L’auteur est directeur de L’Action nationale.
Six auteurs se réunissent ici pour donner une impitoyable lecture du livre des solidaires. C’est un véritable jeu de massacre. À les lire, Ce qui nous lie, n’aura jamais si bien porté son titre : c’est un nœud de contradictions qui fait office de programme, mieux, de projet de société grandiloquent pour « ce machin assez extraordinaire qui a des porte-parole sincères, mais pas de parole », comme le résume si brillamment Gilles Gagné.
Le sociologue de l’Université Laval signe dans ce recueil un jugement sans appel : QS se paie de mots. Son exposé reste le plus solide de ce petit ouvrage. Il y offre, avec une ironie bienveillante, une véritable déconstruction du fétichisme idéologique. C’est par l’écologie que QS entend conduire le Québec sur le chemin de l’indépendance. L’indépendance pour l’environnement ? Gagné examine sérieusement ce que le combat pour l’environnement devrait comporter si QS prenait vraiment la chose au sérieux. Il n’y trouve qu’une pensée molle et indigente, bien éloignée, voire étrangère à ce que signifie l’indépendance dans le champ politique.
À lire Gagné et ce qu’il déconstruit du bricolage intellectuel de QS, on ne peut que rester médusé par le tour de force communicationnel de cette nébuleuse. Comment diable cela peut-il tenir la route ? On serait bien tenté de conclure que cela ne peut être pris au sérieux que dans le cirque médiatique, dans la spirale de la folklorisation et de la médiocrité qu’impose au Québec la décomposition de sa sphère politique.
Le recours à la constituante brandi comme un certificat de vertu y apparaît plutôt comme une défilade, un truc pour reporter dans les limbes les choix que QS ne veut pas envisager ici et maintenant. C’est un liant pour la pensée molle comme le démontre presque avec férocité le texte d’André Binette qui n’y va pas par quatre chemins : QS ne sait pas de quoi il parle. Pis, en matière de rapports aux nations autochtones ce que QS pense dire est à des années-lumière des termes élémentaires de la problématique politique des rapports du Québec avec les nations autochtones. Moulue, sa position que les bonnes intentions ne sauvent de rien.
Marie-Claude Girard n’est guère plus tendre en parlant de laïcité. Elle déboulonne la statue de la tolérance autoproclamée en dressant l’inventaire des volte-face sur la laïcité : elle n’y voit que décrochage intellectuel et politique à l’égard du combat des femmes. Elle s’explique mal les motifs qui ont justifié de tels renoncements qui font de QS l’allié local de fondamentalistes que personne ne voudrait voir ici gagner en influence alors que QS s’ingénie à leur construire un espace de légitimité. Un espace qui ne peut-être que celui des enclos du multiculturalisme.
Qu’il s’agisse de langue, de laïcité ou des autochtones, le prisme est toujours le même : c’est le bricolage des formules creuses qui s’additionnent, qui habille l’indigence de la pensée. Les bons sentiments ont beau dégouliner, le réel fuit de partout, surtout lorsqu’il est question de penser l’oppression.
Simon Rainville en identifie bien le ressort profond : « Québec solidaire nous parle de l’indépendance d’un peuple absent. » L’universalisme désincarné caractérise son discours et lui facilite la vie. La domination politique et culturelle sous laquelle vit le Québec n’apparaît même pas comme une « raison forte » tant le Qsistes se méfie de la majorité et de son histoire. La posture reste celle des donneurs de leçon qui se voient d’abord comme des redresseurs de torts devant un passé décrété trouble à tenir en laisse. Les énoncés sur la culture québécoise restent pétris d’un moralisme qui renforce toute la matrice du multiculturalisme : QS se méfie de la majorité qu’il veut libérer d’elle-même bien davantage que de ses chaînes dans le régime canadian dont il n’est nulle part question. Là encore, aucune prise sur le réel sauf pour ce qui est de lever le nez sur les héritages. Ce n’est pas un propos sur la culture, mais un prêchi-prêcha d’ingénieurs sociaux qui confondent les fétiches avec le réel.
Les horizons de la plateforme politique de QS ainsi analysés ne donnent aucune envie de « s’attacher » au cortège de cette gauche. Ils suffisent à convaincre de la force du vide, de la puissance du néant dans les alibis politiciens. Ce qui nous délie instruit tout autant le procès du livre qu’il déconstruit que celui de l’ère du vide. Tout cela tient davantage des avatars post-modernes des cultes du cargo que de l’utopie de gauche. Cultes du cargo ? Ses éminences grises vont devoir faire quelques lectures…
Collectif
Ce qui nous délie. Une critique du projet de pays de Québec solidaire
Les Éditions du Renouveau québécois, Montréal, 2022.
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