Quand Black Lives Matter sème la panique au sein de la classe dirigeante

2022/11/16 | Par Pierre Dubuc

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Le meurtre de George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis, a donné lieu à un mouvement de protestation considérable. Aux États-Unis, des manifestations ont eu lieu dans plus de 2 000 villes. Elles se sont transformées en émeutes dans plusieurs villes, au point où les autorités de plus de 200 d’entre elles ont imposé un couvre-feu. Trente États ont mis en état d’alerte la Garde nationale. Le mouvement s’est propagé à l’échelle de la planète. Dans au moins 60 pays se sont tenues des manifestations appuyant le mouvement Black Lives Matter.

Les reportages télévisés montrant des commerces incendiés – plus de 1 500 dans la seule région de Minneapolis–Saint-Paul – ont jeté la panique dans les rangs de la classe dirigeante. Le Canada n’a pas fait exception. Contrairement aux années 1960, la population noire représente aujourd’hui une part significative de la population canadienne (3,5 %) avec des concentrations importantes dans les grandes villes (7 % à Toronto).
 

Changement de conversation

Mme Kike Ojo-Thompson, une femme qui détient des postes importants dans des organisations gouvernementales et du secteur privé au Canada et aux États-Unis, a bien résumé cet état de panique. Après la mort de George Floyd et l’irruption du mouvement BLM, elle a été inondée d’appels de chefs d’entreprises lui demandant comment ils devraient aborder « le changement de conversation » à l’égard du racisme anti-Noir. Quel problème essayez-vous de résoudre ?, leur a-t-elle demandé. Leur réponse a été : « Bien… George Floyd a été assassiné. » (Globe and Mail, 30 juillet 2022)

La réponse des milieux d’affaires et du gouvernement canadien a été calquée sur celle, historiquement mise en place aux États-Unis : susciter l’émergence d’une élite noire intégrée aux milieux d’affaires, médiatique et politique. En fait, le Canada pouvait se référer à sa propre expérience en la matière avec l’intégration à partir des années 1960 des Canadiens français au sein de la classe dirigeante canadienne (le fameux French Power).

Les principales corporations se sont empressées de s’engager à embaucher plus de Noirs et à faciliter leur accession à des postes de direction. Les cinq grandes banques, Rogers, des multinationales comme Coca-Cola et plusieurs autres entreprises ont promis de faire leur part « pour la diversité et lutter contre le racisme systémique dans leurs organisations ».

Le gouvernement fédéral a créé trois programmes pour aider à la croissance d’entreprises détenues par des Noirs : le Black Entrepreneurship Knowledge Hub, la Dream Legacy Foundation et le Black Entrepreneurship Program.

Au cours de l’été 2022, le Globe and Mail a enquêté sur les résultats de ces initiatives. Seulement 10 % des 481 entreprises qui s’étaient engagées par écrit à promouvoir en leur sein la place des Noirs ont répondu au questionnaire. Enbridge, Molson Coors, Air Canada n’ont pas daigné répondre. Parmi celles qui ont répondu, les résultats sont timorés. Le nombre de Noirs en leur sein est passé de 3,7 % à 4,8 %. Seulement 34 % des entreprises ayant plus de 500 employés ont atteint leur objectif de 5 % d’embauche d’étudiants noirs.

Quant au Black Entrepreneurship Loan Fund, ses administrateurs ont rejeté 85% des 16 000 demandes et n’ont pas mis en place un processus d’appel de leur décision, comme cela était prévu.
 

Michaëlle Jean a tracé la voie

Dans les domaines médiatique et politique, les portes se sont aussi entrouvertes, mais les aspirants à se joindre à l’élite canadienne doivent prouver leur adhésion aux valeurs canadiennes. Une façon de le faire est de condamner l’œuvre de Pierre Vallières. Une telle condamnation est la preuve éclatante de leur rejet de l’alliance des Noirs avec le mouvement indépendantiste québécois.

La nomination de Michaëlle Jean au poste de gouverneure générale en 2005 a tracé la voie à suivre. Nommée pour faire oublier à la communauté haïtienne l’implication du Canada dans le coup d’État qui a chassé le président Aristide du pouvoir en 2004, elle et son conjoint Jean-Daniel Lafond avaient dû renier publiquement leurs affinités souverainistes passées.

Lafond avait produit un film, La Liberté en colère, qui mettait en scène Pierre Vallières, Charles Gagnon, Francis Simard, Michel Chartrand, Plume Latraverse et Robert Comeau. Le felquiste Jacques Rose lui avait même fabriqué une bibliothèque avec un double fond pouvant servir de cachette, ce qui lui a valu d’être renommé par les indépendantistes québécois Jean-Daniel Double-fond.
 

Les alliances passées

Les propositions d’alliances par la classe dirigeante canadienne-anglaise aux Noirs ne sont pas nouvelles. Dans son livre NoirEs sous surveillance. Esclavage, répression, violence d’État au Canada, (Traduction de Catherine Ego. Mémoire d’encrier, 2018) Robyn Maynard rappelle l’histoire des Loyalistes Noirs auxquels la Grande-Bretagne avait promis d’octroyer des terres ainsi qu’une égalité pleine et entière à quiconque prêterait allégeance au roi et se battrait dans les rangs britanniques pendant la guerre d’indépendance américaine.

Maynard reconnait que ces Loyalistes Noirs ont été trompés. Plus de 1 200 d’entre eux « ont été si déçus de l’inégalité raciale régnant dans leur pays d’accueil qu’ils décidèrent en 1792 d’entreprendre une autre migration, un éreintant périple maritime à destination de la Sierra Leone dans l’espoir d’y trouver une vraie liberté ».

Lors de la guerre de 1812 entre le Canada et les États-Unis, des esclaves noirs qui avaient réussi à échapper à leurs maîtres s’étaient aussi fait promettre des terres au Canada en échange d’un engagement militaire sous la bannière britannique. Maynard constate que « certains réfugiés noirs n’obtiendront pas un centimètre carré des terres qui leur ont été promises. Les autres reçoivent des terrains trop exigus pour qu’ils puissent en vivre. »

Dans son livre fort bien documenté sur le racisme systémique dont sont victimes les Noirs au Canada, Maynard évite cependant soigneusement de lier la lutte des Noirs pour leur émancipation à celle des Canadiens français. Dans un passage consacré à l’implantation du Ku Klux Klan dans l’Ouest canadien dans les années 1920, l’autrice mentionne leur slogan « Un seul drapeau, une seule langue, une seule race, une seule religion, la pureté de la race et la rectitude morale », mais elle ne fait aucune référence aux Canadiens français ! À qui se référaient alors les mots « une seule langue, une seule religion » ? Le principal cheval de bataille du KKK dans l’Ouest canadien était pourtant la suppression des écoles françaises, sous la bannière « Une seule nation, un seul drapeau, une seule langue, une seule école ».

Aujourd’hui, Maynard affirme ne pas se laisser duper par la politique du multiculturalisme qui, précise-t-elle joue « un rôle similaire à celui du Chemin de fin clandestin. Il a en effet permis aux autorités canadiennes et à l’opinion publique de se féliciter de la bienveillance du Canada, surtout comparativement à d’autres pays, tout en masquant très efficacement l’extraordinaire dénuement économique et matériel de nombreuses communautés noires. » Bien dit !

Mais Maynard refuse de voir que le multiculturalisme a été promulgué pour reléguer la nation québécoise au rang de minorité culturelle et qu’il va de pair avec la promotion de représentants des autres communautés culturelles et de leur intégration à l’élite canadienne.