L’auteur est député du Bloc Québécois
Depuis un an, nous vivons une période de forte inflation. Elle dure plus longtemps que les prévisions de la plupart des économistes. La hausse des prix s’observe particulièrement dans trois secteurs : l’alimentation, le logement et les hydrocarbures.
L’inflation affecte tout le monde, mais particulièrement les aînés. Leurs revenus sont rarement ajustés à l’inflation. Leur pouvoir d’achat s’érode à mesure que les prix augmentent. Ceux-ci se sont accrus, en moyenne, de 7,7 % au cours de la dernière année. Si votre revenu n’a pas augmenté, votre pouvoir d’achat a diminué d’autant.
Par exemple, les prix des produits alimentaires ont bondi de 10,8 % en un an. Pour le pain et les céréales, c’est 15 %, et l’huile a connu une hausse de 27,7%. Cela force les gens, en particulier les aînés à faibles revenus, à faire des choix déchirants. Nombreux sont ceux qui doivent carrément réduire la taille de leur panier d’épicerie, quitte à avoir faim.
Déménager ou rester là ?
Le prix de l’immobilier a explosé depuis le début de la pandémie. Si l’actuelle hausse des taux d’intérêt découlant de la politique monétaire agressive de la Banque du Canada fait reculer le prix de vente, elle ne règle en rien les mensualités. Dans le domaine locatif, on assiste aussi à une spectaculaire hausse des loyers.
Les aînés qui ont un logement depuis plusieurs années font aujourd’hui face à beaucoup de pression de la part de propriétaires qui veulent les évincer. Un logement remis en location peut facilement être loué deux fois plus cher. Des mesures existent pour contester les hausses abusives ou les tentatives d’éviction, mais leur utilisation n’est pas toujours évidente. Et les aînés qui doivent déménager se retrouvent, eux aussi, à devoir payer le double de leur loyer précédent.
Ils sont obligés de louer une chambre au prix qu’ils payaient leur logement, ou encore être hébergés chez leurs enfants ou emménager avec des colocataires. Cela les force souvent aussi à retourner sur le marché du travail, possiblement à temps plein.
La situation est particulièrement gênante pour les retraités à faibles revenus, qui touchent le Supplément de revenu garanti (SRG), et qui ont l’habitude de travailler un peu pour arrondir leur fin de mois. Durant la pandémie, ils ont dû arrêter de travailler. Le gouvernement les a invités à demander la Prestation canadienne d’urgence (PCU) pour combler le manque à gagner.
Or, si les premiers milliers de dollars de revenus travaillés ne les pénalisent pas dans le calcul de l’admissibilité au SRG, ce n’est pas vrai dans le cas de la PCU. Et la plupart l’ignoraient. L’information n’a été transmise que tardivement et de façon opaque. Ces aînés se sont donc retrouvés à être exclus du SRG et à devoir payer des impôts sur la PCU reçue. Plusieurs d’entre eux n’avaient plus les moyens de conserver leur logement. Dans plusieurs cas, ils ont brisé leur bail, vendu leur maison ou condo, se sont départis de leurs meubles et ont été contraints à déménager chez leurs enfants ou dans une chambre. Plusieurs ont dû retourner travailler. D’autres ont retiré leur REER pour payer leurs impôts et passer à travers l’année, ignorant que l’épargne retirée et dépensée les priverait du SRG pour l’année suivante.
La conjoncture illustre la précarité de la situation des aînés à faibles revenus. Une année inflationniste ou un confinement suffisent à déstabiliser leur train de vie et, souvent, à les jeter dans la misère.
Deux classes d’aînés
Le Bloc Québécois demande depuis longtemps que le gouvernement rajuste les montants de la Sécurité de la vieillesse. Ma collègue, la députée de Shefford Andréanne Larouche, porte-parole en la matière, rappelle que la prestation de retraite des aînés n’a pas été indexée suffisamment. Une hausse de 110 $ par mois serait nécessaire pour revenir au pouvoir d’achat antérieur et ce montant a été établi sans tenir compte de l’inflation de la dernière année. Le gouvernement libéral a choisi d’augmenter quelque peu le montant de la retraite, mais seulement pour les aînés de 75 ans et plus. Ce choix idéologique de créer deux classes d’aînés a vivement été dénoncé par les regroupements d’aînés, comme la FADOQ et l’AQDR.
