Chili : Une propagande mensongère provoque le rejet du projet de constitution

2022/09/30 | Par Luc Allaire

Près de 62 % des Chiliens ont rejeté le projet de constitution qui devait remplacer celui imposé par la dictature de Pinochet, lors d’un référendum national tenu le 4 septembre 2022.

Ce rejet a bloqué net un élan populaire entamé en octobre 2020 par un plébiscite sur le processus constitutionnel qui a été appuyé par 80 % de la population. Cet appui massif en faveur d’un changement de constitution manifestait une volonté claire d’en finir avec la constitution de la dictature. Une assemblée constituante a ensuite été élue en mai 2021 afin de proposer à la population du Chili une nouvelle constitution. En décembre 2021, l’élection du candidat de gauche Gabriel Boric comme président venait confirmer cet élan de changement qui a connu un revers abrupt le 4 septembre.

Dès l’annonce du résultat, le président Gabriel Boric a aussitôt signifié sa volonté de relancer le processus constitutionnel. Mais dès le lendemain, les partis de droite, qui avaient pourtant affirmé lors de la campagne référendaire qu’un « non » signifiait un « oui » à un changement constitutionnel autre que celui proposé par l’assemblée constituante affirmaient que les résultats démontraient clairement que la population ne voulait pas de changement constitutionnel. Un peu comme Pierre Elliott Trudeau l’avait fait au lendemain du référendum de 1980 au Québec. Alors qu’il avait promis qu’un non au référendum signifiait un oui pour un fédéralisme renouvelé, il a rapatrié la constitution de Grande-Bretagne sans l’accord du Québec.

En tant que responsable des relations internationales de la CSQ et président du Centre international de solidarité ouvrière (CISO), j’étais présent lors de l’événement afin de souligner la solidarité des organisations syndicales québécoises avec le peuple chilien. La vice-présidente de la CSQ, Anne Dionne, et moi, nous sommes joints aux délégations de nombreux pays, l’Uruguay, le Pérou, le Brésil, l’Argentine, le Mexique, la France, les États-Unis, la Colombie et l’Espagne.
 

Pour un Chili plus juste

Le 1er septembre, quelques jours avant la tenue du référendum, un grand rassemblement en faveur de l’Apruebo (J’approuve) a réuni plus de 500 000 personnes à Santiago. De nombreux témoignages ont relaté les principaux événements qui ont mené au référendum : la victoire de Gabriel Boric comme président, le référendum sur le changement de la constitution adopté à 80 % et l’élection d’une assemblée constituante paritaire et représentative des peuples autochtones, qui a proposé un projet de constitution en faveur d’un Chili plus juste, digne, solidaire, écologique, communautaire, paritaire et plurinational.

Le chemin vers un Chili plus démocratique et plus juste a connu de nombreux obstacles au cours de l’histoire, impliquant parfois les armes, comme lors du coup d’État du 11 septembre 1973, et le mensonge et la désinformation, comme ce fut le cas cette fois. Avec la manipulation médiatique de la droite, l'oligarchie et les secteurs qui se sont mis au service des intérêts des gens figurant parmi les 1 % les plus riches du Chili, ont réussi à maintenir provisoirement la constitution imposée sous la dictature.
 

Une campagne mensongère

Dans sa campagne de propagande, la droite a utilisé plusieurs articles du projet de constitution pour faire craindre le pire aux citoyens. Elle s’est notamment servie de l’article prévoyant fournir un logement digne à l’ensemble de la population pour souligner le fait qu’il n’était pas mentionné le droit au logement privé. Plusieurs chauffeurs de taxi nous ont dit qu’ils craignaient de perdre leur maison si la nouvelle constitution était adoptée. « S’ils n’ont pas écrit le mot privé, c’est que cela cache quelque chose », nous disaient-ils. Pourtant, l’intention des auteurs du projet de constitution n’a jamais été d’interdire le privé, mais plutôt d’autoriser la construction de logements sociaux, ce qui est interdit actuellement.

À la campagne, la droite a aussi utilisé un article sur le respect des animaux pour affirmer que les paysans ne pourraient plus monter à cheval. Elle a aussi martelé que la reconnaissance des nations autochtones pourrait entrainer une partition du territoire chilien. Il était pourtant écrit que le territoire du Chili était indivisible dans le projet de constitution. Dans un pays où le droit à l’avortement n’est reconnu qu’en cas de viol ou de risque pour la santé de la mère ou du fœtus, la droite a dénoncé la reconnaissance du droit à l’avortement.

Comme tous les médias chiliens sont contrôlés par la droite et que les partis de droite disposaient de budgets énormes pour la publicité, ils ont réussi à convaincre une majorité de la population de voter Rechazo (Je rejette). Même les régions les plus désertiques du Chili où l’eau est privatisée et où une partie de la population n’a pas les moyens d’acheter suffisamment d’eau pour se laver, une majorité a voté contre le renouvellement de la constitution qui prévoyait que l’accès à l’eau est un droit humain fondamental.

L’objectif de la droite était clair : maintenir la conception de l’État subsidiaire inscrite dans la constitution imposée par Pinochet. Selon cette conception, l’État ne peut intervenir que si le secteur privé ne peut pas le faire. C’est ainsi que l’éducation, la santé, l’eau, les régimes de retraite, tout est privé. L’État ne peut offrir des services publics que si le secteur privé ne trouve pas cela rentable. Le Chili fut le berceau du néolibéralisme sous la dictature de Pinochet influencée par les Chicago Boys, un groupe d’économistes chiliens qui avaient étudié au département de sciences économiques de l’Université de Chicago dirigée par Milton Friedman et Arnold Harberger.
 

Regarder vers l’avant

L’objectif des forces progressistes consiste maintenant à reprendre le processus constitutionnel adopté lors du plébiscite d’entrée le 25 octobre 2020. Après avoir adopté à 80 % la rédaction d’une nouvelle constitution, il est nécessaire de poursuivre le processus pour remplacer définitivement la constitution de la dictature.

L'espoir suscité par l’assemblée constituante en faveur d’un Chili plus juste, digne, solidaire, écologique, communautaire, paritaire et plurinational ne peut être arrêté à cause de l'instrumentalisation du mensonge et de la déformation de la vérité.

Les progressistes chiliens partagent la conviction que le Chili, dans un avenir rapproché, parviendra à construire une société différente du néolibéralisme qui en fait actuellement une des sociétés les plus inégalitaires de la planète.