L’annulation du Gala Québec Cinéma

2022/12/09 | Par Orian Dorais

Le 24 octobre 2022, nous apprenions que Radio Canada avait l'intention de cesser la diffusion du Gala Québec cinéma, l'équivalent québécois des Oscars américains ou des Césars français. Cette mauvaise nouvelle s'ajoute à celle de l'annulation du Gala Artis en juin dernier. La décision de la société d'État a suscité moult réactions négatives dans le monde culturel. Le chanteur Pierre Lapointe, les légendaires producteurs Pierre Even et Nicole Robert, les acteurs Émile Proulx-Cloutier et Éric Bruneau, ainsi que la direction de K-Films Amérique ont tour à tour pris la parole pour dénoncer cette fâcheuse situation.

Plusieurs associations professionnelles de l'industrie cinématographique ont également exprimé leur déception. J'ai voulu donner la parole à l'une d'entre elles, je me suis donc entretenu avec Gabriel Pelletier, cinéaste et président de l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec (ARRQ), ainsi qu'avec Mylène Cyr, directrice générale de l'ARRQ et membre du conseil d'administration de Québec cinéma.

Orian : Quelle est la position de l'Association sur l'annulation de la cérémonie ?

Mylène Cyr : On trouve que c'est extrêmement malheureux, d'autant plus qu'en 2023 ç'allait être la vingt-cinquième édition du Gala. On comptait en faire un évènement spécial pour célébrer cet anniversaire, donc la décision de Radio-Canada survient à un mauvais moment. Pire encore, après la pandémie qui a causé presque deux ans de fermeture des salles, le cinéma – et encore plus le cinéma québécois – peine à retrouver son public. C'est d'autant moins stratégique de retirer de la visibilité à nos films dans un contexte comme celui-là. L'ARRQ trouve que ça va à l'encontre du mandat du diffuseur public, qui est censé aider à promouvoir la culture québécoise et canadienne.

Gabriel Pelletier : C'est que, pour nous, le Gala a deux buts. D'abord, célébrer les artisans du cinéma, dans le cadre d'une émission qui les fait connaitre du public. Souvent, il y a des carrières d'interprètes ou de cinéastes qui sont beaucoup aidées par le Gala. On pense à Philippe Falardeau, à Xavier Dolan ou à Ricardo Trogi, qui avait gagné plusieurs prix pour son Québec-Montréal (2002). Ça l'avait vraiment mis sur la carte.

Donc, le Gala fait la promotion des talents... et des films ! Parce que l'autre principal objectif de cette soirée-là, c'est quand même d'encourager les gens à voir les oeuvres primées. Radio-Canada a prétexté que les films ne sont plus en salles lors de la diffusion du Gala, mais il existe des plateformes numériques ! Québec cinéma a un outil qui permet de trouver les films nominés en ligne. Déjà qu'il y a peu de créneaux où montrer des long-métrages québécois, déjà que Radio-Canada n'en passe plus beaucoup, est-ce que c'était vraiment nécessaire de retirer une occasion de mettre en avant notre cinéma ?

 

Les cotes d’écoute

O. : Je souligne que CBC présente toujours les « Canadian Screen Awards », une cérémonie anglophone qui récompense les films et les séries canadiennes. Mais plus de cérémonie en français pour les films... Est-ce que la SRC a prétexté que le Gala n'avait pas assez de cotes d'écoute ?

G. P. : Oui. Ça faisait un bout de temps que Radio Canada se plaignait que le Gala n'intéressait pas assez les téléspectateurs. Sauf qu'attirer le monde, ça coûte cher; il faut engager des musiciens ou des humoristes de premier plan, présenter des performances entre les remises de prix. Si on veut que les gens soient au rendez-vous, il faut d'abord investir pour s'assurer d'avoir un bon « show ». Comme les Gémeaux ou les prix de l'ADISQ, qui ont d'excellentes cotes d'écoute grâce aux numéros des invités.

