Après deux ans de pandémie et de télétravail, j’ai enfin pu me rendre en République démocratique du Congo, le 23 avril dernier, pour voir sur place comment se déroule le projet de coopération que ma Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a développé avec trois syndicats de l’éducation, la FENECO-UNTC, la CSC-Enseignement et le SYECO.
Ce projet vise à mettre sur pied des cercles d’étude dans les établissements scolaires afin que les enseignantes et enseignants se réunissent régulièrement pour discuter des problèmes qu’ils rencontrent et cherchent des solutions. Il est subventionné par la CSQ, un syndicat suédois (Lararforbundet), et l’Internationale de l’éducation.
Le modèle des cercles d’étude s’inspire de la pédagogie de la libération développée par Paolo Freire au Brésil et de l’arbre à palabres africain, un modèle qui ramène aux racines du syndicalisme où des travailleuses et des travailleurs décident de s’unir pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent.
Kinshasa, 17 millions d’habitants
Mon périple a débuté à Kinshasa, où j’ai été accueilli chaleureusement par les trois secrétaires généraux des syndicats engagés dans le projet, Augustin Tumba, Cécile Tshiyombo et Valéry Nsumpi. Chaleureusement n’est pas un euphémisme. À la chaleur de l’amitié que nous avons développée au fil des ans s’ajoute la chaleur tropicale et humide de Kinshasa, la première ville francophone du monde avec ses 17 millions d’habitants. Une ville grouillante, bruyante, effervescente, qui ne dort jamais.
J’étais impatient de savoir si notre projet, qui a débuté en 2017 et qui a été implanté au cours de trois phases successives dans 270 écoles de neuf régions du Congo, avait survécu aux perturbations causées par la COVID et la fermeture des écoles.
Ma première rencontre a eu lieu avec Placide Mambuve de Bandundu, où les cercles d’étude ont été implantés dans la première phase du projet en 2017. «Ils fonctionnent toujours, m’a-t-il dit. Ils sont répartis dans les trois réseaux scolaires : public, confessionnels catholique et protestante. On s’entend avec les autorités régionales de l’éducation et les chefs d’établissement pour pouvoir se réunir dans les écoles.»
« Nous discutons d’une foule de sujets, comme le pouvoir d’achat, le paiement des salaires, les mesures disciplinaires, le fonctionnement du syndicat… On réussit à régler beaucoup de problèmes sociaux. Dans les écoles conventionnées catholiques par exemple, des enseignants ont été congédiés pour des problèmes d’immoralité, parce qu’ils avaient deux femmes. Grâce aux discussions que nous avons eues dans les cercles d’étude, on a réussi à démontrer que, dans certains cas, il s’agissait de fausses accusations et les enseignants ont pu réintégrer leur poste. Certains enseignants ont décidé de quitter leur deuxième femme pour conserver leur poste. Dans les autres cas, on a obtenu qu’ils soient mutés dans des écoles publiques. »
Des années avant de recevoir une première paye
Un autre problème concerne le versement des salaires. Cela peut prendre des mois, voire des années, avant que les enseignantes et enseignants nouvellement embauchés, que l’on appelle les nouvelles unités (NU), reçoivent leur première paie. Ce problème a été discuté dans tous les cercles d’étude; nous avons fait part de ce problème au niveau national et envoyé la liste des NU qui ne recevaient pas de salaire. Avec la pression venant de plusieurs régions du pays, les syndicats nationaux ont pu obtenir une entente avec le gouvernement selon laquelle les NU seront payés en avril ou en mai. « Cependant, déplore Placide, il n’y a pas d’effet rétroactif. C’est un grave problème, et les NU sont nombreux. »
Après quelques jours à Kinshasa, je me suis rendu à Lubumbashi dans le sud-est du Congo, où j’ai rencontré des groupes d’enseignantes et d’enseignants dans six écoles.
Le principal sujet de discussion concernait l’implantation en 2019 de la gratuité dans les écoles primaires au Congo. Si tous s’entendent pour dire que la gratuité est une bonne chose et qu’elle a permis à de nombreux enfants, surtout des filles, d’avoir accès à l’éducation, la manière de procéder entraîne beaucoup de problèmes.
Ainsi, le gouvernement congolais n’a pas construit de nouvelles écoles pour accueillir ces nouveaux élèves. Si bien que, dans une classe où il y avait 50 élèves, il y a maintenant entre 80 et 100 élèves. « C’est catastrophique pour les élèves qui présentent un retard scolaire, affirme une enseignante. Comment voulez-vous que je m’occupe d’eux ? Il y a 89 élèves dans ma classe ! »
« La qualité de l’éducation a beaucoup souffert depuis l’implantation de la gratuité, confirme une autre enseignante. On manque de matériel, les élèves s’entassent à trois ou quatre par pupitre, il n’y a pas suffisamment de cahiers scolaires. Il n’y a pas d’ordinateurs ni d’imprimantes pour les enseignants. »
Un autre problème important concerne la prime de la gratuité versée aux enseignantes et enseignants des écoles primaires. Avant 2019, les parents payaient des frais pour envoyer leurs enfants à l’école publique. Ce qu’on appelait « la motivation des enseignants ».
Pour remplacer ces frais payés par les parents, le ministère de l’Éducation octroie une prime. Une bonne idée à première vue. Cependant, cette prime varie selon les écoles. Ainsi, dans les écoles dites de prestige, surtout catholiques, les enseignants reçoivent une prime mensuelle de 200 000 francs congolais (100 dollars américains). Mais dans les autres écoles, cette prime n’est que de 30 000 francs congolais (15 dollars américains).
« C’est une grave injustice, se sont exclamés en chœur les enseignants que j’ai rencontrés. Nous avons tous la même formation, nous faisons tous le même métier, nous devrions recevoir la même prime. Devrions-nous faire la grève ? »
Les mines de Kolwezi
Après Lubumbashi, je me suis rendu à Kolwezi, un voyage de 7 heures en autobus. Kolwezi est l’une des principales villes minières du Congo, où se retrouvent les principales réserves mondiales de coltan et de cobalt, deux métaux stratégiques pour les équipements électroniques utilisés dans les téléphones cellulaires et les voitures électriques.
Sur la route, l’autobus s’arrête à un point de contrôle pour la COVID. Tous les passagers descendent, on prend leur température pour vérifier que personne ne fait de fièvre. À mon tour, l’infirmier m’interpelle : « Vous êtes Canadien, vous venez travailler pour la compagnie minière ? Vos compatriotes sont déjà arrivés. Il y avait 20 Canadiens dans l’autobus précédent. »
Je lui réponds que non, j’accompagne des syndicalistes de l’éducation. Il me souhaite la bienvenue. De fait, les minières canadiennes sont très présentes au Congo, de même que les minières chinoises. Malheureusement, ces ressources qui font du Congo l’un des pays les plus riches au monde ne percolent pas dans la population congolaise qui vit dans l’extrême pauvreté. Une conséquence du néocolonialisme où ce sont les acheteurs qui fixent les prix et où les minières n’hésitent pas à corrompre les autorités pour mener leurs activités lucratives.
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