Élections 2022 : du surplace pour Québec solidaire, mais pourquoi donc ?

2022/10/14 | Par Pierre Mouterde

L’auteur est sociologue et essayiste

Cet article est d’abord paru sur le site de Presse-toi à gauche
 

Désormais Québec solidaire disposera de 11 députés ; en somme un de plus qu’en 2018, tout en ayant perdu « une député de choc » en Abitibi Témiscamingue, Émilise Lessard Therrien, et gagné deux dans Maurice Richard et Verdun : Haroun Bouazzi et Alejandra Zaga Mendez. C’est donc presque du surplace ! Et si, comme le disait Gabriel Nadeau Dubois, « QS a été le seul parti d’opposition a vraiment résisté à la vague caquiste", il reste qu’il n’a pas pu réaliser l’objectif qui était le sien tout au long de cette campagne, celui de devenir la première opposition à la CAQ. Plus encore il a récolté moins de voix qu’en 2018 —et cela même si on ne tient pas compte de la si malheureuse démission de Marie Eve Rancourt dans Camille Laurin.

Pourtant, la campagne que QS avait été parfaitement organisée et planifiée, avec une kyrielle de professionnels de la communication dévoués, et le porte-parole de QS a bien « performé » pendant les deux débats télévisés. Il n’a pas manqué non plus de bénévoles ou de militants qui ont fait un travail impressionnant dans maintes circonscriptions, comme j’ai pu en être témoin dans Taschereau. Alors comment expliquer ce qu’on doit bien appeler « le surplace de QS » ? Difficile d’y parvenir à moins de revenir sur quelques-unes de ses orientations de fond.
 

L’indépendance mise à la marge

Lorsqu’on analyse d’un peu plus près les résultats, la première chose qui saute aux yeux, c’est la fragmentation du vote : 41, 2% pour la CAQ (avec 90 députés), 14, 4% pour le parti libéral (avec 23 députés), 15, 0%, pour QS (avec 11 députés), 14,6% pour le PQ (avec 3 députés) et 13% pour le PCQ (avec 0 député). Au-delà bien sûr des formidables distorsions dues à un scrutin fondamentalement non proportionnel, la force de la CAQ —et les piètres performances de Francois Legault lors des débats télévisés en sont la preuve a contrario— réside d’abord dans le morcellement des oppositions qui se retrouvent toutes dans un mouchoir de poche, avec des pourcentages relativement proches les uns des autres. Or, si l’on veut contrecarrer cette tendance — propre d’ailleurs à bien des partis oppositionnels dans les dites démocraties libérales occidentales, — on ne pourra le faire au Québec, qu’en embrassant sans ambiguïté aucune la question nationale du Québec et ses aspirations historiques à l’indépendance. Pourtant c’est ce que QS, malgré l’arrivée de Catherine Dorion et de Sol Zanetti d’Option nationale, n’est pas arrivé à faire, reléguant —ainsi que le disait Michel David dans Le Devoir— la question nationale québécoise à "une note en bas de page". Car même si l’indépendance est dans son programme avec l’élection d’une constituante à la clef, c’est tout comme si elle n’apparaissait pas comme quelque chose de central, de stratégiquement décisif, n’était pas véritablement au centre du discours de QS.

Résultats : QS a été porté depuis 2017-2018 à s’adresser en priorité au seul segment jeune de ses potentiels partisans (les 18-35 ans) ainsi qu’à donner priorité aux défis environnementaux qui leur tenaient particulièrement à coeur. Mais si QS y a trouvé un regain de vitalité et de dynamisme, ce le fut au détriment de pouvoir rejoindre des secteurs plus diversifiés de la population québécoise, notamment en termes générationnels. Car au Québec, la question nationale —et on le voit bien avec Legault, même s’il l’aborde d’un angle purement nationaliste et identitaire— c’est toujours en la prenant résolument en compte que l’on est susceptible de réunir et rassembler de larges majorités.

D’ailleurs, soit dit en passant, cela aurait permis de couper l’herbe sous le pied —non pas à ceux et celles qui croyaient à l’indépendance du Québec- mais à la façon dont le PQ a mis de l’avant la souveraineté ces dernières années, l’ayant notamment sous Jean-François Lisée, renvoyée au calendes grecques et ramenée à une approche essentiellement identitaire et mâtinée de néolibéralisme. On aurait ainsi pu attirer et accueillir à bras ouverts, entre 2018 et 2022 bien des déçus du PQ, et ne pas offrir à ce dernier comme on l’a fait —à travers l’élection inespérée de Paul Saint Pierre Plamondon dans Camille Laurin— une possible deuxième vie.
 

