KJT, un athlète du rap

2022/06/08 | Par Julien Beauregard

Ce printemps, la deuxième saison de la compétition de rap La Fin des faibles a été diffusée sur les ondes de Télé-Québec. Le gagnant de la compétition de cette année, Emmanuel Cormier Cotnoir alias KJT, s'est confié à L'aut'journal à propos de son parcours, de sa participation à La Fin des faibles et de la vitalité de la scène rap au Québec.

Son intérêt pour ce qu'on appelle le rap québ s'est développé dès l'école secondaire dans la région de Québec. Sa sensibilité pour ce milieu vivant et diversifié l'a amené à animer pendant 10 ans l'émission radiophonique Les Arshitechs du son, une émission consacrée au hip-hop sur les ondes de CHYZ, la station radio de l'Université Laval.

En plus de cela, il anime et participe à des soirées à micro ouvert ou d'improvisation musicale, ce qui constitue pour lui une salle d'entrainement. C'est son gym, nous dit-il. L'image n'est pas anodine. KJT est un artiste investi dans son art qui est dans une recherche constante de perfectionnement.

En effet, depuis 2008, il se manifeste sur différentes scènes, que ce soit du slam, un art poétique de compétition oratoire régi par des règles strictes, ou du rap dans ses différentes manifestations.

Il évoque entre autres une communauté dynamique et stimulante sur Internet permettant de confronter son propre matériel au jugement d'autrui, une activité qui exige d'avoir des reins solides. C'est que, comme partout ailleurs, sur Internet, la critique est facile et met à l'épreuve les égos les plus endurcis.
 

La Fin des faibles

La compétition internationale MC Challenge End of the Weak, que Télé-Québec, avec la participation d'Urbania, diffuse à la télévision (le Québec est le seul endroit où c'est le cas) pour une deuxième année, constitue ni plus ni moins que les olympiades de la scène rap québécoise.

Son existence précède sa diffusion sur les ondes publiques québécoises étant donné qu'elle s'inscrit dans un tournoi mondial créé en l'an 2000, qui rejoint 25 pays sur les cinq continents. Les défis qu'il faut relever incluent des épreuves d'improvisation et de groupe, des prestations individuelles et a capella. Le gagnant du tournoi québécois est appelé à représenter la nation lors de la finale mondiale tenue à New York, la Mecque du rap.

Comme tout athlète, KJT s'est entrainé sans demi-mesures, autant sur les scènes qu'à la maison en improvisant au moyen de mots imposés et d'autres stratégies de création. À ce sujet, il faut souligner qu'il propose des ateliers d'écriture dans les écoles pour aider à construire sa pensée et son discours. C'est une façon de mettre en pratique le résultat de sa propre expérience et de la transmettre aux autres.

Étant donné que le tournage a eu lieu après les Fêtes, en pleine 5e vague de la pandémie de Covid-19, des imprévus sont venus perturber les attentes des huit participants. En effet, ceux-ci devaient satisfaire les attentes des juges Koriass, Sarahmée et Souldia, mais le virus s'étant invité chez ce dernier, Manu Militari a été invité à le remplacer à pied levé alors qu'il était présent sur le plateau pour une prestation musicale.

De plus, ce début d'année s'est montré cruel envers la famille de Sarahmée alors que son frère Karim Ouellet est subitement décédé. Son absence momentanée pendant la compétition a permis à Marieme de se prêter au jeu. Et KJT ne pouvait qu'approuver notre commentaire selon lequel l'expérience de cette dernière dans le milieu rap mérite d'être soulignée.

Nous avons posé la question qui tue : et maintenant, New York ? KJT anticipe sa présence sur la scène de la finale internationale de cette compétition sans trop d'appréhension étant donné qu'aucune date n'a été annoncée pour la tenue de l'événement. Il a révélé également que JAM, le vainqueur de la première saison, l'accompagnerait comme coreprésentant québécois.

Contrairement à ce qu'on peut croire, nul besoin d'angliciser son art outre mesure pour la cause. KJT, qui s'intéressait à cette compétition au point d'avoir assisté à une édition antérieure en Suède, évoque la présence de juges sélectionnés en fonction des participants, ce qui implique une sensibilité à l'égard des langues de chacun.
 

L'effervescence du rap québécois

Avec KJT, nous avons constaté que la scène rap québécoise semble en plein éveil actuel, mais qu'en réalité, elle est bien présente depuis bientôt 30 ans. En effet, après Sans pression, Yvon Krevé, Dubmatique et Muzion qui sont parvenus à se faire entendre sur les ondes commerciales s'en est suivi un long passage à l'ombre.

KJT évoque l'impact de l'opération Scorpion à Québec en 2002, qui visait à démanteler un réseau de prostitution juvénile, mais donc les contrecoups ont été de pratiquement mettre à l'index ce qui était de «culture noire». L'organisation de spectacles ou de toute activité liée au hip-hop était devenue tout à coup ardue, comme si une chape de plomb s'était abattue sur toute initiative allant en ce sens.

Par contre, avec la révolution de l'industrie musicale causée par les innovations technologiques, les artistes ont fondé un écosystème parallèle, nous explique KJT. Une forme d'autosuffisance en a découlé, permettant une liberté d'action et de création.

À ce sujet, nous l'avons interrogé sur la parution de son premier album. Celui-ci s'intitulera Lettres de noblesse, car il voit cela comme un jalon dans son parcours créateur. Après sa victoire à La Fin des faibles, où il a reçu une récompense pour les efforts investis, mais aussi un coup de pouce pour sa renommée d'artiste.

Ce sera un album conçu comme un défi face à soi-même, puisqu'il entend le relever seul, sans aucun artiste invité, ce qui est de coutume dans ce milieu, car il entend donner à ce projet une signature qui lui est propre.

Ses lettres de noblesse, on pourrait déjà les attribuer à ce poète moderne. Les trompettes de l'apocalypse annonçant un sombre avenir pour le français au Québec ne sonnent pas pour ceux qui le cultivent et l'enrichissent perpétuellement.