Idées reçues en immigration ayant la vie dure

2022/09/30 | Par Anne Michèle Meggs

Il était inévitable que la question d’immigration refasse surface pendant la campagne électorale. Mais des enjeux qui font l’objet de politiques publiques sont nombreux et la plupart très complexes. L’immigration ne fait pas exception. Si quelques éléments de l’évolution récente du dossier ont trouvé leur place dans les plateformes de certains partis, plusieurs idées reçues qui ont la vie dure. Nous examinerons six des plus tenaces.
 

  1. Les chiffres proposés de seuil d’immigration constituent le nombre de nouvelles arrivantes et nouveaux arrivants prévus. Faux.

Les chiffres proposés de seuil d’immigration (35 000 du PQ, 50 000 de la CAQ et du PCQ, 70 000 du PLQ et 60 à 80 000 de QS) constituent le nombre de personnes prévues pour obtenir la résidence permanente. On parle donc de l’immigration permanente. La majorité est déjà au Québec depuis quelques années. Soit parce qu’elles y ont étudié et/ou travaillé et ont été sélectionnées par le Québec dans la catégorie économique, soit parce que leur demande d’asile a enfin été acceptée par le fédéral.

Dans les six premiers mois de cette année, quelque 32 000 personnes ont obtenu leur résidence permanente au Québec. Il s’agit de presque la moitié du seuil prévu par le gouvernement du Québec pour 2022, c’est-à-dire 70 000. On peut estimer que près de la moitié étaient déjà au Québec, les autres étant parrainées par un membre de leur famille ou un groupe de parrainage des réfugiés.

Les personnes récemment arrivées au Québec (a) ont un statut temporaire,    (b) ne sont pas comptées dans le chiffre du seuil d’immigration permanente, et  (c) sont beaucoup plus nombreuses que le nombre qui obtiennent leur résidence permanente.

Pendant la même période, près de 100 000 personnes sont arrivées au Québec pour étudier, travailler ou demander l’asile. Elles sont toutes au Québec légalement. Nous ne savons pas combien d’entre elles vont éventuellement demander la résidence permanente, mais il est important de souligner que, depuis des décennies, le gouvernement du Québec (suivant l’exemple du fédéral) s’est donné pour objectif d’augmenter le nombre de personnes à statut temporaire sélectionnées dans la catégorie économique.

M. Legault peut bien balayer le phénomène de l’immigration temporaire, disant que « les temporaires sont temporaires », son gouvernement s’est donné comme objectif d’augmenter le nombre de personnes à statut temporaire au Québec, sans débat ni consultation.

Le Parti Québécois a reconnu en partie le phénomène temporaire avec son engagement de limiter le nombre d’étudiantes et étudiants internationaux non francophones. Une stratégie pertinente. Les permis d’études représentent la plus grande catégorie de l’immigration temporaire. Faire des études internationales est devenue, pour un très grand nombre de jeunes de l’étranger, un projet d’immigration plutôt qu’un projet éducatif. Grâce au fédéral, ces jeunes et leurs conjointes ou conjoints peuvent travailler au pays pendant et après leurs études.

Contrôler le domaine des études internationales c’est contrôler en grande partie la croissance de l’immigration temporaire.

Le PQ et QS démontrent une compréhension au moins partielle du phénomène, de son potentiel positif et de ses inconvénients. Les deux appellent à la régularisation des personnes à statut temporaire, particulièrement en région.
 


 

  1. Il existe un chiffre de seuil d’immigration permanente qui correspond à la capacité d’accueil du Québec. Faux.

Comme on le voit, on « accueille » peu de personnes dans le cadre de l’immigration permanente au Québec. Ce sont les nombreuses personnes à statut temporaire qui ont besoin d’un accueil. Il faudrait savoir ces jours-ci combien de personnes à statut temporaire arriveront pour déterminer si tout est en place pour bien les accueillir.

Un autre problème est qu’on n’a jamais défini le concept de « capacité d’accueil ». On n’a pas d’indicateurs pour la mesurer. Jusqu’à récemment, l’accueil se résumait aux services d’intégration et de francisation. L’immigration temporaire connaît une croissance fulgurante au moment où nous faisons face à une pénurie criante de logement dans toutes les régions du Québec. De plus, des dizaines de milliers d’enfants sont en attente d’une place en garderie et notre système de santé et de services sociaux est incapable de répondre aux besoins des personnes déjà sur le territoire. Ces facteurs n’ont jamais fait partie de la planification des seuils d’immigration permanente et il n’existe pas de planification de seuils d’immigration temporaire.

