Le « success story » d’André « Vidéotron » Chagnon vu par Léo-Paul Lauzon

2022/10/12 | Par L’aut’journal

Au mois de décembre 1993, dans son édition no. 109, l’aut’journal publiait une série d’articles sur le « success story » d’André Chagnon à partir d’une étude signée Léo-Paul Lauzon, professeur au Département des Sciences comptables de l’UQAM. Nous reproduisons un de ces articles.

Un feuilleton en 6 épisodes !

Premier épisode : La naissance d’un héros

Dès sa naissance en 1966 jusqu’à 1980, André Chagnon était propriétaire d’une entreprise très modeste, à la situation financière fort précaire. Le bilan de 1980 de Vidéotron laisse voir un déficit cumulé de 44 000 $ et un actif total de seulement 15 millions $.

Cependant, en scrutant le bilan de 1980, on découvre que Vidéotron a la chance d’avoir un parrain puissant qui veille sur son développement et qui jouera un rôle majeur dans les prochains épisodes : la Caisse de dépôt et placement du Québec. Retenez ce nom. Elle a déjà investi 8 millions $ dans Vidéotron. C’est beaucoup sur un capital-actions ordinaires de 8 010 000 $ !!! Il ne reste, vous avez bien compté, qu’un maigre 10 000 $ investi par les actionnaires de la première heure.
 

Deuxième épisode : La véritable naissance du héros

1980, c’est l’événement décisif de la carrière de Vidéotron. Il acquiert Cablevision Nationale Ltée, une entreprise quatre fois plus grosse ! André Chagnon, le pdg, exulte ! C’est le triomphe du self-made man. Applaudissez téléspectateurs !

Que vous êtes naïfs ! Chagnon, votre héros, n’a presque rien à voir dans tout cela. C’est son parrain, la Caisse, qui a tiré toutes les ficelles. Première ficelle, la Caisse était déjà le plus gros actionnaire de Cablevision avec 30 % des actions. Deuxième ficelle, sur un prix de vente de 14 millions $, la Caisse en a déboursé 8 millions $. Troisième ficelle, 2,6 millions $ furent financés par un prêt de la Banque Toronto-Dominion garanti par nul autre que la… Caisse ! Mais le parrain laissa toute la place à son protégé en ne prenant que 30 % des actions ordinaires de Vidéotron.

Troisième épisode : La poule aux œufs d’or

Avec l’acquisition de Cablevision Nationale, Chagnon a trouvé la poule aux œufs d’or. Les mauvaises langues affirment que les seuls succès financiers de Vidéotron résultent de sa situation de monopole dans la câblodistribution. L’explication est assez simple : le CRTC accorde à chaque exploitant une grille tarifaire qui assure une couverture entière des frais engagés plus un taux de rendement sur le capital investi. Dans un tel contexte, comment serait-il possible de ne pas faire d’argent ?

Pour ne pas ternir la réputation de notre héros, permettez-nous, par ailleurs, de rappeler que, si environ 450 millions $ furent investis depuis 1986 dans des domaines autres que la télédistribution, tous ces projets d’investissements n’ont généré que des pertes !

Nous omettons également de signaler que Vidéotron se sert de sa situation monopolistique pour inonder le téléspectateur d’un déluge de publicités sur ses propres produits et services. Il ne faut pas croire non plus les jaloux qui rappellent que, afin d’augmenter ses chances de réussite et mettre un peu de pression sur les gens, les clients des services Super Écran et First Choice doivent obligatoirement s’abonner au système Vidéoway. Qui osera affirmer que les 100 000 abonnés de Vidéoway le sont principalement pour les mérites intrinsèques de ce concept et non pour les avantages offerts à Super Écran et First Choice.
 

Quatrième épisode : RÉA bien qui RÉA le dernier !

En 1985 et 1986, notre héros rencontre un nouveau protecteur en la personne de Jacques Parizeau et son programme de Régime d’Épargnes-Actions (RÉA). Chagnon réussira à attirer dans les goussets de Vidéotron, grâce aux RÉA, un montant de 76 millions $. Cela représente un manque à gagner pour le gouvernement et constitue donc une subvention gouvernementale déguisée de 11 millions $.

Le grand public qu’on a invité à jouer aux « capitalistes-investisseurs » se retrouve en bout de ligne, après avoir investi 76 millions $, avec un mince 1 % du contrôle de Vidéotron. La Caisse conserve toujours son 30 % avec ses 10 millions $. Mais, cher public, le Grand Gagnant est : André Chagnon ! Avec un investissement initial de moins de 100 000 $, il se retrouve avec 60 % du contrôle de la compagnie !!! RÉA bien qui RÉA le dernier !
 

Cinquième épisode : Des perdants et un visionnaire

Jouer à Bourse, c’est palpitant. Mais on ne gagne pas toujours. Si vous étiez des fans des RÉA, vous le savez depuis le krach de 1987. Mais, consolez-vous, les actionnaires de Vidéotron le savaient bien avant vous. En effet, la valeur boursière de Vidéotron avait commencé sa dégringolade avant le krach. La cote de l’action, qui était de 18,63 $ en mars 1987, se transigeait à 12,63 $ en octobre 1991.

Mais, en dirigeants prévoyants, les actionnaires majoritaires de Vidéotron s’étaient versés, juste avant le premier appel à l’épargne en 1985, un généreux dividende spécial de 1 357 000 $ et un dividende déguisé sous forme de rachat d’actions au montant de 4 445 000 $. Jamais auparavant, la compagnie Vidéotron n’avait versé de dividendes…

Est-ce pour cela qu’on dit d’André Chagnon qu’il est un « visionnaire » ? Toujours est-il que, dans son classement du mois d’août 1991, la revue Affaires Plus classait André Chagnon au cinquième rang des individus les plus fortunés du Québec avec un avoir personnel d’environ 26,7 millions $.
 

Sixième épisode dans lequel le Happy End n’est pas celui qu’on pense

En bons téléspectateurs de feuilleton, vous vous attendez à ce que toute cette saga se termine par un Happy End. Vous espérez peut-être des retombées pour la collectivité québécoise ? Elle l’aurait mérité, elle qui a soutenu notre héros par l’intermédiaire de la Caisse de dépôt, des « subventions déguisées » des RÉA, sans parler des nombreuses subventions de différentes sociétés d’État. Vous espérez des retombées, ne serait-ce que par le biais d’impôts versés au gouvernement.

Hélas, chez public, vous allez être déçu ! Depuis 1983, sur des bénéfices avant impôts de 194 millions $, Vidéotron n’a pas payé un sou en impôts sur le revenu !!! Revenus d’impôts exonérés, amortissements accélérés, frais de financement déductibles, pertes extraordinaires, etc., tous les canaux de l’évasion fiscale ont été explorés.

Mais, réjouissez-vous, il y a quand même un Happy End à ce feuilleton. En 1991, André Chagnon a remporté le Mercure de l’entreprise de l’année dans le cadre des Mercuriades organisées par la Chambre de commerce du Québec pour l’excellence générale de sa performance et son succès exceptionnellement méritoire !