Sus à la logique de guerre

2022/09/23 | Par François Avard et al.

Par François Avard, Ariane Émond, Martin Forgues, Jacques Goldstyn (alias Boris) et Christian Vanasse. Les auteurs sont parrains et marraine de la campagne 2022 du coquelicot blanc du collectif Échec à la guerre. Ils sont respectivement auteur et scénariste ; journaliste indépendante, animatrice et autrice ; ex-militaire, journaliste indépendant et auteur ; auteur, illustrateur ; et caricaturiste et auteur et humoriste.
 

À l’occasion du 21 septembre, Journée internationale de la paix, force est de constater que la situation internationale évolue présentement dans une direction extrêmement dangereuse. De toute urgence, le monde a besoin de désarmement et d’une désescalade de la rhétorique de l’affrontement.

Depuis sept mois, la guerre de la Russie en Ukraine fait rage, mettant le pays à feu et à sang. La Russie y affronte aussi indirectement l’OTAN. Le tout sur fond de catastrophe radioactive potentielle à la centrale de Zaporijjia, la plus grande d’Europe.

En avril, on a annoncé que la nouvelle alliance militaire AUKUS — regroupant depuis un an l’Australie, le Royaume-Uni et les É.-U. en vue notamment d’équiper l’Australie en sous-marins nucléaires — allait aussi développer des armes hypersoniques, qui seront vraisemblablement pointées vers la Chine.

En juin, le sommet de l’OTAN à Madrid a adopté un nouveau Concept stratégique stigmatisant la Russie comme « la menace la plus importante […] à la zone euro-atlantique » et la Chine pour ses « politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs ».

En août, la Chine a riposté à la visite provocatrice de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des É.-U., à Taïwan par de vastes exercices à munitions réelles dans les parages de Taïwan.

En août aussi, la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) s’est terminée sur un échec lamentable, celle-ci n’étant pas arrivée à un consensus sur un texte qui, de toute façon, n’aurait en rien contraint les pays dotés d’armes nucléaires à un processus concret de désarmement qu’ils se sont pourtant engagés à poursuivre « de bonne foi » il y a 52 ans !
 

Un discours qui masque la réalité

Selon nos dirigeants, les tensions croissantes dans le monde sont uniquement à mettre sur le compte de la Russie et de la Chine. Ce discours est non seulement simpliste, mais hypocrite. Car s’ils se font défenseurs du droit international dans le cas de l’Ukraine, les pays occidentaux ont eux-mêmes agressé la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie. S’ils se font défenseurs du droit à l’autodétermination de Taïwan, ils n’y sont pas du tout favorables pour la Palestine, le Donbass, le Sahara occidental, la Catalogne, etc. Et ils sont prêts à défendre la démocratie et les droits de la personne… sauf dans les nombreux pays autoritaires qui sont leurs alliés.

Leurs grands principes ne sont que des leviers de leur politique étrangère, à actionner quand cela sert leurs intérêts. Et l’information instantanée dans laquelle nous baignons — qui ne fournit ni contexte historique ni mise à l’épreuve des faits — fait simplement écho aux dénonciations indignées de nos dirigeants et conforte ainsi l’opinion publique dans une posture de supériorité morale de l’Occident.

Mais à quoi sert alors tout ce théâtre et que reproche-t-on exactement à la Chine, puisque c’est surtout elle qui est dans le collimateur des États-Unis ? Dans le nouveau Concept stratégique adopté par tous les pays de l’OTAN, on peut notamment lire que la Chine « recourt à une large panoplie d’outils politiques, économiques et militaires pour renforcer sa présence dans le monde et projeter sa puissance […] Elle cherche à exercer une mainmise sur des secteurs technologiques et industriels clés […]. Elle utilise le levier économique pour créer des dépendances stratégiques et accroître son influence ».

Bref, devenue grande puissance économique à son tour, la Chine adopte plusieurs des agissements qui n’étaient auparavant l’apanage que des États-Unis. Au fond, la menace que représente la Chine, c’est que les États-Unis ne soient plus seuls à diriger le monde, une prérogative dont ils entendent conserver l’exclusivité à tout prix… même au prix de mettre l’humanité en danger.
 

Péril nucléaire imminent

Dès 1946, Albert Einstein affirmait : « La puissance déchaînée de l’atome a tout changé, sauf nos modes de penser, et nous glissons ainsi vers une catastrophe sans précédent. » Nos dirigeants, eux, manifestent une inconscience totale en nous poussant de plus en plus dans une logique d’affrontement avec la Chine et la Russie, alors qu’une guerre entre puissances nucléaires devrait être absolument impensable.

Non seulement ils y pensent, mais ils en parlent ouvertement. « Pour nous, ce n’est qu’une question de temps », a récemment affirmé le directeur du renseignement du Commandement étasunien de l’Indo-pacifique. Le 23 mai, et à nouveau dimanche dernier, le président Biden a déclaré que les États-Unis auraient recours à la force pour défendre Taïwan en cas d’attaque par la Chine.

Non seulement ils en parlent ouvertement, mais ils croient pouvoir gagner une telle guerre ! Ainsi, une des quatre grandes priorités de la Stratégie de défense des É.-U. (2022) se lit ainsi : « Dissuader l’agression, tout en étant prêt à l’emporter dans les conflits si nécessaire, en donnant la priorité au défi de la République populaire de Chine dans l’Indo-pacifique, puis au défi de la Russie en Europe. »
 

Une escalade guerrière

La guerre en Ukraine a créé des millions de nouveaux réfugiés et déplacés internes. Ailleurs dans le monde, elle a contribué à une hausse importante du taux d’inflation, qui frappe particulièrement les populations les plus vulnérables, et risque d’entraîner une crise alimentaire.

De plus, au chapitre de la crise climatique, la guerre en Ukraine et la menace de guerre à Taïwan entraînent des reculs significatifs : d’une part, un retour au charbon en Allemagne et des projets d’exploitation accrue d’hydrocarbures, notamment au Canada et aux États-Unis ; et, d’autre part, la suspension des négociations sur le changement climatique entre la Chine et les États-Unis, les deux plus grands émetteurs de GES au monde…

Il y a non seulement urgence de décarboner l’activité humaine sur la planète, mais aussi d’en finir avec la logique de guerre, la rhétorique belliqueuse sous prétextes humanitaires ainsi que les dépenses militaires astronomiques qui les accompagnent.

Un des slogans du mouvement pour la justice climatique est « Changeons le système, pas le climat ». Rejetons aussi la logique de guerre inhérente à ce système. C’est une question de survie pour l’humanité.