Langue et culture communes

2022/05/20 | Par Maxime Laporte

Comme disait Pierre Bourgault en 1966 :

« La raison principale [pour laquelle] nous parlons mal, c’est que la langue française, chez nous, n’est ni utile ni nécessaire. Un menuisier a une égoïne. S’il ne s’en sert pas, il ne l’affilera pas. Un Canadien français a une langue. S’il ne s’en sert pas, il ne l’améliorera pas. Il va plutôt tenter d’améliorer la langue qui lui sert, l’anglais. » (…)

Il n’y a essentiellement qu’au Canada où, pour des raisons historiques, politiques et économiques, le français pâtit d’un statut de seconde zone qui, hélas, le destine à une certaine médiocrité. Au Québec, malgré de belles avancées au chapitre de l’alphabétisation et de l’acquisition de compétences en français depuis les années 1960, liées entre autres à la démocratisation de l’éducation ainsi qu’à la reconquête (partielle) de nos institutions qui auront fait naître une nouvelle élite, toujours est-il que le français n’a pas encore su détrôner l’anglais comme langue de première zone en ce pays. Et pourquoi donc ?

Cela peut s’expliquer en ce que, justement, ce processus d’émancipation de la nation et donc du statut de notre langue s’est tout simplement arrêté en chemin, si bien que chez nous, la maîtrise du français n’est toujours pas valorisée en tant que condition sine qua non de la promotion sociale. (…)

Pour conjurer ce mauvais sort, il s’agirait de saisir tous les leviers de l’État afin de faire de notre langue nationale, non seulement la seule langue normale, habituelle et commune au Québec comme le veut la loi 101, mais aussi la seule langue véritablement utile, puissante et... payante.
 

Le français, dans un pays normal

Le français devrait s’imposer ici comme la langue absolument incontournable du succès, de l’émulation, du dépassement de soi, cela dans tous les domaines les plus prestigieux de la vie collective ; du sport professionnel au secteur bancaire en passant par le monde de l’art, de la culture, de la politique, du droit, de la recherche universitaire, de la haute technologie, etc.

Une fois de plus, un tel programme supposerait de faire du Québec un pays à peu près normal au plan linguistique. Dans ce pays, l’excellence en français se traduirait, pour tout un chacun, par l’excellence dans la vie. Et l’excellence dans la vie supposerait obligatoirement l’excellence en français. (…)

D’aucuns pensent que c’est en s’emparant de l’économie, en s’enrichissant collectivement, que nous arriverons à gréer le français d’un statut aussi enviable. Ceux-là n’ont pas tort. C’est bien la voie à suivre. Logiquement, si le français était clairement la langue dominante des affaires et de la vie publique, nous n’en serions sans doute pas au point où nous sommes. Même qu’en théorie, des compromis quant à la présence de l’anglais seraient peut-être pensables.
 

Nous plafonnons

Mais, depuis la Révolution tranquille, l’histoire nous a mille et une fois démontré que, dans cette quête d’affranchissement, notre nation est déjà manifestement allée au plus loin de ce que lui permettait sa condition provinciale. En effet, nous plafonnons. Nous plafonnons tellement que nous descendons par rapport à d’autres qui, eux, montent.  (…)

Trop souvent, nos meneurs se complaisent dans l’idée que la loi applicable en notre propre maison soit, en réalité, celle du voisin. Un voisin qui, en l’occurrence, parle tout autrement, et qui n’a que faire, au fond, de notre language ; de notre culture, de notre existence. Dans ce contexte, comment peut-on réalistement faire du français la langue souveraine dans ce Québec où nous ne sommes encore que locataires ?

Comment peut-on sérieusement espérer en faire la véritable langue de l’économie, et donc la langue de la promotion sociale, et donc la langue qui soit la mieux parlée et la mieux maîtrisée, si ce n’est en imposant, enfin, notre propre loi dans notre propre maison, c’est-à-dire en en devenant propriétaires de plein droit ? (…)

La nation québécoise n’est assurément pas la seule ici-bas à évoluer dans l’ombre de l’empire américain. En revanche, elle compte parmi les rares nations riches et industrialisées à ne pas contrôler l’ensemble des leviers juridiques et politiques disponibles en matière de culture et de télécommunications. Tel est, en vérité, le problème fondamental qui nous « distingue » à l’échelle universelle, et qui entraîne concrètement notre déchéance, là où les peuples libres et normaux n’ont pas à composer, pour la plupart, avec pareils dispositifs.