Les nouveaux défis syndicaux

2022/05/17 | Par Pierre Dubuc

Le programme des travailleurs étrangers temporaires, c’est la nouvelle porte d’entrée de l’immigration au Canada. Notre chroniqueuse Anne Michèle Meggs a bien documenté le phénomène dans une série d’articles sur notre site Internet et dans l’édition papier de l’aut’journal. Ce phénomène, Daniel Cloutier – récemment élu par acclamation à la direction d’Unifor Québec à la suite du départ à la retraite de Renaud Gagné – le vit sur le terrain.

« Des groupes spécialisés dans le recrutement de travailleurs étrangers nous contactent pour que nous présentions ‘‘leurs’’ travailleurs aux employeurs. La première image qui me vient en tête, c’est celle des marchands de bétail…  Les travailleurs ne sont quand même pas des produits de consommation ! Il faut ramener de l’humanité là-dedans ! », s’indigne Daniel Cloutier.

La présence des travailleurs étrangers dans le secteur agricole est bien connue. Mais la pénurie de main-d’oeuvre dépasse largement ce cadre. « Nous en voyons, par exemple, arriver dans les usines de panneaux de bois, de plastique, dans l’hôtellerie. Il y a des hôtels, syndiqués chez nous, où il manque 25 % de la main-d’œuvre. Nos travailleuses, nos travailleurs veulent du renfort », constate-t-il.

Un des enjeux est de savoir si, confrontés à des problèmes, ces travailleuses et travailleurs étrangers seront pris en charge par la Direction des ressources humaines de l’entreprise ou par le syndicat. « Par exemple, si un travailleur se blesse, il faut qu’il sache qu’il a des droits. Si la CNESST refuse le dossier et que son employeur l’oblige à accepter d’être transféré vers des travaux légers en le menaçant de le renvoyer dans son pays, le travailleur va accepter par crainte d’être placé sur une liste noire et ne plus pouvoir revenir l’an prochain », raconte celui qui était responsable de la santé-sécurité au travail chez Unifor au cours des neuf dernières années.

Pour éviter que le travailleur soit à la merci du patron, Daniel Cloutier réclame un transfert de fonds de l’entreprise au syndicat pour qu’il s’occupe de ses besoins de base. « Leur accueil dans nos milieux de travail, ça va plus loin que l’application de la convention collective. Il y a la question de la langue, du logement, de l’intégration », soutient-il.
 

La transition énergétique

Les changements climatiques, la nécessaire transition énergétique, un autre grand thème à la Une des médias qui atterrit concrètement sur le plancher des usines. Différents projets sont envisagés : Diesel vert chez Suncor, électrification des véhicules chez Bell, remplacement du plastique par du bois ailleurs. Il y a aussi des initiatives syndicales. « Un de nos syndicats a gagné un prix pour le recyclage des masques COVID. »

Mais la transition n’est pas sans créer des chamboulements. Le nouveau directeur d’Unifor les résume ainsi : « Comment concilier deux objectifs : le maintien de l’emploi et la décarbonisation ? Ça implique des discussions avec l’employeur, mais aussi des discussions, souvent difficiles, avec nos membres. Mais nous n’avons pas le choix. On ne peut pas attendre que le niveau de l’eau soit monté de trois pieds avant d’agir », lance-t-il.

Le secteur des concessionnaires automobiles est révélateur. « La voiture électrique demande moins d’entretien. Et les compétences requises sont différentes. Dans un avenir prévisible, on aura davantage besoin de techniciens en électronique que de mécaniciens. Certains devront être formés pour acquérir ces nouvelles compétences. D’autres devront être recyclés », souligne l’ancien employé de Purolator qui, après cinq ans à la présidence de son syndicat local est devenu, en 1997, permanent syndical, responsable du secteur des industries pétrolières et pétrochimiques chez Unifor. Un poste qu’il a occupé jusqu’en 2013.
 

Vers des États généraux du mouvement syndical

Avec plus d’une trentaine d’années d’expérience dans le mouvement syndical, Daniel Cloutier est bien conscient de son évolution. « Nous sommes à une époque où dominent l’instantanéité et l’individualisme. C’est souvent en porte-à-faux avec nos valeurs, le syndicat étant un mouvement collectif. »

Pendant la pandémie, les syndicats ont dû tenir des assemblées virtuelles. Daniel en tire certaines conclusions : « Les gens sont plus difficiles à mobiliser. C’est plus facile de faire valoir son point de vue et convaincre quand on a un contact direct. Cependant, on a noté une augmentation de la participation aux assemblées. Ces formes hybrides de participation ne sont pas simples à gérer. Il va falloir domestiquer tout cela. Nous n’avons pas le choix », conclut-il.

Il se félicite que le taux de syndicalisation au Québec tourne toujours autour de 40 %. « On se maintient, mais rien n’est assuré. Il faut un repositionnement de nos services », déclare-t-il en précisant qu’un de ses premiers objectifs en tant nouveau directeur est de revoir l’organisation du travail des permanents de son organisation et des services offerts aux membres. « Les besoins exprimés par les membres se multiplient. La tâche des employés s’accroit. Et les congés maladie augmentent… Nos permanents parcourent d’énormes distances en voitures chaque année. Le recours à des formes de télétravail se pose. »

Dans la perspective du renouveau syndical, Daniel salue l’initiative de la tenue des États généraux du mouvement syndical. Unifor organise, dans ce cadre, ses propres États généraux qui auront lieu l’automne prochain.
 

Legault déçoit

Au plan politique, Daniel se dit « déçu et critique » quand on lui demande son opinion sur le gouvernement Legault. Il a toujours à travers la gorge la réforme de la santé-sécurité au travail, qui s’est traduite par des pertes pour les travailleuses et les travailleurs. « Il n’y avait pas d’urgence. Faire adopter une telle réforme en période de démobilisation à cause de la COVID et faire accroire que c’est de la ‘‘modernisation’’, je qualifie ça de sournoiserie. »

Pas étonnant que ses attentes ne soient pas très élevées en vue des prochaines élections. « Pendant la pandémie, il était inévitable de se rallier derrière l’autorité. Maintenant, il faut plus de sens critique. » Dans cette perspective, l’éclatement de l’opposition l’inquiète. On ne sait trop comment elle va se reformer, tout en notant que, dans le mouvement syndical, il n’y a plus de corrélation automatique entre syndicalisme et souveraineté.

Entretemps, Daniel Cloutier, qui a été marqué par deux dossiers dont il avait la charge – le lock-out de 14 mois (novembre 2007-janvier 2009) chez Petro-Canada (aujourd’hui Suncor) et la fermeture de la raffinerie Shell en 2020 – a comme priorité la solution du conflit à la cimenterie Ash Grove de Joliette, dont les travailleurs seront, le 22 mai prochain, en lock-out depuis un an ! « C’est notre lutte numéro un ! Soutenir ces travailleuses et travailleurs, et les ramener le plus rapidement possible au travail. »