Chantier de la Davie : Pour une enquête publique

2022/08/31 | Par Guy Roy et André Parizeau

Pendant des années, les indépendantistes de toutes tendances se démenaient pour la Davie, et que faisaient pendant ce temps les propriétaires de ce grand chantier naval, en arrière-plan ? Ils magouillaient pour placer leur argent dans des paradis fiscaux avec la complicité des gouvernements québécois et canadien. C'est ce que nous apprenait le journal La Presse, dans son édition électronique du 15 août. (1)

Toujours selon ce journal, leurs fonds étaient transférés vers les Îles Vierges Britanniques, considérés comme un des paradis fiscaux, dans le monde, capables de garantir un maximum d'opacité tout en offrant aussi un maximum de protection contre le paiement d'impôts.

À la demande du Fédéral, qui leur demandait un peu plus de « transparence », s'ils voulaient obtenir une plus grande part de contrats en provenance d'Ottawa, ils auraient ensuite créé de toutes pièces une société bidon à Londres, dont l'unique propriétaire était une autre société, celle-là enregistré cette fois dans l'Île de Guernesey, dans la Manche, également un autre paradis fiscal, supposément moins opaque, quoique leur taux d'imposition serait toujours de 0% pour les entreprises qui s'y enregistrent, et dont les seules actionnaires seraient à nouveau les propriétaires. Toute une entourloupette !

Tout ce qui a été fait pour ces chantiers, de la résolution de l'Assemblée nationale pour le rapatriement du Diefenbaker, à la visite sur la colline parlementaire, à Ottawa du PQ, pendant les dernières élections fédérales pour revendiquer notre juste part, de toutes les démarches de l'ex-député Michel Boudrias, alors porte-parole du Bloc Québécois, sur cette question, aux allocutions de Julie Vignola, toujours à la Chambre des Communes, tout ce qui constituait un travail fervent en faveur de la compagnie et de ses ouvriers, tout ça les dirigeants de la Davie s'en sont servi pour camoufler leur manigances dans des paradis fiscaux.

Depuis plus de dix ans, nous suivions la situation et nous nous préoccupions que les Chantiers Davie soient traités à la hauteur de ce qu'ils représentent comme potentiel, ainsi que comme expertise pour la région, pour le travail qu'ils fournissent à des tas d'ouvriers, tant sur les chantiers que parmi les fournisseurs.

Nous n'en revenons juste pas pour tant de cynisme de la part de cette compagnie. Toute la communauté, de la région, à travers ses maires, de la Ville de Lévis, grâce à son premier magistrat, de la grande région de Québec, du Québec en entier, par ses députés, pendant que tout ce beau monde faisait des pieds et des mains pour obtenir une plus juste part des contrats faramineux, issus de la Stratégie de Construction Navale du Canada, celle-ci plaçait son argent dans des paradis fiscaux. C'est une véritable trahison de l'implication populaire dans ce dossier.

Toujours selon l'article du journal La Presse, les deux paliers de gouvernements étaient au courant de l'affaire, mais n'ont en même temps rien fait, sinon que pour insister que les choses changent, au moins en apparence. D'où finalement le fait d'introduire le stratagème décrit plus haut. Ils ont aussi gardé un secret tout aussi opaque autour de cette affaire. C'était comme si l'argent public devait servir en catimini à grossir les profits privés des Chantiers Davie de Lévis. Ils connaissaient toutes les conséquences pour les fonds publics de cette arnaque à grande échelle et ils se sont tus, maintenant le couvercle sur une marmite à scandale bouillonnante.

C'est une véritable honte, dont auront à répondre, un jour, il faut l'espérer les dirigeants des Chantiers Davie devant une population ébahie. Nous n'en revenons tout simplement pas que cet argent public ait pu, en même temps être investi pour engraisser des actionnaires privés londoniens, sans considération pour les ouvriers qui vont s'appauvrir durant les neuf prochaines années. Le syndicat, aux Chantiers de la Davie, vient en effet de négocier un contrat de 9 ans, avec seulement 30 % d'augmentation, réparti sur ces neuf années. Soit même pas 3,5% d'augmentation par année, en moyenne. Si le taux d'inflation actuel de 8 % devait continuer à rester relativement haut, cela veut dire que les ouvriers vont diminuer de salaire, sur chacune des neuf prochaines années. C'est un autre aspect profondément honteux dans tout ce dossier.

Les porte-parole de la compagnie affirment qu'ils ont toujours payé leurs impôts ici et que cette histoire d'enregistrement à Guernesey, au niveau de la société-mère, fut fait uniquement pour des raisons de « flexibilité ». Sans plus. Nous avons vérifié, la compagnie Global Marine Industries, enregistrée à Guernesey, et qui serait les réels propriétaires des chantiers Davie, fut constitué en 2019, selon le registre des entreprises là-bas.

Si sa présence à Guernesey n'aurait rien à faire avec le fait que le taux d'imposition là-bas est à 0%, alors pourquoi est-elle là plus précisément ? Et que veulent dire les porte-parole des Chantiers Davie, quand ils parlent de « flexibilité »?

La compagnie de façade, enregistrée à Londres, s'appellerait, pour sa part, la Maritime Industries Limited et tous ses administrateurs habiteraient, soit en Grande-Bretagne, ou à Monaco. Ce qu'on apprend également, en fouillant un peu plus le dossier, est le fait que cette autre société aurait également fait des affaires avec un fonds d'investissement, basé cette fois à Toronto, soit la Bridging Finance, avec laquelle elle aurait notamment contracté une hypothèque.

Or, il appert que la " Bridging Finance " ferait présentement l'objet, de la part de la Commission des Valeurs Mobilières de l'Ontario, d'accusations de fraude et de détournement de fonds, selon un article daté du 31 mars 2022 du Financial Post(2)

Un tout dernier point : selon cette fois, le Registre des entreprises de Grande-Bretagne, la Maritime Industries Limited disposerait, des suites de sa constitution en 2020, d'un capital-action d'un peu plus de 3,4 millions d'actions, dont la valeur nominale serait de 0,01 $ (1 sous chacune), contrôlé par la Global Marine Industries, dont nous parlions plus haut, et qui donnerait en même temps le plein contrôle sur cette société. (3)

Il n'a pas été d'autre part possible de savoir si cette société possèderait en fait autre chose que les Chantiers de la Davie. À noter enfin, les documents déposés auprès du Registre des entreprises de Grande-Bretagne auraient été remplis à la main, ce qui est également un peu particulier.

Nous demandons dès maintenant a) une enquête publique sur toute l'affaire, b) que les argents des paradis fiscaux soient immédiatement rapatriées au Québec, et que, s'il le faut, c) la compagnie soit également nationalisée sans compensation pour toutes les sommes que Québec et Ottawa y auront mises, de manière à ce que les milliards promis en contrat n'aillent pas plus longtemps servir les intérêts privés de quelques millionnaires, aux actifs cachés à l'étranger, à l'abri de l'impôt.

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(1) : Voir cet article issu du site du journal La Presse, daté du 15 août 2022.
(2) : Voir également cet autre article issu du site du Financial Post, daté cette fois du 31 mars 2022.
(3) : Voir également cet autre document issu du Registre des entreprises de Grande-Bretagne