Seul Québec solidaire propose une approche réfléchie à ce problème avec un comité d’experts qui définirait la capacité d’accueil et les indicateurs pertinents.
 

  1. La politique d’immigration du Québec peut renverser le déclin du français au Québec. Faux.

Le déclin du français est dû au taux de natalité et à l’anglicisation des francophones. Des études récentes démographiques et les données linguistiques publiées par StatCan le démontrent clairement.

Tous les scénarios les plus probables et improbables liés à l’immigration ne font que ralentir ou accélérer légèrement le déclin. Qu’on arrête toute immigration, que l’immigration soit 100 % francophone (prôné explicitement par le PQ et implicitement par la CAQ et le PCQ), que 50 % des personnes immigrantes s’installent en région, qu’elles apprennent rapidement le français en arrivant, les projections révèlent que la courbe bouge à peine. Pourquoi ? Notamment, comme explique Marc Termote, parce que les personnes immigrantes ne constituent que 14 % de la population du Québec. Un petit changement dans le comportement de la majorité francophone pèse plus lourd qu’un changement important dans une relativement petite minorité de la population.

Plusieurs partis s’engagent à mettre plus de ressources dans la francisation. Québec solidaire se distingue positivement avec sa proposition d’augmenter la francisation en milieu de travail. Trois quarts de l’immigration permanente et presque 100 % de l’immigration temporaire est adultes. Ces adultes n’ont d’autre choix que de mettre le gagne-pain avant l’apprentissage du français. Si on ne capte pas ces travailleuses et travailleurs dans leur milieu de travail, en insistant que la langue du travail est le français et avec des cours de français sur le lieu du travail, les chances sont minces que les non-francophones adultes apprendront rapidement et adéquatement la langue.

Malheureusement, le domaine de la francisation souffre de la même maladie que la capacité d’accueil – l’absence d’indicateurs permettant de bien cibler les ressources là où elles auront le plus d’effet. Rien pour mesurer efficacement les résultats des ressources investies.

De plus, il n’y a rien dans la réforme de la Charte de la langue française qui donne espoir que la situation changera. La réformette administrative que représente la « création » de Francisation Québec au sein du ministère de l’Immigration n'augure rien de bon, surtout qu’il n’y a aucune reddition de comptes prévue dans la loi pour cette unité.
 

  1. Il existe un chiffre de seuil d’immigration permanente qui va régler le problème général de pénurie de main-d’œuvre. Faux.

Selon l’économiste, Pierre Fortin, se basant sur ses propres analyses et celles d’autres études, « le recours à l’immigration peut aider à soulager des pénuries de main-d’œuvre spécifiques au niveau de l’entreprise individuelle, bien que la grande complexité administrative et le long temps d’attente rendent souvent ce recours inefficace dans le concret ; mais malheureusement, au niveau macroéconomique, l’idée […] que l’immigration peut résoudre les pénuries parce qu’elle accroît la population en âge de travailler n’est rien d’autre qu’un gros sophisme de composition; cette idée est basée sur une logique incomplète qui « oublie » de tenir compte que l’immigration finit par faire augmenter la demande de main-d’œuvre et non seulement l’offre de main-d’œuvre. »

Paul Saint-Pierre Plamondon a donc raison de dire que cet argument ne tient pas la route dans le calcul des seuils d’immigration permanente. Le chef de la CAQ soutient également cette position, malgré la pression du milieu des affaires, mais semble vouloir augmenter l’immigration temporaire comme si cela n’avait pas de conséquence sur l’immigration permanente éventuelle.
 

  1. L’installation de plus de personnes immigrantes dans les régions à l’extérieur de la région métropolitaine de Montréal va (a) aider avec la francisation de ces personnes ou (b) va ralentir l’exode des régions ou (c) va régler les problèmes de main-d’œuvre des régions. A. On ne sait pas. B. Les personnes immigrantes quittent déjà les grands centres au même rythme que les personnes natives. C. Ça dépend.

Comme les données en francisation nous manquent, on ne sait pas si la francisation des adultes non francophones se fait plus rapidement et efficacement dans une région très majoritairement francophone. On revient à la question de la langue du travail et à la nature du recrutement des entreprises.

Quant au peuplement des régions, le mouvement des migrations internes au Québec depuis quelques années est plutôt vers l’extérieur des grands centres. Cette tendance se vérifie autant chez la population immigrante que non immigrante.

