Rolls-Royce : Gain syndical sur les fonds de pension

2022/09/09 | Par Orian Dorais

Sans convention depuis mars 2020. En lock-out depuis mars 2022... Quelques jours avant la fête du Travail, les employés de l'usine Rolls-Royce à Montréal ont enfin pu retourner à l'ouvrage, au terme d'un éprouvant conflit de travail. En effet, le 1er septembre 2022, les membres du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs de Rolls Royce Canada (STTRRC), affilié à la Fédération de l'Industrie Manufacturière de la CSN (FIM-CSN), se sont prononcés en faveur d'une résolution autorisant le renouvèlement de la convention collective. Comment les choses ont-elles dégénéré au point d'en arriver à un lock-out ? L'employeur a-t-il fait preuve de bonne foi tout au long du processus ? Je m'entretiens à ce sujet avec Louis Bégin, président de la FIM-CSN.

Orian : En premier lieu, M. Bégin, pouvez-vous nous faire une chronologie de ce qui s'est passé durant les négos, du point de vue du STTRRC et de la FIM ?

Louis Bégin : Votre question est intéressante, parce qu'il y a des évènements majeurs qui se sont produits avant mars 2020, donc avant même que la dernière convention soit échue. C'est que, voyez-vous, le STTRRC a joint les rangs de la FIM-CSN peu avant le début des discussions avec l'employeur, comme c'est autorisé par la loi. Auparavant, le STTRRC était affilié à une centrale américaine qui négociait et signait une convention directement avec l'employeur, puis mettait les membres devant le fait accompli. Donc, les syndiqués se retrouvaient avec une convention parfois insatisfaisante pour eux et ne pouvaient rien faire pour l'améliorer.

Le STTRRC s'est tanné de cette « non-démocratie » et a décidé de nous rejoindre, ce qui n'a pas du tout plu à l'employeur. Tout le long des négos, on a entendu des « comment c'était plus facile » de s'entendre avec la centrale américaine et à quel point la part patronale « s'ennuyait »  de ne pouvoir négocier avec elle. C'est assez grave qu'un employeur flatte une centrale plus qu'une autre.

O. : Diriez-vous que l'employeur a essayé de faire « regretter » au STTRRC son choix d'affiliation ?

L. B. : Bien, à partir du moment où l'employeur a su qu'il allait être face à la FIM-CSN, il a décidé d'adopter la ligne dure. C'est, entre autres, pour ça que les pourparlers ont duré aussi longtemps. On pense qu'il y avait un aspect un peu punitif dans le fait que la part patronale refusait toutes nos revendications. Pourtant, selon nous, les employés doivent être libres de choisir leur centrale, sans que ça affecte la négociation, sinon la démocratie de l'exercice syndical est mise en danger.

O. : Quelles étaient ces revendications que l'employeur refusait ?

L. B. : Au départ, on demandait une augmentation salariale de 30 % sur huit ans – de 2020 à 2028 – et des clauses normatives pour le respect du rôle des travailleurs dans la vie de l'entreprise, autrement dit des engagements de la part de l'employeur que les travailleurs seraient plus consultés lors de la prise de décisions importantes.

Un des points les plus importants, c'était la question du fonds de pension. Dans la dernière convention négociée par la centrale américaine, plusieurs employés, surtout les plus jeunes, se sont fait imposer un fonds de pension qu'on appelle «à cotisation déterminée». Ça, c'est un fonds de pension où les membres doivent cotiser le même montant à chaque mois, donc cotisations déterminées, mais où les fonds sont confiés à une entreprise de gestion de capital, ce qui fait que ce sont les performances en bourse qui « déterminent » combien les gens ont dans leur fond de retraite.

Ce genre de système, c'est très pratique pour l'employeur, parce qu'il peut laisser à une firme privée la responsabilité de gérer le fonds de retraite. Sauf que, pour nos membres, c'était inacceptable de devoir faire face à autant d'incertitude. On revendiquait un fond qu'on appelle à prestation déterminée pour tout le monde, ou du moins quelque chose qui s'en rapproche, pour que nos membres plus jeunes aient les mêmes droits que les membres plus âgés.

