueux? Et leurs actions ? Poutine a annexé la Crimée en deux temps trois mouvements, Harper avait envoyé son ministre des Affaires étrangères John Baird manifester à Maïdan aux côtés des putschistes armés par les fascistes de Praviy Sektor.

Malgré tout, l’honneur diplomatique a du bon : à l’instigation de l’ONU, les ministres des Affaires étrangères d’Ukraine, de Russie, de l’Union européenne et des États-Unis (le Canada étant heureusement non convié !) se sont entendus au terme d’une réunion ce jeudi à Genève pour tenter d’empêcher l’escalade de la violence, car trois miliciens pro-russes venaient d’être tués en tentant un assaut contre une base de la garde nationale ukrainienne près de la mer d’Azov. L’attaque, menée par environ 300 assaillants (qui se qualifient pourtant d’« autodéfense » !), a été repoussée. Les séparatistes (vocabulaire familier chez nous) ont par contre pris le contrôle de l’administration municipale de Marioupol et de bâtiments officiels dans une dizaine d’autres villes de l’est du pays russophone.

La solution à cette crise qui pourrait encore hélas déboucher sur une guerre civile, semble de fédérer l’Ukraine pour que l’Est russophone ait suffisamment de pouvoirs pour garantir sa survie culturelle et économique et pour que l’État central à Kiev réussisse à diriger les destinées du pays sur une ligne dictée par la démocratie [les fondements des accords de Minsk, torpillés par le président corrompu Poroshenko – voir les Panama papers]. Espérons que ces décisions n’incluront jamais l’affiliation à l’OTAN, dont on connaît la volonté hégémonique militariste appuyée par sa honteuse possession de bombes nucléaires…

 

Commentaires

Judi Richards – 1 juin 2014 à 3 h 59 min

J’aime bien que tu amènes le discours vers la politique de chez nous, avec l’allusion à un «Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois» ou «a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes». C’est comme ça que je suis interpellée à mieux saisir l’histoire qui se manifeste ailleurs...merci !

Jacques Lévesque – 20 avril 2014 à 7 h 56 min

Bonjour Pierre,

Je vois que tu suis ces événements avec autant d’attention que moi. Je suis impressionné de la précision avec laquelle tu soulignes un certain nombre de faits et d’événements.
Il est effectivement rassurant de voir que les Ukrainiens veulent éviter de s’entre-tuer. Leur comportement est certainement plus rassurant que celui des gouvernements étrangers qui s’en mêlent.

Amicalement
Jacques Lévesque

Département de Science Politique UQAM

 

Pierre Jasmin – 20 avril 2014 à 17 h 19 min

Jacques est trop humble pour nous avoir signalé qu’il est directeur de recherche au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES) où son expertise porte sur la Russie (et auparavant, l’URSS). Le site des Artistes pour la Paix est honoré par sa participation courte mais signifiante. Une simple recherche établit qu’en 1969, l’année suivant l’obtention d’un doctorat en études politiques de la Fondation Nationale des Sciences Politiques de Paris, Jacques devient directeur-fondateur du département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Professeur dans cette institution depuis lors, il a été membre du Conseil d’administration de l’UQAM, de son Comité exécutif et instigateur de la création de la Faculté de science politique et de droit dont il est élu doyen en 1999 (…).

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Voici d’ailleurs ce que « notre meilleur éditorialiste du Québec (avec Chapleau) » en pensait, dont nous avions reproduit la caricature du DEVOIR.

 

 

On vous signale sur le même thème que l’article de 2014, sans pouvoir le recommander vu qu’il émane de Moscou, l’article de Oleg Yasinsky dans Pressenza paru le 21 mars 2022 : Ukraine, chasse aux sorcières et autres histoires pour la presse oublieuse qui relate entre autres comment des dérives du pouvoir ukrainien, sous la pression de la guerre, qualifient de traîtres ceux qui favorisaient les accords de Minsk et ont interdit le 20 mars, malgré la constitution ukrainienne, les onze partis politiques de gauche et d’opposition, ce qui a pour effet de miner la marge de manœuvre nécessaire pour favoriser une entente Zelensky-Poutine.

En attendant le résultat d’enquêtes internationales sérieuses, nous rejetons pour le moment les accusations hystériques (qui commencent souvent chez François Brousseau - Radio-Canada et Le Devoir - par la phrase ahurissante propagandisteiii suivante « Poutine est soupçonné de vouloir »…) sur de prétendus génocides, attaques d’armes chimiquesiv, crimes contre l’humanité… Par contre, semble crédible l’accusation de crimes de guerre, documentés des deux côtés par Human Rights Watch de crédibilité limitée vu leur partialité démontrée dans le passé…

 

i S’expliquant aussi par la prise en otages de sa population par le sinistre bataillon Azov.

ii Think tank libertarien américain basé à Washington, peu suspect de complicité russe.

iv Selon une consultation sur le phosphore avec un expert membre de Pugwash international.