La CAQ compte beaucoup sur l’immigration temporaire pour soulager les régions des pénuries de main-d’œuvre, mais l’immigration temporaire, comme son sens même le dit, devrait servir à pourvoir des postes temporaires, des postes de courte durée. Pourtant, depuis quelques années, elle sert à pourvoir des postes permanents. Cette pratique détourne le modèle d’immigration édifié au cours des ans par le Québec.

L’objectif de la régionalisation, comme celui de la régularisation des personnes à statut temporaire, fait partie de la politique d’immigration au Québec depuis des décennies. Plusieurs initiatives ont été tentées sans résultats significatifs. D’ailleurs, on a même redéfini à quelques reprises l’indicateur pour mesurer cet objectif. Il y a 20 ans, on comptabilisait le nombre de personnes admises qui se trouvaient hors de la région métropolitaine de Montréal un an après leur admission. (À l’époque, l’année d’admission correspondait généralement à l’année d’arrivée, ce qui n’est plus le cas.) On a ensuite calculé le nombre de personnes admises dans une cohorte de 5 ans, ensuite de 10 ans, présentes en région. Au moins, on dénombrait toujours la présence réelle en région des personnes admises. La CAQ a décidé de compter le nombre de personnes qui disent vouloir s’établir en région au moment de leur sélection ! Original. Dans tous les cas, les chiffres ne tiennent pas compte de l’immigration temporaire.

Soulignons que, à l’exception des réfugiés pris en charge par l’État, on ne peut forcer des personnes avec un statut permanent de s’installer à un endroit particulier. Le droit à la mobilité est enchâssé dans la Constitution canadienne. Il faut donc des incitatifs et de la persuasion. Le Parti libéral propose de donner plus de place aux régions dans la sélection de leur immigration. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée. Les ententes sur l’immigration entre le gouvernement fédéral et les autres provinces ont donné lieu à une meilleure répartition de l’immigration sur le territoire canadien. Pourquoi pas l’essayer sur le territoire québécois ?

Québec solidaire propose de prioriser la régularisation des personnes à statut temporaire déjà en région pour les inciter à y rester. Encore une fois une idée intéressante, mais qui ne répond pas à la question de base qui est : « Veut-on encourager l’immigration temporaire ? »

Dans sa plateforme, le Parti Québécois parle de régionaliser 50 % de l’immigration permanente et de régionaliser 50 % des nouveaux arrivants. Comme on sait, ce ne sont pas nécessairement les mêmes personnes. Il y a donc un peu de confusion dans cet engagement. Cela étant dit, selon l’étude publiée par l’OQLF, une distribution plus symétrique ou égale des personnes immigrantes sur le territoire se traduirait par un poids démographique des francophones plus élevé dans la région de Montréal et plus bas hors de la région métropolitaine.

Le Parti conservateur ne mentionne pas la régionalisation et la CAQ vise à faire de la « région métropolitaine de Québec » le 2 pôle d’attractivité pour l’immigration, un objectif qu’on trouve presque mot pour mot dans le premier plan stratégique public en immigration déposé en 2001 par le ministre d’alors, Joseph Facal.
 

  1. Le fédéral ne respecte pas l’Accord Canada-Québec sur l’immigration. Faux.

Le gouvernement fédéral a toujours respecté l’Accord Canada-Québec sur l’immigration.

Il accorde la résidence permanente uniquement aux personnes immigrantes au Québec détenant un Certificat de sélection du Québec (CSQ) en fonction des volumes établis par le gouvernement du Québec.

Il ne se mêle pas de la grille de sélection du Québec ou des programmes mis en place par le Québec pour la sélection des travailleurs qualifiés ou les autres catégories d’immigration économique.

Il n’accorde pas la résidence permanente dans la catégorie de réunification familiale à des personnes qui n’ont pas un certificat de sélection du Québec et un contrat de parrainage signé avec le gouvernement du Québec. Ce contrat est la responsabilité du Québec et pourrait inclure, au besoin, un engagement de la part du parrain de faciliter l’apprentissage du français par la personne parrainée.

Il n’accorde pas la résidence permanente à une personne réfugiée, incluant une personne dont la demande d’asile a été acceptée par le fédéral, qui n’a pas un certificat de sélection du Québec. Dans le cas des personnes réfugiées parrainées, le groupe de parrainage signe un contrat avec le gouvernement du Québec. Le Québec détermine les conditions de parrainage incluses dans ces contrats et pourrait ajouter des conditions visant à faciliter l’apprentissage du français.

