Cet article a été publié dans Le Mouton Noir, VOL XXVII No. 6, 18 août 2022
En 2021, Québec solidaire a fait paraître Ce qui nous lie (Écosociété), avec comme sous-titre L’indépendance pour l’environnement et nos cultures. L’ouvrage s’est mérité quelques critiques bienveillantes, sans doute parce que les thèmes de l’environnement et de la culture sont porteurs et que voir QS afficher son parti-pris pour l’indépendance ne pouvait que réjouir celles et ceux parmi ses partisans qui attendaient avec impatience une telle proclamation.
Cependant, les critiques bienveillantes n’ont fait qu’effleurer le contenu de l’ouvrage. Il mérite une analyse plus approfondie étant donné que le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois le présente comme une contribution au projet de pays de son parti, qualifié de solution de rechange « à la tentation de la survivance, ce ‘‘nationalisme rabougri’’ » et marquant une volonté de « renouer avec une approche émancipatrice et démocratique de l’indépendance du Québec ». C’est ce regard critique que pose sur le projet de pays de QS le livre que nous venons de publier sous le titre Ce qui nous délie.
De grands absents
Ce qui nous lie traite, entre autres, des Autochtones, de la langue, de la culture, de l’environnement, du Canada pétrolier, mais il se révèle surtout par ses absences. L’absence du mot « nation » est particulièrement intrigante dans un ouvrage qui met l’accent sur la nécessaire alliance entre les peuples autochtones et québécois. Disparu aussi le concept de classe sociale. Pas de chapitre sur la laïcité. Ne cherchez pas non plus une référence à la minorité anglophone. Ni de référence positive à la majorité francophone; elles sont toutes négatives. L’idéologie sous-jacente est celle d’un universalisme désincarné, le miroir gauchiste de l’idéologie de la mondialisation.
Nos auteurs ont passé au crible les différentes propositions de QS. Charles Castonguay évalue déficient l’appareil conceptuel de Ruba Ghazal sur la question linguistique. Marie-Claude Girard aborde la position de QS sur la laïcité bien qu’aucun chapitre n’y soit consacré. André Binette énumère dix conditions incontournables, absentes chez QS, à remplir pour espérer arriver à un dialogue respectueux et fructueux avec les Autochtones. Gilles Gagné démontre que QS n’a pas une conception globale du défi écologiste. Simon Rainville trouve bâclé le chapitre sur la culture et il déplore l’absence du peuple québécois dans l’analyse de QS. Et moi-même, je trouve inexacte la caractérisation du Canada comme « État pétrolier » et « État colonial », ce dernier concept est inspiré d’une analyse erronée d’Alain Deneault.
La stratégie
S’il n’y avait qu’à retourner à la planche à dessin pour corriger ces lacunes… Mais il y a plus important encore. Car c’est bien beau de mettre de l’avant des éléments de programme, encore faut-il voir comment ils s’intègrent dans la stratégie du parti. Un petit détour dans son programme s’impose donc. La stratégie de QS se résume à la mise en place d’une assemblée constituante avant toute déclaration d’indépendance. Tout va donc passer par le tamis de cette assemblée constituante fantasmée. Facile alors d’être généreux en promesses sur les questions autochtones, de l’environnement ou autres, lorsqu’on sait qu’on n’aura pas à les honorer, puisqu’elles seront prises en charge par l’Assemblée constituante. Et advienne que pourra!
Il en va de même pour l’accession à l’indépendance. Le titre du chapitre qui lui est consacré dans le programme ne s’intitule pas « Accéder à l’indépendance », mais « Exercer la souveraineté ». On y précise que « le Québec a le droit de disposer de lui-même et de déterminer librement son statut politique » en ajoutant qu’« en ce sens, il est souverain, peu importe la manière dont il décide d’utiliser cette souveraineté ». Autrement dit, le « peuple souverain » pourrait décider de demeurer dans le Canada.
En fait, sa conception de l’assemblée constituante délie Québec solidaire de tout engagement sérieux envers les classes populaires, les minorités culturelles, la minorité anglophone, les Autochtones et la majorité francophone.