Libérons l’eau de la Bourse

2022/04/22 | Par Monique Pauzé

L’autrice est députée du Bloc Québécois
 

À l’occasion de la Journée internationale de l’eau, le 22 mars dernier, il y a eu une mobilisation appelée l'Assemblée parlementaire internationale.  L’objectif était de rassembler une quarantaine de parlementaires de divers pays du monde, porteurs et porteuses de visions politiques plurielles, mais convergentes sur le principe fondamental que le devenir de la vie ne doit pas être décidé par les bourses financières. Seuls les élus des peuples, ainsi que les citoyens et citoyennes, doivent gérer la ressource en eau. Les pouvoirs publics ne peuvent pas laisser les groupes privés mondiaux, puissants et spéculateurs, décider du futur de la Terre et de la vie de milliards d’êtres humains et des autres espèces vivantes.

Ricardo Petrella, président de l’Agora des habitants et habitantes de la Terre, était l’initiateur de cet événement. Pourquoi une telle initiative ?

Il faut remonter à ce qui s’est passé à la bourse de New York. Après l‘ouverture des marchés des produits dérivés aux contrats à terme de vente/achat de l’eau en 2020, la Bourse de New York (« Wall Street »), la plus grande au monde, a décidé, fin octobre dernier, de créer une nouvelle classe d’avoirs financiers concernant directement tout élément du monde naturel. À cette fin, elle a donné vie à des nouvelles entreprises opérant en Bourse, les Natural Assets Corporations, dans le but premier de « sauvegarder et protéger la nature » ... quelle mystification !
 

Libérons l’eau de la Bourse

Ayant été interpellée pour m’adresser à cette assemblée, mais ne pouvant pas aller à Bruxelles pour l’événement, mon discours a été lu par une participante. Le voici.

À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, je tiens à joindre ma voix à celles de toutes les personnes qui militent et se mobilisent pour protéger les écosystèmes aquatiques et pour défendre le droit de tous les êtres humains d’avoir accès à de l’eau potable et salubre.

Comme vous le savez, l’eau douce au Québec est une immense richesse collective. Avec plus de 3 millions de plans d’eau, le Québec possède 3 % des réserves mondiales d’eaux douces. Cette richesse immense est un privilège qui s’accompagne d’un devoir moral, celui de préserver cette ressource essentielle.

L’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité, le 11 juin 2009, la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection. Par cette loi, il est reconnu que les ressources en eaux font partie du patrimoine de la collectivité et font de l’État du Québec le gardien de la ressource. Grâce au régime établi par la loi, les besoins de la population sont toujours priorisés par rapport aux activités à caractère économique.

Nous pouvons également compter sur la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques qui reconnaît les fonctions écologiques de ces milieux et renforce leur protection. Malgré tout, il existe toujours un risque que, malgré nos lois, nos ressources en eau soient bradées et mises à risques par des impératifs commerciaux qui ne sont pas au service du bien commun.
 

L’eau et les traités de libre-échange

En effet, en Amérique du Nord, l’eau n’est pas exclue officiellement de nos traités de libre-échange (Canada–États-Unis-Mexique). Or, à mesure que les pénuries d’eau se feront plus criantes, notamment dans le sud des États-Unis, il est à prévoir que l’eau va gagner en valeur et que la non-rentabilité ne sera plus un frein à l’exportation de l’eau. Il y a donc un risque que nos lois soient contestées en vertu en vertu de notre Accord de libre-échange, l’ACEUM, auparavant l’ALÉNA. Tant que l’eau n’en est pas exclue des accords, nos lois interdisant l’exportation de l’eau pourraient donc être contestées, voire invalidées.

La formation politique que je représente, le Bloc Québécois, est mobilisée depuis très longtemps pour éviter ce problème. En 2007, nous avons fait adopter par la Chambre des communes une motion demandant au gouvernement du Canada d’entamer rapidement des pourparlers avec les gouvernements mexicain et américain pour exclure l’eau de l’ALÉNA. À l’occasion des négociations sur l’accord actuel, cela n’a toujours pas été fait. Nous militons toujours aujourd’hui pour protéger nos ressources hydriques de ce risque. Le Québec doit absolument conserver la pleine et entière souveraineté sur les ressources en eau.

L’eau est une ressource plus fragile et moins renouvelable qu’on le pense.  Environ 1 % de nos réserves d’eau se renouvellent chaque année. Des prélèvements massifs pour l’exportation viendraient diminuer les ressources et remettre en cause tout l’écosystème québécois.
 

Accorder une personnalité juridique à l’eau

Or, au Québec, il y a un fort consensus contre les exportations massives d’eau : il est hors de question que des accords commerciaux remettent en cause cette interdiction. Des juristes québécois ont aussi bien observé les possibilités. Par exemple, accorder une personnalité juridique à l’eau. S’il est possible d’accorder une personnalité juridique à une société privée, pourquoi pas au fleuve Saint-Laurent ? Pourquoi pas aux nombreux cours d’eau de notre planète dont notre survie à tous dépend ?

Le Bloc québécois a donné son appui aux résolutions suivantes :         

1. L’abolition immédiate par décision des gouvernements des États souverains des deux mesures précédentes (à savoir : l’ouverture aux marchés des produits dérivés des transactions financières sur les contrats à long terme sur l’eau ainsi que la création d’entreprises Natural Assets Corporations - NAC);

2. L'arrêt de la monétisation de la nature;

3. La création d’un comité mondial des citoyens pour la sécurité hydrique mondiale;

4. La convocation, par initiative parlementaire, d’une conférence mondiale en 2025 pour la définition et l’approbation impérieuses d’un nouveau système financier coopératif mondial responsable, et non pas prédateur de la vie de la terre.