Auteur de Nicaragua 2018 : racines de la crise
J’entends quelqu’un cogner. « Viens vite, Ovide, me dit l’étudiante, essoufflée après avoir couru à toute vitesse une bonne distance. Le papa où j’habite, qui est complètement ivre, vient d’agresser sa conjointe avec une machette. Elle est blessée! »
Je pars en courant, constate la situation dramatique, et me rend au poste de police à moto pour rapporter l’incident. « Je ne peux pas me rendre à la scène de la violence, me dit le policier. Je ne dispose pas de moyen de transport. »
Viens avec moi sur ma moto.
Au lieu de s’empresser, le policier me demande, « Pourrais-tu me donner de l’argent pour un paquet de cigarette? » Abasourdi par sa nonchalance et ce à quoi il accorde la priorité dans les circonstances, je refuse carrément.
Une fois que nous sommes sur la scène de l’incident, le policier, à mon grand étonnement, s’évertue à encourager la victime à ne pas porter plainte. Et lorsque le fils de celle-ci explique que l’agresseur, dans le passé, a menacé de tuer sa conjointe si elle portait plainte contre lui, c’est comme s’il lui annonçait qu’il pleut dehors.
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Cet incident se produisait lors d’un stage étudiant que j’organisais au Nicaragua.
C’est sans doute ma conscience aiguë de la violence que subissent les femmes au Nicaragua qui, aujourd’hui, suscite en moi un sentiment de révolte lorsque j’apprends que le gouvernement Ortega-Murillo vient de mettre la clé dans les 24 ONGs qui luttent pour la défense des droits des femmes en leur offrant, entre autres, de l’aide concrète en cas de violence conjugale.
Une révolte d’autant plus profonde que le fer de lance de cette répression, c’est la vice-présidente, Rosario Murillo, qui se proclame pourtant féministe et révolutionnaire.
C’est grâce à une répression brutale que le régime parvient à écraser l’insurrection populaire massive d’avril 2018: plus de 300 morts, exode de centaines de milliers de Nicaraguayens, fermeture des médias indépendants, ainsi que de 452 ONGs, dont 378 dans la seule année en cours.
Une centaine de journalistes se sont réfugiés à l’étranger. Certains se retrouvent en prison.
Dans les mois précédant les élections de novembre 2021, le régime, conscient qu’il va perdre des élections libres, prend les gros moyens : il emprisonne tout simplement les leaders de l’opposition.
Rappelons qu’en 1998, lorsque Zoilamerica accuse son beau-père Daniel Ortega de l’avoir abusé sexuellement comme adolescente durant la révolution sandiniste des années 80, Rosario Murillo, au lieu d’appuyer sa fille, se range du côté de son conjoint Daniel. Zoilamerica ne fait que mentir, affirme-t-elle.
Et lorsque des groupes de femmes, dont l’autonomie, sous la direction de Sofia Montenegro, s’est développée de façon remarquable durant la révolution sandiniste des années 80, dénoncent sans relâche l’impunité d’Ortega dans cette affaire, Rosario accuse Montenegro de recevoir du financement de l’empire américain. Elle n’est, insiste-t-elle, qu’un agent de la CIA!
L’impunité d’Ortega provient d’un pacte qu’il concluait en 1999 avec son grand ennemi politique traditionnel, le président conservateur Arnoldo Alemán. Les deux étaient passibles de poursuites légales : Alemán, pour fraude massive et détournement de fonds lors de l’ouragan Mitch d’octobre 1998, et Ortega, pour abus sexuel d’une mineure. Le pacte assure qu’ils siègeront à l'Assemblée nationale pour les deux prochains mandats, ce qui leur confère l’immunité parlementaire.
Lors de l’élection de 2008, Ortega et Murillo posent deux gestes opportunistes en vue de séduire le vote catholique conservateur : ils font bénir leur mariage par le grand ennemi de la révolution sandiniste des années 80, le cardinal Obando y Bravo; et ils amènent le FSLN, qu’ils contrôlent avec une main de fer, à appuyer, à l’assemblée nationale, une motion criminalisant tout avortement, même thérapeutique.
Rappelons que même durant la dictature de Somoza, l’avortement thérapeutique était permis.
Rosario Murillo martèle, dans ses entretiens télévisés à la nation chaque midi dans les médias dont sa famille détient le monopole, le slogan qu’elle a inventé pour le FSLN – socialiste, chrétien et solidaire. Elle vante les projets du gouvernement pour les pauvres, et les femmes en particulier, parle souvent du bon Dieu et de la Sainte Vierge, associe FSLN et force divine, et qualifie d’hypocrite et force diabolique toute voix dissidente.
Les leaders de l’Église catholique, qui reprochent au régime d’instrumentaliser la religion à des fins politiques, subissent aussi de la répression. Le 19 mai dernier, l’évêque de Matagalpa Mgr Rolando Álvarez initie un jeûne afin de protester contre la répression policière croissante qu’il subit. Faisant écho à Mgr Oscar Romero du Salvador, il affirme : « Arrêtez la répression! Libérez les prisonniers politiques! »
La réaction du gouvernement? Il ferme le poste de télévision du diocèse de l’évêque.
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