Le Québec est mort, vive le Québec!

2022/10/19 | Par Sébastien Ricard

L’auteur est comédien et musicien.
 

Celle ou celui qui, comme moi, écoute et lit ce qui se dit et s’écrit dans les médias québécois peut tout naturellement comprendre que le Québec est fini. Son achèvement ne fait plus de doute en effet, cette société, bien qu’imparfaite, certes — et quelle société ne le serait pas — fonctionne et fait, au quotidien, la preuve d’une cohérence politique manifeste.

Les mille problèmes, défis, épreuves, obstacles auxquels cette société fait face, sont, comme ailleurs — cet ailleurs qui nous sert de référent, qui s’incarne dans ces sociétés qui partagent avec nous des normes culturelles, sociales et politiques — explicités, mis à l’examen, discutés dans l’espace public, et, en dernière analyse, plus ou moins réglés, relevés, surmontés. Nous faisons, tant bien que mal, oeuvre démocratique — oeuvre utile —, l’Assemblée nationale, à Québec, abrite une vie parlementaire intense, à laquelle se consacrent des gens, souvent femmes et hommes du commun, qui exercent la fonction essentielle, quoique trop peu considérée, de députés.

Tout se tient, l’idée de notre achèvement exsude des murs de nos institutions, des pores de nos journaux, des surfaces innombrables de nos écrans. Nous sommes finis. Ce pourrait être notre devise, tiens, aussi brève et mystérieuse que l’autre, inscrite au fronton du parlement, comme un rappel à l’ordre aux personnes de bonne volonté. Une devise comme une maxime, mystérieuse et riche à cause de cela même — je pense à celle de Beckett (No matter. Try again. Fail again. Fail better.), ou à celle de Bukowski, inscrite sur sa pierre tombale, son simpliste et subtil Don’t try. Dans les deux cas, ces écrivains rappellent (pour eux, d’abord et avant tout) ce que furent leurs vies, ce que signifie s’engager dans la création : n’essaie pas, fais ; et échoue, de mieux en mieux.

Notre devise serait donc « Nous sommes finis » — sous-entendu, dès que nous nous croyons finis.
 

Un nombrilisme tyrannique

Force est d’admettre qu’un nombre impressionnant de gens, au Québec, donnent à tout le moins l’impression de s’en tenir à la version la plus pauvre de cette maxime. Leur monde, qui est le mien, qui est le nôtre, est une fin en soi. Cette conception appauvrie de notre achèvement collectif dénote un nombrilisme tyrannique qui fait penser à celui des enfants.

La figure de l’enfant me vient tout naturellement en pensant à Michel C. Auger, en relisant son « biais » (sic) dans La Presse du 13 octobre dernier. Ce texte, « God save the Paul », est moins le témoignage d’une mauvaise foi consommée, qu’un aveu d’immaturité inquiétante pour un homme de son âge et, surtout, bénéficiant d’une telle tribune.

Pour ce journaliste (il n’est pas le seul, mais c’est celui qui vagit le plus fort), les jeux sont faits, le Québec est aussi immuable que l’autorité souveraine de Charles III, roi déclaré du Canada et du Québec. Qu’un député, qui plus est chef d’une formation politique, bénéficiant d’une légitimité incontestable, ose s’en tenir à l’engagement pris pendant la campagne électorale de ne pas jurer allégeance au roi, comme l’exige le règlement de l’Assemblée nationale, et demande expressément à son secrétaire, autorité intérimaire entre deux législatures, de pouvoir néanmoins siéger en bonne et due forme et s’acquitter de la haute responsabilité qui lui incombe, celle de représenter celles et ceux qui l’ont élu, voilà ce qui, pour Michel C. Auger, est de l’enfantillage. Le monde à l’envers.

Ça ronfle, ça ronronne, ça roucoule et ça prétend nous dicter la marche à suivre, c’est-à-dire dans les sentiers battus et rebattus de l’achèvement comme principe et comme fin. Ces gens-là, en définitive, vivent en vase clos, pensent à l’avenant et voudraient nous garder tous sous leur magistère, une autorité sans autre fondement que celui de défendre l’immuabilité de leur monde qui, encore une fois, est aussi le nôtre. Ces gens-là sont finis.
 

Humilité et générosité

Dans les jours importants qui viennent, ils seront donc trois députés, quatorze si les élus solidaires les appuient, à refuser de prêter allégeance à la Couronne, à plus forte raison parce que ce serment est écrit dans un français que Miron appelait le « traduidu », incorrect dans sa formulation calquée sur la matrice anglaise.

Quatorze et combien d’autres peut-être, qui, dans le secret de leur âme, nient, en vérité, quelque allégeance que ce soit au roi anglais, père de l’Église anglicane qui tient son autorité de Dieu ?

Parmi nos élus, enfin, combien auront le courage de clarifier les choses une fois pour toutes en abjurant le roi pour prêter ensuite une vraie allégeance au peuple du Québec ? Combien oseront déclarer, en leur nom, que notre finitude ne nous autorise pas à considérer notre monde, notre société, comme une fin en soi ? Combien à faire preuve d’humilité et de générosité, soeurs de la démocratie ?

C’est, pour conclure, ce qui me frappe le plus dans cette élection inespérée de Paul St-Pierre Plamondon, comment sa tenue, rigoureusement démocratique, heurte le sens commun de ceux qui ont pris l’habitude de faire bon ménage avec son bafouement. En ce centenaire de la naissance de René Lévesque, père du Parti québécois, voici qu’un de ses enfants ose lever la main sur son héritage, qui n’est pas aussi reluisant qu’on veut croire. Vraiment, le témoin indépendantiste, qui est au fin fond la raison d’être démocratique de tout un peuple, vient de passer de main pour de bon.

Le Québec est mort, vive le Québec !