L’épreuve de français de la 5e secondaire mise en échec

2022/06/01 | Par Piotr Jaranowski

Presque chaque année, l’épreuve unique de français de la cinquième secondaire s’attire des critiques. Cette année, des enseignants ont fait connaître leurs griefs dans les médias, mais leurs arguments sont peu fondés et les conclusions qu’ils en tirent sont erronées.

Dans Le Devoir, deux enseignants (Mélanie Gélinas et William Gabriel Rioux) déploraient le fait que l’épreuve actuelle ait été récupérée. En effet, le ministère a réutilisé la mouture prévue pour 2020, la tenue de l’épreuve ayant été annulée cette année-là. L’élaboration de chaque épreuve, l’édition et l’impression d’environ 60 000 cahiers représentent une dépense de millions de dollars. Ceci explique donc cela. Les auteurs regrettent que « le recueil de textes comporte des articles obsolescents, statuant des prévisions pour l’année 2021, et faisant l’économie totale de deux ans de pandémie ». Ces enseignants devraient pourtant savoir que chaque édition de l’épreuve comporte des articles « obsolescents ». Entre le moment de la préparation d’un sujet et celui où les élèves se livrent à la rédaction, des mois se sont écoulés. Et des articles datant d’années précédentes figurent invariablement dans le dossier préparatoire de l’élève. Des données chiffrées ou des prévisions y sont toujours dépassées. Les correcteurs de l’épreuve ont l’habitude de devoir moduler leur correction en fonction de cette réalité et de la confusion que peuvent causer certaines informations du dossier.

De cette mécompréhension du fonctionnement de l’épreuve et de sa correction, les auteurs en viennent à une conclusion étonnante : « Cette situation témoigne bien de la passivité envers le milieu de l’enseignement et de l’intérêt envers nos apprenants. » Or, l’épreuve est destinée aux apprenants. Celle de la cinquième secondaire, bien qu’elle survienne au bout du parcours scolaire des adolescents, n’a pas pour seule fonction celle de la sanction des études. Son existence impose à l’élève de s’y préparer, d’où sa valeur pédagogique. « [N]ous encourageons toute la société [...] à demeurer sensible au manque de respect dont nous faisons les frais », ajoutent les auteurs. Mais rien, dans cette version de l’épreuve, ni dans la façon dont elle a été administrée, ne laisse entendre quelque manque de respect que ce soit. Elle a invité, comme les moutures passées, les élèves à un travail de réflexion et d’analyse, puis de rédaction.

D’autres ont évoqué le fait que seuls certains élèves avaient eu droit à un dictionnaire numérique (comme Antidote ou Usito). Or, il serait peu prudent de prescrire l’usage d’un dictionnaire numérique à ceux n’ayant pas appris en classe comment s’en servir. Dans le contexte d’un examen, qui impose un certain stress, le mieux pour tout élève est de pouvoir compter sur les outils dont il sait bien se servir. L’implantation des outils numériques est inévitable. Elle est assortie aux réalités de la culture numérique, mais nous y entrons graduellement. La période actuelle en est une de transition et l’on ne saurait attendre que toutes les écoles soient adéquatement « branchées » pour permettre aux élèves qui y ont été formés d’utiliser les dictionnaires numériques. De même, ceux qui toute l’année ont utilisé le dictionnaire papier devraient pouvoir compter sur lui pendant un examen.

Dans Le Journal de Montréal, cette disparité incitait un enseignant, Sylvain Dancause, à « s’interroger sur la pertinence de l’examen ». Mais la pertinence d’un examen ne se mesure pas à la variété des dictionnaires utilisés. Pour mieux soutenir la remise en question qu’il estime nécessaire au sujet de cette épreuve, l’auteur prétend rapporter des propos de correcteurs, selon qui « il [serait] pratiquement impossible d’y échouer ». Bon an, mal an, le taux d’échec à l’épreuve est d’environ 20 %. Il ne s’agit pas d’une épreuve d’excellence ou d’élite. Elle sert plutôt à vérifier si les jeunes ont acquis une connaissance du français, une capacité d’analyse et une compétence en écriture jugées suffisantes pour leur niveau d’instruction. Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance l’auteur, l’orthographe n’est pas la seule cause de l’échec des élèves. La note de l’examen est déterminée par la somme de cinq critères de correction. La moitié de la note est attribuée au discours et l’autre moitié, à la langue. Il est vrai que, pour la plupart des élèves, c’est la rédaction sans faute qui représente la plus grande difficulté. Cela ne signifie pas pour autant que les autres aspects de l’épreuve sont sans importance. De fait, l’élève risque l’échec s’il les néglige.

Dans son texte, M. Dancause cite les propos d’un enseignant, Mathieu Bernière, qui trouve l’épreuve absurde. Contrairement à ce qu’il affirme, il n’y a rien d’absurde au fait d’inviter les jeunes de cinquième secondaire à rédiger une lettre ouverte de 500 mots en trois heures. Ils en sont capables et y réussissent en grand nombre, certains avec brio, d’autres avec difficulté. Ceux qui y échouent ont la chance de se reprendre. M. Bernière évoque « le plaisir [que devraient avoir les élèves] d’exprimer leur point de vue ». Pour ma part, j’ai rarement eu du « plaisir » à me livrer à des examens. En ai-je conclu pour autant qu’ils étaient absurdes? Tous les jeunes sont en mesure de comprendre pourquoi ils passent un tel examen et je suis persuadé que tous ceux qui le réussissent en retirent beaucoup de satisfaction. Les plus doués peuvent voir leur texte sélectionné et publié sur le site du ministère. Mais on ne saurait exiger de tous les élèves qu’ils aient une maîtrise totale de la langue pour reconnaître leur réussite à ce genre d’épreuve, qui consacre la fin de leurs études secondaires.

Enfin, on peut comprendre que l’épreuve de français de cinquième secondaire fasse l’objet de critiques : elle n’est assurément pas parfaite. Cependant, il est dommage que des acteurs du milieu de l’éducation remettent en cause avec autant d’ardeur l’un des outils servant à favoriser l’apprentissage du français chez les jeunes Québécois. Ces enseignants ont tous à cœur le français et la formation des élèves, sans quoi ils ne prendraient pas la peine d’écrire à ce sujet dans les journaux. Cependant, il n’en va pas autrement des personnes qui œuvrent à préparer et à corriger l’épreuve. Hélas, tous ces réquisitoires ne peuvent qu’alimenter le cynisme du grand public quant aux moyens servant à vitaliser la langue française au Québec. Malgré ses défauts (dont un certain décalage quant à l’actualité des informations fournies), elle est nécessaire pour évaluer de manière uniforme les compétences d’analyse et de rédaction des élèves, qu’ils se destinent au marché de l’emploi ou aux études supérieures.