Une école publique qui respecte la liberté de conscience des élèves

2022/06/08 | Par Marie-Claude Girard

L’autrice est retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne
 

Plusieurs enseignantes et enseignants membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont dénoncé l’intervention juridique de leur syndicat contre la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21).1 Ils considèrent que la Fédération outrepasse son mandat et s’opposent à l’utilisation de leurs cotisations syndicales pour financer les frais de justice. Le départ du président Sylvain Malette2 ainsi que le congrès 2022 de la Fédération (du 27 au 30 juin), sera vraisemblablement l’occasion de faire valoir leurs points.

Rappelons tout d’abord que la Loi 21, qui s’applique entre autres au personnel des écoles publiques en position d’autorité, repose sur quatre principes, à savoir : (1) la séparation de l’État et des religions; (2) la neutralité religieuse de l’État; (3) l’égalité de tous les citoyens et citoyennes; et (4) la liberté de conscience et la liberté de religion. Voici un bref rappel des éléments soulevés lors des débats à la Cour supérieure qui expliquent l’importance de la laïcité de l’État dans nos écoles.
 

Pour une école sans influence indue

Il est tout d’abord impératif de rappeler l’importance d’une école sans influence indue, pour faciliter l’apprentissage des connaissances universelles et scientifiques et le développement d’un esprit critique et rationnel. Ce type d’apprentissage est essentiel pour former les citoyens de demain, capables de trouver des solutions aux défis qui nous entourent, tels les changements climatiques ou les pandémies. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a interdit la publicité dans les écoles et les manuels scolaires tout comme l’affichage des opinions politiques et des choix idéologiques des enseignants, de même que déconfessionnalisé les écoles publiques et retiré les crucifix des salles de classe.

Les enseignantes et les enseignants ne doivent donc pas faire valoir leurs croyances ni leurs points de vue dans le cadre de leurs fonctions. En affichant leurs signes religieux, ces enseignantes et enseignants vont à l’encontre de l’éthique professionnelle du milieu scolaire et sont en contradiction avec le projet éducatif de l’école publique devenue laïque, comme le rappelait Jacques Beauchemin, spécialiste en sociologie du Québec et en éthique sociale, lors des audiences à la Cour supérieure. Leurs croyances sont indiscutables, mais les empêchent d’adopter la posture professionnelle requise par le régime pédagogique québécois.
 

L’intérêt de l’enfant

Un devoir de réserve s’impose concernant l’affichage des convictions religieuses du corps professoral, pour favoriser l’apprentissage des élèves.

Le signe religieux porté par le personnel enseignant peut avoir des significations différentes et engendrer des désaccords et de la méfiance selon le vécu et le bagage culturel des parents et des élèves. Selon Georges-Auguste Legault, spécialiste en éthique professionnelle, la confiance que l’on a envers un professionnel est une condition sine qua non de la qualité de la relation3. Dans le milieu de l’enseignement, cette confiance se développe et s’établit dans la relation entre l’enseignante ou l’enseignant, ses élèves et leurs parents. Les signes, qui portent un message religieux, peuvent miner cette confiance.

Cette analyse a été corroborée par les témoignages à la Cour de parents, dont plusieurs de culture musulmane, à l’effet que la conception de la femme et des rapports homme-femme véhiculés par certains signes religieux les heurte profondément et influence ainsi leur relation enseignante/enseignant-parent-enfant.
 

Pour la liberté de conscience

La liberté de conscience fait partie des libertés fondamentales protégées par les Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. La liberté de conscience, c’est avant tout le choix de croire ou de ne pas croire, c’est le droit de toute personne d’adopter les valeurs, principes, opinions, religions ou croyances qui lui conviennent pour conduire son existence.4

La liberté de conscience n’est pas synonyme de liberté de religion, elle doit être interprétée plus largement. Il s’agit d’une « protection qui empêche de s’immiscer » dans l’intelligence et l’esprit d’une personne, y compris une protection contre l’imposition officielle de l’uniformité ou de l’orthodoxie.5

À titre indicatif, des parents sont venus témoigner en Cour supérieure pour faire valoir que le port du voile par l’enseignante de leur enfant portait atteinte à leur liberté de conscience et à leur droit d’éduquer leurs enfants selon leurs propres convictions. Pour eux, les croyances religieuses véhiculées par le port de signes religieux de ces enseignantes ne correspondent pas à leurs convictions et ils y sont réfractaires sachant que leurs enfants fréquentent l’école publique dix mois par année. Ils sont devant le dilemme moral d’expliquer à leurs enfants pourquoi ils ne veulent pas qu’ils adhèrent aux croyances religieuses de leurs enseignantes avec le risque de porter atteinte à leur lien d’autorité. Ils doivent parfois renoncer à leur droit d’assurer l’éducation morale ou religieuse de leurs enfants pour éviter de nuire à la relation de confiance ou de modèle que leurs enfants ont développé avec l’enseignante. Ce dilemme moral et l’influence indue de l’enseignante dans l’éducation de leurs enfants constituent des atteintes à leur liberté de conscience.
 

La position de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE)

Par son opposition à la loi 21, la FAE défend le respect de l’expression de la liberté de religion des enseignantes et enseignants, mais ne se préoccupe aucunement de l’impact des signes religieux, portés par ces employés de l’État, sur la liberté de conscience des enfants tenus captifs pendant toute l’année scolaire. Lorsque ces enseignantes réclament le droit de porter des signes religieux à l’école publique, elles réclament en fait de pouvoir continuer à transmettre des valeurs et des messages spécifiques. Lorsqu’il s’agit de valeurs religieuses, cela s’appelle du prosélytisme. Rappelons que chaque enseignante ou enseignant entrera directement en contact, au cours de sa carrière (sur 30 ans), avec, en moyenne, quelque 900 élèves au primaire et 3,600 au secondaire. Ne convient-il pas, dans un tel contexte, d’appliquer le principe de précaution et de protéger avant tout la liberté de conscience des enfants particulièrement vulnérables à cet âge?

Malheureusement, le jugement Blanchard, contesté en Cour d’appel, n’a pas retenu ces éléments, préférant donner une importance absolue à la liberté de religion des enseignantes et des enseignants par rapport au devoir de neutralité de l’État québécois. La FAE maintient toujours, quant à elle, sa position en faveur de la liberté d’expression religieuse absolue d’une minorité de membres, sans égard aux objectifs pédagogiques de l’école, au choix démocratique de la société québécoise, au fait que ses membres sont les représentants de l’État et pire encore, au respect de la liberté de conscience des citoyens desservis. Nos enfants sont la «prunelle» de nos yeux et représentent notre avenir collectif. Il est impératif que l’on préserve un espace laïque pour leur apprentissage. Espérons que la FAE révise sa position à l’égard de la Loi 21 lors de son congrès 2022.

5 l’arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1  R.C.S. 30, la juge Wilson, à la page 37, OU https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/dlc-rfc/ccdl-ccrf/check/art2a.html