L’auteur est député du Bloc Québécois
Le gouvernement libéral de Justin Trudeau est fatigué. Le premier ministre lui-même semble blasé. Son équipe travaille mal et cela nuit sérieusement au Québec. L’élection de l’automne dernier, qui a reconfirmé un gouvernement minoritaire, a été démoralisante pour le parti au pouvoir. Le siège des camionneurs à Ottawa et la guerre en Ukraine ont contribué à saper le moral de l’équipe ministérielle.
Par exemple, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, porte un triple chapeau. Elle assume officieusement le rôle de première ministre et, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, de ministre des Affaires étrangères. Même s’il s’agit d’une femme dotée d’une grande intelligence et d’une capacité de travail exceptionnelle, elle est happée dans de multiples tourbillons et ne remplit plus que symboliquement ses fonctions de ministre des Finances. Elle refuse toute délégation de pouvoir à ses ministres associés, secrétaires parlementaires ou adjoints. Plus aucun dossier n’avance.
Dans son dernier budget, les coins étaient tournés passablement ronds. Plus grave encore, son projet de loi de mise en œuvre du budget est carrément bâclé. Il s’agit d’un projet de loi mammouth de près de 500 pages qui contient plein de lois disparates. Cela va du droit spatial aux fouilles à nu dans les prisons. La plupart des sections auraient dû être retravaillées et présentées ultérieurement. Le gouvernement n’a même pas distribué aux parlementaires la bonne version des copies papiers. Il manquait 20 pages et l’erreur n’a jamais été reconnue.
La taxe qui rate sa cible
Parmi les plus graves aberrations de cette mise en œuvre, la nouvelle taxe sur les produits de luxe mérite d’être soulignée. L’idée, tout à fait louable, consiste à imposer une surtaxe de 20 % sur les voitures, bateaux et aéronefs de luxe. Pour faire payer les riches, prétend-on.
Or, le texte de cette nouvelle taxe compte 170 pages, est incompréhensible et rate sa cible. Par exemple, pour les aéronefs, la taxe est perçue auprès des fabricants d’avions ou d’hélicoptères plutôt qu’auprès de l’acheteur. La taxe s’applique aux aéronefs exportés, alors qu’ils devaient en être exclus, ce qui représente plus de 90 % de la production. Aussi, il sera très difficile pour une entreprise qui achète un tel appareil de s’en soustraire, même si la taxe n’est pas supposée s’appliquer.
Aucune étude d’impact sur les industries visées n’a été réalisée. On peut juste supposer que l’ordre a été donné au ministère d’établir une nouvelle taxe, que les fonctionnaires n’y ont pas accordé l’attention nécessaire, que la ministre et le gouvernement n’ont pas fait leur travail de relecture avant de déposer le document en Chambre. Le gouvernement a consulté l’industrie, mais n’a pas pris en compte leurs recommandations ou inquiétudes. L’exercice de consultation n’a servi à rien.
Lors de l’étude en comité, le Syndicat des Machinistes et les représentants de l’industrie de l’aérospatiale ont clairement fait part de leurs préoccupations et ont proposé des changements pour que la taxe atteigne les objectifs qu’elle était censée atteindre. Ce n’est pas à tous les jours qu’on voit les parties patronale et syndicale dénoncer conjointement un projet de loi.
Les amendements ont été présentés puis battus. Les libéraux et le NPD les ont rejetés. Un de ces amendements excluait nommément les aéronefs exportés, un autre excluait les entreprises de la taxe. Tout ça pour que la taxe s’applique aux riches qui choisissent de s’acheter un produit de luxe.
Les libéraux ont voté contre pour respecter la ligne de parti. Le NPD a voté contre parce qu’il est lié par son entente de soutien au gouvernement. Une entente qui ressemble de plus en plus à de la compromission. L’entente NPD-Libéral a fait en sorte que le NPD a voté contre une demande importante des syndicats, menaçant des centaines de bons emplois syndiqués dans l’aérospatiale.
Il ne faut pas oublier que le Canada est le seul pays à posséder un important secteur de l’aérospatiale sans l’appui d’une politique industrielle. Il n’y a même pas de politique d’achat gouvernemental. Est-ce parce que la grappe est principalement au Québec ? Il ne faut pas oublier non plus que l’aérospatiale commence à peine à se remettre de la pandémie et que ses effets ont été désastreux pour la production et les emplois.
