L’arrogance du budget Freeland

2022/04/22 | Par Gabriel Ste-Marie

L'auteur est député du Bloc Québécois
 

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a présenté son budget le 7 avril dernier. On y perçoit une vision centralisatrice décomplexée. À chaque budget, à chaque projet de loi, Ottawa avance lentement et constamment comme un bulldozer vers un État plus centralisé. Le droit du Québec de faire les choses à sa manière recule encore une fois.

La base de cette stratégie consiste à asphyxier financièrement les provinces et de s’assurer que la marge de manœuvre financière demeure à Ottawa. Le gouvernement central a ensuite beau jeu de multiplier les intrusions dans les champs de compétence provinciaux en échange de financement.
 

Le logement

Par exemple, la ministre annonce dans son budget qu’elle veut lier le financement pour les infrastructures qu’elle verse aux municipalités au nombre de logements qui y seront construits. Ce n’est pas dans sa cour, mais elle veut s’en mêler, et elle trouve un moyen détourné pour y arriver. Elle veut aussi rendre obligatoire le droit de faire inspecter une maison qu’on achète. Le principe est noble, mais ne relève en aucun cas du fédéral.

Elle budgète de l’argent pour le logement, mais continue de retenir essentiellement le concept de logement abordable plutôt que celui de logement social. Rappelons que le logement social est basé sur la capacité de payer des ménages à faibles revenus, alors que le logement abordable requiert qu’un pourcentage des nouveaux logements soit loué sous le prix du marché pendant un certain temps. Par exemple, un logement à 2 000 $ par mois à Montréal peut être considéré comme abordable, même si, dans les faits, il ne l’est pas du tout.
 

L’assurance dentaire

L’entente entre le NPD et le Parti Libéral a mené à l’annonce de la création d’une assurance dentaire. Couvrant, la première année, les coûts concernant les jeunes de moins de douze ans, jusqu’à inclure les ménages qui gagnent moins de 90 000 $ la cinquième année, l’annonce a de quoi séduire. Il n’est, en effet, pas convenable que les soins dentaires ne soient pas accessibles à toutes et tous.

Mais, encore une fois, il s’agit d’une intrusion majeure hors du champ des compétences constitutionnelles du fédéral, les soins de santé relevant des provinces. Ottawa ne finance pas la santé à la hauteur des besoins et de ses moyens, et il choisit plutôt d’imposer sa priorité sans consultation avec les provinces.

Le budget stipule que 5,3 milliards $ seront versés à Santé Canada pour couvrir ce nouveau programme au cours des cinq prochaines années. Le budget est avare de détails sur le fonctionnement du programme. Les fonctionnaires du ministère nous disent que le programme n’existe pas et qu’ils ne savent pas comment ça va fonctionner. Par exemple, ils ne sont pas en mesure de dire si le Québec aura un droit de retrait avec pleine compensation pour la portion des soins qu’il offre aux enfants de dix ans et moins.

Il est à noter que le montant de 5,3 milliards $ semble peu élevé. Quand ça passe par Ottawa, tout coûte plus cher et est plus compliqué. À titre illustratif, nous nous rappelons que leur registre des armes à feu avait coûté deux milliards $. S’il en a coûté 2 milliards $ à Ottawa pour créer une liste de données, on peut penser que 5,3 milliards $ seront insuffisants pour des soins dentaires.
 

Le financement des soins de santé

Cette intrusion majeure est un pied de nez au Québec. Alors que la seule demande du Québec est de revoir le financement de la santé – demande portée par l’ensemble des provinces – Ottawa s’y refuse. Ici, la ministre des Finances fait preuve d’arrogance. Dans son budget, elle commence par affirmer que les soins de santé ne sont pas à la hauteur de ceux des autres pays. Elle fait ensuite clairement comprendre qu’il faudra d’abord discuter de normes avant d’entrevoir la possibilité de revoir le financement : « Toute discussion entre le gouvernement fédéral et les provinces et les territoires portera sur la production de meilleurs résultats en matière de soins de santé pour les Canadiens. »

Alors que le système et son personnel sont à bout de souffle, épuisé et mis à mal par plus de deux ans de crise sanitaire, Papa Ottawa dit au Québec et aux provinces qu’ils n’en font pas assez et qu’il faudra discuter de normes, tout en refusant de revoir sa participation au financement.

La demande était : Plus de transferts sans condition ! La réponse est : Des conditions sans transferts ! Peu importe si Ottawa finance seulement 22 % des coûts du système de la santé, alors qu’il s’était engagé, au départ, à en financer la moitié et que les provinces réclament 35 %. Peu importe si ce calcul est corroboré par le Directeur parlementaire du budget et le Conference Board, peu importe si ce pourcentage est le ratio pour rééquilibrer la marge de manœuvre entre Ottawa et les provinces, face au fameux déséquilibre fiscal.

Le budget démontre que la marge de manœuvre est bel et bien à Ottawa. Malgré ses dépenses records des dernières années, malgré ses nouvelles dépenses, le budget fédéral se retrouvera pratiquement à l’équilibre d’ici cinq ans.
 

L’environnement

Côté environnement, le budget déçoit. La principale mesure concerne les pétrolières. C’est un montant de 2,6 milliards $ pour le captage du carbone émis par l’exploitation du pétrole des sables bitumineux. Une technologie même pas au point et qui coûterait une fortune si jamais elle se concrétisait. Selon l’Agence internationale de l’énergie, si le coût de cette technologie se reflétait à la pompe; elle ferait quadrupler le prix de l’essence.

La ministre annonce aussi 120 millions $ pour soutenir le développement de réacteurs nucléaires mobiles afin de permettre à l’industrie d’extraire plus de pétrole et de revendre le gaz naturel économisé par le nucléaire. Ottawa annonce vouloir réduire les émissions par baril pour en produire davantage.

Tout cela, alors que, la veille du budget, Steven Guilbault dilapidait sa crédibilité en autorisant le nouveau projet pétrolier Bay du Nord pour l’exploitation de jusqu’à un milliard de barils de pétrole. La même semaine, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’appuyant sur les conclusions du rapport du GIEC, qualifiait de radicaux dangereux les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles. Il n’y a pas à dire, le Canada est un cancre dans la lutte environnementale.
 

Les aînés abandonnés

Face à l’inflation, le budget n’offre aucun renfort aux personnes plus vulnérables, au premier chef les aînés. Aucun renfort non plus pour les ménages à faible revenu ou les familles aux prises avec la hausse du prix du panier d’épicerie, du loyer ou de l’essence. Rien non plus pour les entreprises les plus affectées, comme celles des agriculteurs.

En vue du budget, le Bloc Québécois avait formulé cinq demandes inconditionnelles. Les quatre premières sont rejetées. Le gouvernement refuse d’augmenter les transferts en santé, ou même d’en discuter. Il abandonne complètement les aînés, particulièrement les personnes âgées de 65 à 74 ans, à qui Ottawa a refusé toute hausse des pensions de vieillesse. Il n’entame aucun virage concret en matière de finance verte, en plus de décevoir au sujet de la lutte aux changements climatiques. Finalement, il n’offre aucune solution à la hausse du coût de la vie.