O. : Ça me semble être des exigences raisonnables, d'autant plus qu'avec ses revenus Rolls-Royce aurait facilement eu les moyens d'accéder à vos demandes. Pourtant, ç'a trainé les pieds pendant deux ans.

L. B. : Rolls-Royce est une corporation très riche, qui a vu ses revenus augmenter dans les dernières années et qui trouve de nouveaux marchés. En plus, Rolls-Royce a la réputation d'avoir les moteurs les plus fiables au monde. Mais faudrait pas oublier qui construit ces moteurs-là. C'est les travailleurs ! 

Oui, elle aurait eu les fonds nécessaires pour que les négos se terminent beaucoup plus vite. J'ajoute que le fait que ce soit une multinationale a pu contribuer à la longueur du processus, parce que l'employeur n'avait pas la possibilité de prendre des décisions au niveau local. Il devait toujours se référer au siège social de Rolls Royce en Grande-Bretagne. Donc, les discussions prenaient toujours plus de temps. D'ailleurs, on sait pas comment l'employeur local décrivait le syndicat à la maison-mère, mais il y a peut-être eu un peu de «friture sur la ligne», si vous voyez ce que je veux dire. Pas certain que nos demandes ont toujours été bien représentées.

O. : Et après deux ans de ce régime-là, c'est pas une entente qui est survenue, mais un lock-out ! Même que Rolls-Royce a renvoyé le président du STTRRC pendant ce même lock-out.

L. B. : Oui, plus de six mois de lock-out. Ça faisait partie de la logique de « ligne dure ». On pense que l'employeur n'aimait pas beaucoup le climat à l'usine, avec nos membres qui portaient des chandails ou des casquettes de la CSN pour mettre de la pression. Pour la part patronale, c'était nouveau de devoir faire face à une attitude revendicatrice comme ça, parce que les dernières conventions avaient été négociées tranquillement avec les responsables américains. Là, ça brassait plus, et l'incompréhension de l'employeur l'a amené à décréter un lock-out.

Pendant le piquetage, la direction de l'usine a même engagé des agents de sécurité pour soi-disant « surveiller les installations » de l'usine. À voir des agents défiler comme ça, on trouvait que le message sous-entendu, c'était un peu « rentrez dans le rang ». Ces mois-là ont eu des impacts considérables sur les syndiqués, autant par rapport à la perte de revenus – parce qu'on se rappelle que les primes syndicales ne peuvent pas suffire à remplacer un salaire – autant par rapport à la santé mentale. Nos membres ont vécu beaucoup d'anxiété pendant cette période-là. Et le stress s'est aussi répandu aux familles. Mais, malgré tout, les syndiqués sont restés solidaires d'une manière admirable. Et, enfin, il y a quelques semaines, les deux parties se sont entendues pour demander l'arbitrage d'un conciliateur. On a été très satisfaits de son travail.

O. : Donc quels sont les gains de l'entente que vous venez de signer, avec l'aide du conciliateur ?

L. B. : On a obtenu 25 % d'augmentation sur la période de 2020 à 2028. L'employeur a aussi offert une prime à la signature de 5 500 $ à chaque employé, plus quelques milliers en rattrapage. Le régime de retraite à prestation déterminée demeure en place pour tous ceux qui partent à la retraite d'ici 2026. Après, l'employeur a accepté de reprendre les discussions pour trouver un modèle de fonds de pension qui va convenir à tout le monde. C'est une méchante amélioration, considérant qu'au départ, l'employeur voulait imposer le régime à cotisation déterminée à tous les membres.

Mais, le plus important, c'est que nos membres ont prouvé, par leur détermination, que l'usine ne peut pas fonctionner sans eux et donc qu'il ne faut jamais les laisser de côté, eux et leur  syndicat, lorsqu'il est temps de prendre des décisions importantes.