Les auteurs sont respectivement : avocat et ancien secrétaire général du Conseil exécutif ; professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université Laval ; juriste et ancienne présidente de l’Assemblée nationale ; et professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Ils cosignent ce texte avec les avocats et constitutionnalistes Luc Alarie, André Binette, François Côté et Maxime Laporte.
Au nom du gouvernement du Québec, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déclaré, mardi, qu’une motion de l’Assemblée nationale ne suffirait pas à permettre aux députés qui refusent de souscrire et prêter un serment d’allégeance au roi Charles III de siéger à l’Assemblée nationale. Nous sommes d’avis que cette position est erronée sur le plan juridique.
Le ministre de la Justice affirme qu’une motion ne peut pas modifier la Constitution du Canada. C’est une erreur de perspective. Si l’objectif, comme tel devrait être le cas, est de permettre aux députés et députées qui ne feront pas de serment d’allégeance au roi Charles III d’occuper leur siège à l’Assemblée nationale, il ne s’agit nullement dans ce cas de modifier l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 ni de suspendre son application. Il s’agit plutôt de préciser que l’omission de prêter le serment d’allégeance prévu à cet article n’empêche pas de siéger à l’Assemblée nationale.
La Loi constitutionnelle de 1867 ne précise pas les conséquences du refus de prêter serment. Quelles que soient ces conséquences, le principe démocratique, qui est un principe structurel de la Constitution selon la Cour suprême du Canada, doit nettement l’emporter.
Il s’agit clairement d’une matière de régie interne de l’Assemblée nationale et d’une question relevant de l’institution dite du privilège parlementaire qui reconnaît le principe de la pleine autonomie d’une assemblée législative sur sa régie interne, comme en a statué la Cour suprême du Canada en 1993 dans l’affaire New Brunswick Broadcasting v. Nouvelle-Écosse. La motion qui serait adoptée ne serait donc pas susceptible d’un contrôle de constitutionnalité. S’appuyant sur le jugement rendu en 2011 par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), l’Assemblée nationale a elle-même énoncé dans la quatrième édition de son ouvrage sur La procédure parlementaire au Québec qu’«[e]n raison du privilège de régir leurs affaires internes sans ingérence extérieure, les tribunaux ne peuvent intervenir dans les délibérations d’une assemblée législative, puisque celle-ci exerce le contrôle exclusif sur sa procédure interne ».
Une loi, au contraire, serait soumise au contrôle judiciaire. Le gouvernement risque de s’enliser dans un débat judiciaire stérile, notamment sur la modification que l’on voudrait apporter à l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ou l’ajout qu’on voudrait y insérer) et la procédure de modification qui lui serait applicable. Inutile de dire que les débats sur l’adoption d’une loi et sa contestation juridique pourraient durer pendant plusieurs années et priver les députés et députées dont l’élection a été confirmée de prendre leur siège à l’Assemblée nationale.
Le gouvernement a aussi rappelé qu’il a déjà réussi à modifier la Constitution du Canada unilatéralement par la loi 96. Rien n’est moins sûr. Cette loi fait actuellement l’objet de nombreuses contestations devant les tribunaux. Le gouvernement du Québec fait circuler une version de la Constitution canadienne qui est différente de celle qui a cours dans le reste du Canada. Le risque d’une nouvelle contestation constitutionnelle d’une autre loi adoptée par l’Assemblée nationale du Québec est réel.
Le ministre de la Justice affirme également que les lois du Québec seront à risque si une motion est adoptée plutôt qu’une loi. C’est exactement le contraire qui risque de se produire. Adopter une loi probablement inconstitutionnelle ne résoudra rien. Une motion rappellera que l’Assemblée nationale est une instance politique et non judiciaire qui n’est pas liée par des précédents étrangers.
L’Assemblée nationale n’a qu’à tenir compte du fait que l’article 128 est antidémocratique, obsolète et inapplicable dans le Québec d’aujourd’hui. Il en serait de même d’une éventuelle intervention du lieutenant-gouverneur dans cette affaire.
Le gouvernement du Québec doit par conséquent réviser sa position et envisager de déposer, lors des débuts des travaux de la 43e législature et dès la première période des affaires courantes, une motion permettant aux députés du Parti québécois et de Québec solidaire de prendre leur siège à l’Assemblée.
Agir ainsi conférera primauté au principe démocratique, et serait en outre respectueux d’une volonté des Québécois et Québécoises qui, selon un récent sondage de la firme Léger, sont d’avis, dans une proportion de 65 %, que les personnes qui refuseraient de prononcer le serment d’allégeance au roi au moment de leur entrée en fonction devraient être autorisées à siéger.
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