J’ai lu un livre dernièrement qui m’a fait beaucoup réfléchir à une certaine conception du Québec que j’identifiais à tort à de la maturité politique même si cela a un certain sens. Il s’agit du livre La nation qui n’allait pas de soi (VLB) de Alexis Tétreault.
« La thèse centrale du livre est… que la perspective de sa propre disparition a été un élément moteur de l’action politique qui a permis à la nation québécoise de s’affirmer et de perdurer. À l’inverse, le fait de considérer, sociologiquement, linguistiquement, et, bien entendu politiquement, la nation québécoise comme un acquis ferait émerger un risque existentiel inédit. »
On reconnait là avec l’auteur une certaine conception du Québec, surtout répandue à gauche, qui en fait une « majorité » alors que la nation, que l’on peine à évoquer comme une réalité, chez les anarchistes entre autres, est toujours belle et bien minoritaire, une minorité bien réelle sur laquelle s’exerce un pouvoir politique abusif.
Qu’est-ce qui donne cette assurance ? Le fait que l’on ait un parlement, qu’il y ait des représentants de la gauche en Québec Solidaire à l’Assemblée Nationale? Que le fait soit reconnu, même par le triste Jean Charest, que la nation pourrait très bien survivre seule à l’indépendance? Je ne sais trop. Peut-être l’idée qu’il est maintenant péjoratif d’être une victime : une victime de l’oppression que fait peser sur nous le Canada tout entier et le reste de l’Amérique anglo-saxonne n’apparaît pas très glorieux et une certaine droite a imposé un discours qui discrédite le fait de s’identifier aux « victimes » de l’exploitation, de l’oppression ou de la violence politique. Il n’est pas bien vu de se référer à toutes les victimes de l’impérialisme pour asseoir les bases de sa solidarité. C’est même avec un sentiment réprobateur que l’on évoque la soi-disant « victimisation ».
Ainsi est-il vu comme péjoratif de s’identifier aux peuples du Dombass parce que cela ferait pro-russe comme la propagande de l’OTAN le fait croire ? Pourtant le mouvement indépendantiste québécois s’identifie à celui de la Catalogne. Connivences occidentales racistes ? Peut-être. En tout cas on ne parle pas, sans susciter l’indignation chez son interlocuteur, d’une solidarité avec les «séparatistes» du Dombass, le mot « séparatiste » étant lui-même entaché de mépris depuis que les fédéralistes l’utilisent pour discréditer les indépendantistes.
Ainsi donc ce sentiment d’être une majorité, qui ferait en sorte que l’on devrait se soucier de la façon dont on respecte les droits des minorités (femmes musulmanes, autochtones, racisés, …), et le peuple québécois se méfiant de ses propres abus dans ce sens, n’aurait de préoccupations que secondaires pour ces droits des minorités. Ce n’est pourtant pas ce que confirme une histoire commune du vivre-ensemble des Québécois toujours ouverts à accueillir immigrants, réfugiés ou l’autre venu d’ailleurs comme le prouve maintes chansons consacrées à l’étranger.
Donc, non pas replié sur nous-mêmes, mais soucieux de notre avenir commun avec le reste de la planète, toute la nation, derrière Legault, veut rapatrier les pouvoirs en immigration. Partant du point de vue que la CAQ est de droite et qu’elle limitera abusivement et arbitrairement l’accueil de nouveaux arrivants, la gauche, prétextant notre statut de majoritaire en Amérique (ce qui est paradoxal avec notre réalité objective), penche faiblement pour appuyer cette revendication qu’elle considère être le prélude à des abus de pouvoirs envers les immigrants « refusés » ou minoritaires.
C’est ce que j’ai compris du danger de se considérer comme majoritaires parce que nous disposons d’un tout relatif pouvoir, toujours provincial, dont se satisfait Legault comme fédéraliste. En fait, seuls les indépendantistes conséquents, se méfiant ou continuant de se méfier de notre statut de minoritaires, cherchent des protections à notre « minorisation » comme peuple en réclamant des pouvoirs en immigration pour contrôler nos frontières gérées à notre détriment par le fédéral.
Certains voient dans le fédéral le prétendu protecteur des minorités ou des futurs immigrants, alors qu’il ne protège que les privilèges des anglophones et un pouvoir fédéral sur notre nation. Cela devrait éveiller, à gauche comme chez les anarchistes, sur la nécessité d’appuyer Legault, un homme de droite et fédéraliste, quant à ses prétentions d’obtenir du fédéral des pouvoirs supplémentaires pour le Québec, même si Legault imposerait avec ces pouvoirs des limites à l’immigrations et aux droits des enseignantes musulmanes à porter le voile contre les valeurs républicaines des Québécois. Ces limites ne seront que l’exercice d’un pouvoir québécois, arraché au Canada impérialiste, sur nos frontières qui pourront être compensées par la volonté des Québécois de les ouvrir sans menacer la minorité que nous sommes, vulnérable à une minorisation supérieure dans le contexte canadien et nord-américain.
En fait, une récupération de pouvoirs impériaux du fédéral par le Québec devrait être vue comme une victoire sur le vrai pouvoir qui abuse des minorités comme faire valoir de ses propres prétentions. L’instrumentalisation du sort des minorités ou des immigrants ne tient pas compte que nous sommes nous-même une minorité menacée dans ses droits et pouvoirs sur son propre sort.
Tétreault démontre bien dans son livre que le sentiment de vulnérabilité qui s’estompe à la suite de la fausse conception d’un Québec majoritaire risque d’atténuer la mobilisation politique des Québécois, particulièrement à gauche, à cause d’un faux sentiment de sécurité entretenu par des anarchistes ou des gens de gauche qui n’ont de penchant que contre un nationalisme qu’ils disent conservateur au nom d’un progrès qui signifierait une régression pour le Québec en direction d’un fédéralisme soi-disant protecteur des minorités.
Celui-ci n’a d’ambition que de perpétuer la négation de retour de pouvoirs légitimes au Québec pour sa pérennité et du droit à l’autodétermination politique du Québec sans considération pour une gauche s’illusionnant ou des anarchistes abusés par un pouvoir supérieur qu’ils n’entendent pas contester par aveuglement sur un nationalisme soi-disant conservateur. En fait, ce nationalisme, prenant fait et cause pour la patrie, avec toutes les inconséquences qu’entretient son fédéralisme avoué, fait le pari de progrès pour le Québec qui n’ont rien à voir avec le conservatisme, mais tout à voir avec une saine ascension du Québec vers la souveraineté que de plus en plus de peuples du monde réclament maintenant face à l’impérialisme américain.