Marilène Gill, la députée de Manicouagan et whip adjointe du Bloc Québécois et la députée du Parti Conservateur Marilyn Gladu de Sarnia Lampton ont tour à tour déposé des projets de loi pour assurer la protection des rentes des personnes retraitées en cas de faillite d’entreprise ! Car ce n’est pas d’hier que des projets de loi dans ce sens sont déposés à la Chambre des communes. Mais aucun d’entre eux n’a malheureusement été adopté, bien qu’un tel changement législatif soit nécessaire.
Il suffit de penser aux milliers de retraités qui voient leur rente amputée de sommes importantes par suite de la faillite de leur ancien employeur. Ces personnes se retrouvent prises en souricière et, la plupart du temps, sans aucun moyen de s’en sortir. Imaginez que votre revenu soit coupé de 20, 30 ou même 40 % et qu’il vous soit impossible de pallier cette perte. C’est pourtant ce qui est arrivé à bon nombre de personnes retraitées au fil du temps.
Les clauses de disparités de traitement
Presque qu’en même temps, à Québec, le ministre du Travail Jean Boulet annonçait qu’il laissait 5 ans aux associations syndicales et patronales pour qu’elles abolissent les clauses de disparités de traitement relatives aux régimes de retraite dans leurs conventions collectives. Cette annonce fait suite à un avis que le ministre a sollicité auprès du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM). Le CCTM recommande au ministre de laisser libre cours aux négociations et de faire le point d’ici 2027. À ce jour, il y aurait près de 80 conventions collectives qui prévoient toujours des clauses de disparités de traitement relatives aux régimes de retraite.
Voilà deux initiatives dont on ne peut que se féliciter. Comme on dit : « y’était temps ! » Toutefois dans les deux cas, on est loin de la coupe aux lèvres. Pour ce qui concerne le projet de loi du Bloc – si je ne me trompe pas – nous en sommes à la 6e tentative depuis 2017. En ce qui concerne l’abolition des clauses de disparités de traitement – bien que la négociation entre les parties soit la voie à suivre – ce sera, dans certain cas, une voie qui comportera son lot de difficultés. L’élimination d’une disparité de traitement ne veut pas nécessairement dire d’augmenter toutes les travailleuses et les travailleurs qui sont désavantagés. Ça peut aussi vouloir dire le contraire ! Ou de ramener tout le monde au milieu.
Malheureusement, le projet de loi du Bloc et l’annonce du ministre sont passés un peu sous le radar. Ce n’est pas étonnant. Avec, entre autres, la guerre en Ukraine, la pandémie qui ne finit plus de finir et l’inflation galopante, c’est difficile de faire la une avec ce genre de nouvelle.
Pourtant, le sujet de la retraite mériterait une réflexion globale de la part de nos politiciens et de la population en général. La protection des rentes de retraite en cas de faillite d’entreprise et la disparition des clauses de disparités de traitement sont souhaitables et nécessaires. Cependant, ce sont des initiatives qui ne règlent en rien la pauvreté qui attend les milliers de travailleuses et travailleurs qui n’ont accès à aucun régime de retraite privé. Avec la démographie du Québec, ce problème de pauvreté à la retraite ne fera que s’accentuer.
Le système actuel à trois paliers
Au Québec, il y a plusieurs années, le choix a été fait d’instaurer un système de retraite qui nécessite d’avoir accès à un bon régime privé pour espérer une retraite décente. On présente souvent le système de retraite québécois comme un système à paliers avec un objectif de remplacement placé à 70% du revenu du travail avant la retraite.
Le premier palier est le régime public, qui assure un taux de remplacement du revenu du travail établi à 25 %. Ce taux sera progressivement augmenté à 33%. Dans certain cas, les personnes les plus pauvres peuvent avoir accès au supplément de revenu garanti de la pension de la vieillesse.
Le deuxième palier, ce sont les régimes de retraite privés. Ils sont à cotisation déterminée ou à prestation déterminée. Dans le cas des régimes à cotisation déterminée, vous savez combien d’argent est investi dans votre régime par vous et votre employeur, mais votre rente de retraite dépendra des aléas du marché. Dans le cas des régimes à prestation déterminée, c’est le montant d’argent qui doit y être investi qui fluctue selon les aléas du marché, afin de pouvoir garantir une rente prédéterminée à la retraite.
Le dernier palier, c’est l’épargne retraite individuelle, soit les régimes d’épargne-retraite (REER), les comptes d’épargne libre d’impôt CELI ou l’épargne personnelle. Par exemple, la valeur de votre maison.
Ce système fait en sorte que de nombreuses personnes ne bénéficient pas d’un revenu décent à la retraite parce qu’elles n’ont pas accès aux trois paliers.
Une proposition en cinq points
À mon avis, il est grand temps de changer la façon de voir la retraite au Québec. Il faut que les revenus de retraite soient constitués de rentes publiques décentes plutôt que de dépendre d’un accès ou pas à un bon régime privé et de l’épargne retraite accumulée durant notre vie active. À l’aube d’une campagne électorale, j’aimerais bien entendre un parti politique proposé une vision d’avenir concernant notre système de retraite.
Un régime constitué d’un seul palier, soit un régime public qui offre un taux de remplacement du revenu de travail suffisamment élevé pour que ce ne soit plus nécessaire de compter sur un régime privé pour espérer une retraite décente. Et que l’épargne personnelle soit une option et non une nécessité.
Ce régime serait administré de façon paritaire par des personnes représentant les travailleuses et les travailleurs et le patronat et qui auraient, entre autres, comme mission :
1. De s’assurer que la personne retraitée bénéficie d’une rente de retraite décente qui lui permette, entre autres, de se nourrir, se loger, se vêtir, et d’avoir accès à des loisirs de façon convenable;
2. Qu’il n’y est pas d’iniquité entre les hommes et les femmes;
3. D’assurer de la pérennité du régime;
4. D’informer et assurer la formation de la population québécoise sur le fonctionnement et la mission de ce régime;
5. Que les sommes investies dans ce régime servent au développement économique du Québec.
C’est le genre de débat de société que j’aimerais entendre pendant une campagne électorale. Les questions suivantes pourraient être soulevées :
1. Que voulons-nous pour nos retraités actuels et futurs ?
2. Pourquoi les travailleuses et les travailleurs, de même que les entreprises continueraient d’investir des centaines de millions de dollars dans des régimes de retraite privés qui ne profitent qu’à peu de personnes ?
3. Pourquoi tenter de réparer à la pièce un système qui fera toujours des exclus et sera source d’iniquité ?
Pour ma part, il m’apparait très clair qu’une retraite décente ne doit pas être une question de chance, mais un choix de société et qu’un débat s’impose.