Exode des professionnels de Revenu Québec vers l’Agence de revenu du Canada

2022/09/28 | Par Orian Dorais

À partir du moment où la plupart des conventions collectives du secteur public furent échues, début 2020, j'ai eu le privilège de couvrir les négociations entre les grandes organisations syndicales et le gouvernement caquiste. Si ce dernier a été relativement pressé de clore les pourparlers avec les travailleurs de la santé ou de l'éducation, et a signé avec eux plusieurs ententes de principe dès l'automne 2021, il s'est montré beaucoup moins prompt à régler avec d'autres employés de l'État. Il a fallu attendre jusqu'à l'été 2022 pour que les commis de la SQDC obtiennent une proposition acceptable. Les professionnels de Loto-Québec viennent tout juste d'achever leurs négos. Pis, certains syndiqués sont toujours sans convention ! C'est le cas des fonctionnaires de Revenu Québec, affiliés au Syndicat des Professionnel.les du Gouvernement du Québec (SPGQ), qui viennent de se doter d'un mandat de grève à durée illimitée les soirs et les fins de semaine. Je m'entretiens avec Philippe Desjardins, conseiller en communications au SPGQ, à propos de ce conflit remarquablement long.
 

Orian : En premier lieu, quelles sont vos demandes pour la nouvelle convention?

Philippe Desjardins : La principale revendication mise de l'avant en négociation, c'est la rémunération. Sais-tu que nos membres au top de leur échelle salariale gagnent 90-95 000 $ ? C'est bien... sauf que les employés de l'Agence de Revenu du Canada, quand ils atteignent le plus haut échelon, gagnent jusqu'à 125 000 $ par année ! Les travailleurs fiscaux fédéraux gagnent en moyenne 30% de plus que nos membres au provincial, pour le même travail.

Avant la pandémie, l'écart de salaire se justifiait en partie parce que, pour être recruté par l'ARC, il fallait vivre près de leurs bureaux, donc ça impliquait souvent des déménagements. Mais maintenant, les syndiqués de l'ARC sont complètement en télétravail; donc, cette excuse-là ne fonctionne plus pour expliquer les disparités salariales entre eux et nos membres.

Là, Revenu Québec est en train de se peinturer dans le coin, parce qu'on voit un transfert massif de nos professionnels vers l'ARC. Entre avril 2020 et avril 2022, le nombre annuel de démissions a doublé ! Souvent, les démissionnaires vont vers l'agence fédérale. Pourtant, l'employeur s'obstine à nous offrir seulement 2% d'augmentation par année... Alors que l'inflation est à 7 %, que la croissance moyenne du salaire au Québec est de 8 % et que nos collègues au fédéral gagnent 20 % de plus ! En plus, leur pension est indexée à 100 %. Revenu Québec doit bonifier son offre salariale et indexer la pension à 100 %, s'ils veulent retenir leurs fonctionnaires.

O. : C'est drôle que Legault, qui est toujours en train de parler d'aider la classe moyenne et de sa soi-disant volonté de créer de bons emplois au Québec, laisse son gouvernement faire des offres comme ça...

P. D. : Oui, François Legault se dit « autonomiste », mais, dans le domaine fiscal, il est en train de créer les conditions parfaites pour un exode de personnel qualifié vers le fédéral. À Revenu Québec, ça cause déjà une pénurie de main-d'oeuvre assez importante. Par exemple, depuis des mois, le gouvernement est en campagne massive de recrutement pour essayer d'engager 150 techniciens en informatique. Mais les informaticiens ne sont pas fous, ils voient bien qu'ils peuvent aller chercher plus à l'ARC, ou dans le secteur privé, ou même au municipal.

D'ailleurs, je t'ai dit que nos collègues fédéraux sont complètement en télétravail mais, de notre côté, Revenu Québec veut forcer les professionnels à faire deux jours en présentiel, dans des conditions assez ahurissantes. Souvent, on doit faire des rencontres avec des gestionnaires... qui sont sur TEAMS ! Ils reconnaissent tellement l'efficacité du télétravail qu'ils l'utilisent, alors que nos membres sont obligés d'être au bureau. En plus, avec les prix de l'essence, c'est une mauvaise idée de faire déplacer les gens inutilement.

O. : Et le télétravail aiderait surement à réduire l'émission de GES.

P. D. : Si la partie patronale acceptait qu'on soit en télétravail, ça baisserait l'émission de carbone, ça baisserait le niveau de fatigue de nos membres et ça augmenterait la productivité. Même la ministre Lebel, avec qui on négocie, reconnait que le télétravail contribue à l'efficacité. Pourtant, Revenu Québec s'obstine à forcer un retour au bureau. En négos, on a réussi à faire baisser ça à une journée par semaine, mais même là ça risque d'empirer le manque de personnel. Selon un sondage soumis à nos 5 600 syndiqués, s'ils sont obligés de rentrer au bureau, les deux tiers d'entre eux envisageraient de quitter. Va falloir prendre acte. À part ça, on revendique aussi un droit à la déconnexion. En dehors des heures de travail, nos membres ne devraient pas avoir à répondre à des courriels.

O. : Le droit à la déconnexion, ça touche aux enjeux de santé mentale. Avez-vous des exigences de ce côté ?

P. D. : Souvent, nos membres font face à des situations de violence verbale. On travaille avec les revenus des citoyens, c'est certain que ça peut créer de la frustration, et donc amener à lever le ton. Sauf qu'encore une fois, à l'ARC, les travailleurs ont dix jours de congé supplémentaires qu'ils peuvent prendre s'ils ont à composer avec des situations de violence. Ça peut être pour récupérer de la violence verbale que, malheureusement, on vit trop souvent, mais ça peut aussi être pour les situations de violence conjugale ou familiale. Le gouvernement fédéral a compris qu'on peut avoir besoin de plus de congés. Le provincial devrait emboiter le pas. Tout ce que nos professionnels ont, c'est dix journées de maladie.

O. : Comme je l'indiquais en introduction, le conflit dure depuis assez longtemps. Pourquoi, selon vous ?

P. D. : Les employés de Revenu Québec sont sans convention collective depuis avril 2020, donc depuis deux ans et demi. Sans dire que l'employeur est de mauvaise foi, on ne ressent pas un grand empressement à vouloir régler ça. Chose certaine, le SPGQ est de bonne foi ; on a laissé beaucoup de chances à la négociation avant de partir en grève; on a même voulu donner une chance à la médiation, qui dure depuis août. Mais on reste dans une impasse.

Là, on a décidé pour un mandat de grève les soirs et les fins de semaine; donc, lorsque, entre autres, les services informatiques sont en maintenance. On espère que ça va motiver l'employeur à bonifier son offre salariale. Mais, la «meilleure» proposition qu'on a reçue à date, c'est une prime de 4 % à 2 000 de nos membres, qui serait ponctuelle et pas inscrite dans la convention. Déjà que c'est pas génial et les dirigeants de Revenu Québec demandaient une réponse dans les 24 heures. Impossible de contacter des milliers de syndiqués et de recueillir leurs avis en une journée ! Je comprends pas cet entêtement-là, parce que non seulement ça fait du mal aux membres, mais ça nuit aussi à Revenu Québec, qui ne serait pas capable de retenir ses professionnels.