Le choix d’exclure les moins de 75 ans envoie un signal fort aux jeunes retraités de la part d’Ottawa. L’État n’est plus là pour vous. Ou bien vous avez suffisamment d’épargne, ou bien vous devrez continuer à travailler pour maintenir un niveau de vie acceptable.
Stephen Harper avait fait passer l’âge de la retraite de 65 ans à 67 ans. Une modification annulée par le gouvernement Trudeau dès son arrivée au pouvoir, même si le ministre des Finances Bill Morneau plaidait lui aussi, juste avant d’être élu, pour le prolongement du travail jusqu’à 67 ans.
En laissant les retraités de moins de 75 ans qui n’ont pas de gros fonds de pension sans ressources suffisantes pour arriver, est-ce que le gouvernement Trudeau est en train de faire indirectement ce qu’il a refusé de faire directement: repousser l’âge de la retraite ? Plutôt que d’établir un nouvel âge cible – 67 ans – est-ce que le gouvernement change la donne pour les 65 à 74 ans sans épargne suffisante ? Enfin, est-ce que ce choix est une réponse au sérieux problème de la pénurie de main-d’œuvre ?
Une « solution » à la pénurie de main-d’œuvre
Les entreprises font face à un changement structurel. Avec le départ à la retraite des Boomers, une personne arrive sur le marché du travail pour deux personnes qui le quittent. La pandémie a exacerbé la pénurie.
Une réduction de la proportion de gens sur le marché du travail amène un changement profond dans l’organisation économique de nos sociétés. Les solutions pour les entreprises passent certes par un investissement massif dans leur productivité, comme l’automatisation et la robotisation. Pour l’économie en général, un investissement dans l’éducation et la formation est aussi un incontournable. Reste ensuite la hausse du nombre de travailleurs et travailleuses. Cela peut passer par l’immigration – permanente ou temporaire – et par l’allongement du nombre d’années de vie active sur le marché du travail (sans oublier tous les efforts pour intégrer les personnes historiquement plus éloignées du marché comme celles vivant avec un handicap).
Or, selon l’économiste Pierre Fortin, il n’est pas démontré que l’immigration permet de réduire la pénurie de main-d’œuvre. Si, d’un côté, les nouveaux arrivants travaillent (contrairement aux propos erronés de l’ancien ministre Boulet), de l’autre, ils consomment (logements, services publics, etc.), accroissant proportionnellement la demande générale.
La réponse la plus facile et rapide à la pénurie de main-d’œuvre est donc de prolonger le nombre d’années où l’on travaille. Cela peut être fait de façon libre, en adoptant par exemple une fiscalité qui encourage les jeunes retraités qui le désirent à continuer de travailler. C’est ce que proposent les regroupements d’aînés et ce que demande le Bloc.
Ottawa semble plutôt adopter la contrainte. En n’indexant pas suffisamment les revenus versés aux aînés, en particulier la Sécurité de vieillesse pour les moins de 75 ans, le gouvernement Trudeau est en train de forcer une classe d’aînés, les 65-74 ans qui n’ont pas une épargne suffisante – souvent parce qu’elles ou ils ont détenu des emplois moins rémunérés durant leur vie active sur le marché du travail – à devoir continuer à travailler plus longtemps.
La réponse du fédéral au vieillissement de la population et à la pénurie de main-d’œuvre est discriminatoire pour les classes populaires et une partie des classes moyennes : elles devront travailler plus longtemps. Entre offrir la possibilité de continuer à travailler à temps partiel pour accroitre ses revenus et contraindre au travail pour arriver à boucler son budget, il y a un monde.