À la dernière minute, on a réussi à gagner du temps. Le seul amendement que le NPD a choisi d’appuyer a été présenté par le Bloc et par le NPD. Il laisse à la discrétion du gouvernement l’entrée en vigueur de la taxe afin de lui permettre d’amener un nouveau projet de loi qui modifierait la nouvelle taxe. Est-ce que les libéraux sauront être à la hauteur des attentes ? C’est à suivre.
L’assurance-emploi
Dans la section consacrée à l’assurance-emploi, le Bloc a réussi à faire reculer le gouvernement, grâce au travail exceptionnel de Louise Chabot, députée de Thérèse-de-Blainville et ancienne présidente de la CSQ. C’est la députée qui maîtrise le mieux le dossier de l’assurance emploi.
Dans le projet de loi, le gouvernement modifiait le Conseil d’appel de l’assurance-emploi. Louise Chabot a rapidement contacté les syndicats et les gens du milieu. Ils ont interpellé la ministre de l’Emploi, se sont présentés au Comité de l’Emploi et à celui des Finances et leur demande était claire. La section était mal écrite. Encore une fois, les auteurs n’avaient aucunement pris en compte les constats émanant des consultations avec le milieu. Encore une fois, les parties patronale et syndicale ont fait front commun.
Le représentant du gouvernement au comité des Finances a été interpellé, une motion a été déposée en avis. Louise Chabot a fait adopter par les membres de son comité une motion unanime. Les conservateurs et les néodémocrates se sont rangés du côté des intervenants du milieu et, finalement, le gouvernement a accepté de retirer cette section de son projet de loi mammouth et la ministre s’est engagée à refaire ses devoirs et revenir à l’automne avec un meilleur projet de loi. Ce n’est pas à tous les jours que le gouvernement recule ainsi. On se doit de souligner le travail exceptionnel de ma collègue Louise Chabot pour les sans-emploi.
De l’incompétence mur à mur
Même rédaction brouillonne dans la section concernant le Bureau de la concurrence. Les experts ayant témoignés au Comité de l’Industrie ont été unanimes pour dire qu’on avait tourné les coins ronds.
Pour se conformer à un jugement de l’OMC, le projet de loi impose la taxe d’accise aux vins. Ceci fait suite à une poursuite de l’Australie. Ayant encore mal fait son travail, le gouvernement a imposé la taxe non seulement au vin, mais aux autres breuvages alcoolisés comme le cidre ou l’hydromel. Nous avons ici aussi réussi à faire modifier le projet de loi pour soutenir nos artisans.
Avec ce gouvernement, la fatigue et le décrochage ne se font pas seulement sentir dans la rédaction des projets de loi. La mauvaise gestion des passeports, des aéroports, des armes à feu illégales, de l’immigration et du français est navrante. C’est de l’incompétence mur à mur. Les suivis des requêtes de citoyens émanant des circonscriptions sont plus laborieux que jamais et lorsqu’un secteur interpelle le gouvernement, c’est silence radio. On peut penser aux agriculteurs qui doivent payer la taxe de guerre sur les fertilisants russes, même s’ils ont été achetés et payés avant la guerre, aux secteurs qui risquent de disparaître à mesure que la pénurie de semi-conducteurs perdure et à ceux qui n’arrivent plus à cause de l’inflation. Silence radio pour tout ce monde-là.
Dans une démocratie normale, un tel gouvernement à bout de souffle serait renversé, puis remplacé. Pas au Canada. Les Libéraux reçoivent l’appui du NPD qui a peur qu’une élection lui fasse perdre les sièges qu’il détient. De leur côté, les Conservateurs sont déchirés par des chicanes idéologiques extrêmes et polarisantes. Ils risquent l’implosion.
Tout ça nous rappelle le coût d’être dirigé par le voisin. Surtout quand le voisin est fatigué et gère mal. La position autonomiste du gouvernement à Québec a déjà montré ses limites, les refus d’Ottawa sont systématiques. Tant qu’il ne sera pas indépendant, le Québec sera confronté à ce cul de sac.