L’action électorale survalorisée

Je me souviens avoir entendu Françoise David dire —au moment de la naissance de Québec solidaire (en 2006) — que désormais à QS on allait prendre au sérieux les élections, et par conséquent tout faire pour les gagner. Mais dire cela, et joindre avec succès le geste à la parole, ne devrait pas pour autant faire oublier que les changements de fond (économiques, écologiques, sociaux, politiques, féministes, etc.) que QS se propose de faire, ne pourront se réaliser que si en même temps la société québécoise se remet en mouvement, devient capable de se mobiliser massivement pour de grands projets collectifs, comme ce fut le cas lors de la Révolution tranquille ! Il reste que cela ne s’improvise pas et nécessite que QS travaille aussi et en même temps aux côtés des organisations et mouvements sociaux de la société civile (syndicats, organisations communautaires, féministes, écologistes, etc.) pour en favoriser et renforcer les luttes et les aspirations au changement. De manière à rester —comme on le voulait à son origine— un parti « autant des urnes que de la rue ».

Or la plateforme électorale de QS l’atteste sans risque de se tromper : pour les élections de 2022, QS a très clairement recentré son discours, prenant ainsi un cours beaucoup plus électoraliste, faisant par exemple que l’on a ôté dans la plateforme électorale toute formule ou revendication qui risquerait de faire peur (par exemple des cibles apparemment trop élevées en matière de réduction de gaz à effets de serre, ou même le mot nationalisation, etc.). On a aussi voulu renforcer la figure médiatique (et oh combien traditionnelle !) de « Chef » de Gabriel Nadeau Dubois (au détriment de l’image symboliquement si forte de deux 2 porte-parole), le présentant non seulement comme un "père, voire un conjoint exemplaire" mais aussi comme un éventuel futur premier ministre. Et c’est cet électoralisme qui explique sans doute que l’on ait voulu —lors du geste malheureux posé par Marie-Ève Rancourt et capté par caméra— « laver plus blanc que blanc » et ainsi faire preuve d’apparente fermeté et de pureté morale vis-à-vis d’un geste somme toute mineur, en la forçant à démissionner. Comme si l’on imaginait ainsi qu’on pourrait séduire des clientèles électorales rétives et accélérer le pas vers le pouvoir gouvernemental, mais sans que tout le reste suive. Car il ne faut pas l’oublier, à cause même des aspirations à la justice sociale et climatique que QS incarne si clairement, les ennemis que ce dernier a en face de lui sont particulièrement puissants et redoutables —Emilise en a fait la cuisante expérience— et ne pourront être tenus en lisière que si l’on est capable de leur opposer le front large, mobilisé, décidé et informé de larges secteurs de la population, mais qui en ces temps d’inquiétude et de montée de la droite, sont loin encore d’être gagnés à la cause de QS.
 

Manque d’espaces démocratiques adéquats

Il reste donc tout un travail en profondeur à effectuer, certes au sein de la société québécoise toute entière, mais aussi au sein de QS lui-même. Là aussi, les dernières années —la COVID aidant— ont trop souvent laissé penser qu’à QS, on n’arrivait pas à mener des débats en profondeur et qu’il manquait souvent d’espaces démocratiques adéquats pour valider ou au contraire infirmer les grandes orientations qu’après le départ de Francoise David et Amir Khadir, la nouvelle direction de QS a commencé à partir de 2018 à prendre sous la houlette de Gabriel Nadeau Dubois. Les difficultés que QS a connues pendant la campagne électorale, quant à son programme de taxation des plus riches en sont quelque part un des symptômes. Même si on peut aller en chercher l’origine du côté des thèses du prestigieux économiste Thomas Piketty, il n’en demeure pas moins qu’elles n’ont pas été débattues au sein de QS, ni non plus explicitées et analysées dans le parti comme elles auraient dû l’être. Laissant ainsi voir qu’il reste tout un travail de formation, de politisation à mener à l’intérieur même de QS pour que les décisions prises, le soient démocratiquement et après d’amples et fructueuses délibérations.

On le voit, ce surplace de 2022 pourrait bien avoir quelque chose de bénéfique pour QS s’il le stimulait à se questionner sur ses propres orientations de fond. Ou tout au moins s’il aidait à ce que puisse se former en son sein une opposition plus consistante, susceptible de se faire entendre haut et fort auprès de la direction actuelle pour qu’elle ose se questionner et changer de cap : avec en prime plus d’indépendance, moins d’électoralisme, et surtout des pratiques de démocratie interne partout renforcées !

C’est, après ces élections quelque peu décevantes, ce que l’on ne peut que souhaiter de tout coeur à QS !