Le Gala Québec cinéma pourrait avoir le même succès... mais il faut un financement approprié pour faire en sorte que le public soit intéressé, pas attendre que le public soit intéressé avant de donner un financement approprié ! Ce n'est pas dans ce sens-là que ça marche. Et, même avec des fonds suffisants, ça ne garantit pas qu'il va y avoir le retour voulu. Mais n'oublions pas la mission de diffusion culturelle de la SRC ! Le Gala est un programme d'intérêt national, en ce sens qu'il fait découvrir notre culture.

O. : Est-ce que vous avez espoir que la SRC revienne sur sa décision ? Sinon, avez-vous un autre diffuseur en tête pour la prochaine cérémonie ?

M. C. : On étudie les deux perspectives en parallèle. On espère que Radio-Canada va changer d'idée, notamment grâce à l'insistance du milieu cinématographique. Par exemple, Rémy Girard a fait une belle sortie à ce sujet-là. Mais Québec cinéma regarde aussi s'il y a de l'intérêt ailleurs, parce que le Gala c'est quand même une émission qui, dans ses bonnes années, est visionnée par 600 000 à 700 000 spectateurs.

Dans les dernières années, la cérémonie, qui était d'habitude en mars, a été déplacée en juin. Ce n’était pas idéal, considérant que les gens ont tendance à être à l'extérieur pendant les soirées de printemps. Mais, même là, la remise de prix était suivie en moyenne par un demi-million de personnes !

G. P. : Ça c'est un autre exemple d'incohérence du diffuseur, qui était insatisfait des cotes d'écoute, mais qui a décidé de déplacer le Gala dans une case horaire moins avantageuse. J'ajoute aussi que certains chroniqueurs ont critiqué la qualité du Gala ces dernières années, mais c'est Radio-Canada qui avait le gros bout du bâton à ce moment-là. Québec cinéma ne prenait pas la majorité des décisions sur le déroulement de la soirée. Vraiment, on a l'impression que Radio-Canada ne croyait plus au Gala depuis des années.

 

Les droits d’auteur

O. : En terminant, je vous amène sur un terrain légèrement différent. Cet été, on a appris que le distributeur Films Séville fermait boutique. Depuis, le patron de Séville, M. Patrick Roy, a créé une nouvelle société de distribution – Immina Films – qui a un permis de « sous-distribution » de l'immense catalogue des Films Séville. On est content que M. Roy ait pu récupérer l'accès aux nombreux films québécois qui appartenaient à Séville... mais il n'en assure que la sous-distribution, il n'a pas l'entièreté des droits.

G. P. : Bien, c'est un problème connexe avec celui qu'on vient d'aborder, parce qu'il est encore question de la diffusion et de la découvrabilité du cinéma québécois. Quand un film est fait, on est d'avis que les réalisateurs et les producteurs doivent être les premiers détenteurs des droits d'auteur. Sauf que, parfois, ces droits-là sont cédés à des boites de distribution. Et si ces entreprises-là sont rachetées par des investisseurs internationaux, comme ç'a été le cas pour Séville, qui a été acheté par Entertainment One, les droits sont cédés à des intérêts étrangers. Donc, une partie de notre patrimoine cinématographique est détenue à l'étranger.

Moi-même, j'avais un long-métrage La vie après l'amour distribué par Séville. Ce film-là a été premier au box-office quand il est sorti en 2000. Aujourd'hui, impossible de le trouver nulle part. L'organisme Éléphant, qui assure la restauration et la diffusion de classiques québécois, n'a jamais pu mettre la main sur un seul film appartenant à Séville. Le fait que les droits soient détenus hors Québec n'a pas aidé.

M. C. : La loi C-11, qu'on espère voir passer au fédéral, devrait aider à protéger la propriété intellectuelle des cinéastes et encourager les géants du Web à diffuser des films québécois ou canadiens. Autant des classiques que des nouveautés ! Il faut que les gens se rappellent que la vie d'un film ne se termine pas après le passage en salles. C'est pourquoi le Gala est important et c'est pourquoi c'est important de garder les droits ici.