Le gouvernement fédéral n’accorde pas de permis d’étude au Québec à une personne qui n’est pas inscrite dans un établissement désigné par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec et qui n’a pas un Certificat d’acceptation du Québec (CAQ-études). Le Québec peut donc décider quels établissements et programmes sont désignés à des fins d’études internationales et du nombre de CAQ-études qui seront délivrés. Il établit également les conditions liées à un CAQ-études, et pourrait inclure des exigences linguistiques. Il n'y en a pas actuellement. La seule exigence linguistique est celle imposée par la langue du programme d’études.

Le gouvernement fédéral n’accorde pas de permis de travail à une personne embauchée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) qui n’a pas un Certificat d’acceptation du Québec. Le Québec approuve les Évaluations d’impact sur le marché du travail (EIMT) exigées des employeurs et la liste de professions exemptes de cette évaluation au Québec. Il pourrait limiter le nombre de CAQ délivrés et ajouter des conditions linguistiques aux employeurs. Actuellement, l’employeur détermine les exigences linguistiques.

Tel que stipulé dans l’Accord, le gouvernement fédéral n’offre plus de service d’intégration socio-économique ou linguistique au Québec. Le Québec offre le même type de service financé par le fédéral hors Québec aux personnes avec un statut de résidence permanente. En retour, le fédéral effectue un transfert de compensation au Québec chaque année. Le montant de ce transfert dépasse maintenant le montant que le Québec dépense pour les services aux personnes à statut permanent.

Les seules personnes immigrantes qui échappent actuellement à un contrôle quelconque du ministère de l’Immigration du Québec sont celles qui arrivent au Québec avec un permis de travail ouvert délivré par le fédéral dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI). La question qui se pose est : « Pourquoi ces personnes échappent au consentement accordé au Québec par l’Accord ? »

L’Entente Couture-Cullen (1978), l’Accord du lac Meech (1987) et l’Accord Canada-Québec sur l’immigration (1991) font référence aux pouvoirs relatifs à « des personnes qui souhaitent s’établir au Québec à titre permanent ou temporaire ». Il n’y avait pas de distinction entre les permis fermés (liés à l’employeur) et les permis ouverts à cette époque. Cette catégorie constituait à peine une note en bas de page dans le système d’immigration canadien à cette époque. Cela étant dit, l’Entente Couture-Cullen incluait un paragraphe qui stipulait que les deux gouvernements s’entendraient sur les directives applicables à ces permis.

En 2014, à la fin du dernier mandat du gouvernement Harper, une réforme importante du PTET a été annoncée. Il s’agissait d’une réorganisation du Programme « pour en faire deux programmes distincts ». C’est à ce moment que le Québec aurait dû insister pour que son droit acquis de consentement à l’admission des personnes à statut temporaire soit maintenu relatif au nouveau programme.

C’est le PMI, entre les mains du gouvernement Trudeau, qui a ouvert la porte au chaos et à l’improvisation dans le système d’immigration canadien actuel et à la croissance démesurée de l’immigration temporaire. Il est fondamental que le Québec revienne sur sa cession de ce programme au fédéral.

Pour le reste, le Québec a tous les pouvoirs auxquels une province peut aspirer, même s’il ne les exploite pas au maximum pour contrôler les volumes d’immigration temporaire et les exigences linguistiques dans les catégories autres qu’économiques.

Il y a même d’autres gestes qu’il pourrait faire pour mettre de l’ordre dans le système. Par exemple, il peut délivrer des permis de travail dans sa sphère de compétence, empêchant ainsi les personnes dont le permis du fédéral a expiré de tomber dans l’illégalité en attente d’une prolongation ou d’une réponse à sa demande de résidence permanente.

Il pourrait proposer au fédéral de reconnaître les CSQ et les CAQ comme l’équivalent d’un visa de résidence permanente ou temporaire. Il pourrait proposer que les vérifications de santé et de sécurité actuellement entreprises par le fédéral préalablement à la délivrance d’un visa de résidence permanente soient assumées par le Québec. De tels changements allègeraient les inventaires de demandes au niveau fédéral et éviteraient le chevauchement qui crée tant d’attentes et de délais.

Il est évident qu’une province n’aura jamais son mot à dire sur les décisions prises au niveau international qui influencent les migrations mondiales. Le Canada refuse l’idée d’une citoyenneté spécifique au Québec. Mais ces pouvoirs ne sont pas revendiqués actuellement par les partis fédéralistes québécois. Ils sont présumés dans les revendications des partis souverainistes.