Pivot Indo-Pacifique : Après la Chine, l’Inde, un autre pays « perturbateur »

2022/12/09 | Par Pierre Dubuc

Dans son nouvel énoncé de politique étrangère, la ministre Mélanie Joly a qualifié la Chine de « perturbatrice » de l’ordre mondial pour justifier le « pivot » Indo-Pacifique du Canada. Mais l’Inde, le nouveau partenaire privilégié du Canada dans le cadre de cette politique, risque de « perturber » l’« harmonie » des relations multiethnique du Canada postnational.

Le Khalistan

Le gouvernement indien accuse certains segments de la communauté sikhe du Canada de soutenir et financer un mouvement sécessionniste qui milite pour la sécession du Punjab de l’Inde pour créer le Khalistan.

Des sikhs de la diaspora canadienne ont tenu récemment un référendum en faveur du Khalistan. Le chef du NPD Jagmeet Singh, un sikh, a participé à différentes assemblées du mouvement en faveur du Khalistan avant de devenir chef du NPD et a refusé de se prononcer clairement sur ce référendum.

Le gouvernement Trudeau, tout en se prononçant pour l’intégrité du territoire indien, n’a pas condamné le référendum. Ce qui a déplu au gouvernement indien. Il faut dire qu’il n’est pas non plus en « odeur de sainteté » auprès de New Delhi depuis son célèbre voyage en Inde en 2018. Il avait alors été la risée internationale en s’accoutrant de costumes folkloriques de différentes nationalités de l’Inde.

Mais ce qui avait surtout provoqué l’ire de l’Inde avait été l’invitation à un dîner officiel de Justin Trudeau de Jaspal Atwal, un sikh partisan du Khalistan, condamné pour avoir tenté d’assassiner un ministre du cabinet indien en 1986. Auparavant, Jaspal Atwal avait été photographié à Mumbai avec Sophie Grégoire, la conjointe du premier ministre, et le ministre canadien des Infrastructures Amarjeet Sohi.

La riposte du NPD et de groupes associés

Le NPD, par l’entremise de sa critique de la politique étrangère, Heather McPherson, a riposté en accusant l’Inde d’abus au chapitre des droits humains. Elle a demandé au gouvernement Trudeau d’interdire l’entrée au pays de 13 responsables indiens, associés au parti dirigeant le pays, le parti Bharatiya Janata, qu’elle accuse de lancer des appels « à des gestes racistes et violents contre les musulmans et d’autres minorités en Inde ».

Jaspreet Kaur Bal, le vice-président ontarien de la World Sikh Organization, en a rajouté une couche en accusant l’Inde d’être un « État fasciste ».

Puis, le 28 novembre, seize groupes de la diaspora sud-asiatique et de la société civile canadienne ont protesté auprès du gouvernement Trudeau contre le fait qu’un symbole de haine ait été hissé sur la colline parlementaire à l’initiative du député libéral Chandra Arya dans le cadre du Mois du patrimoine hindou.

Selon l'un des signataires de cette lettre au premier ministre, le drapeau en question est celui d'un « groupe nationaliste hindou, le RSS, interdit trois fois dans l'Inde indépendante, notamment pour l'assassinat du Mahatma Gandhi par l'un de ses membres, Nathuram Godse. Le fondateur du groupe s'est inspiré de l'idéologie nazie pour maintenir la “pureté de la race”. Leur idéologie suprémaciste vise à faire de l'Inde un État pour une nation exclusivement hindoue ».

Soulignons que 468 670 personnes pratiquent le sikhisme au Canada et que près de 830 000 personnes ont déclaré une affiliation à la religion hindoue. On peut s’attendre à des lendemains « perturbateurs » si différents groupes de ces communautés transposent leurs conflits en sol canadien. Comment s’en étonner ? Des messages publicitaires diffusés pendant la Coupe du Monde invitent les différentes communautés à conserver avec fierté leurs caractéristiques ethniques d’origine, conformément à la politique du multiculturalisme canadien.

L’Indonésie et nos « valeurs »

Les ministres Joly et Freeland prônent que le Canada s’associe dorénavant à des pays partageant les mêmes « valeurs » que le Canada. Dans le cadre de la nouvelle politique Indo-Pacifique, l’Indonésie apparaît comme un pays dont le Canada doit maintenant se rapprocher.

Récemment, le Parlement indonésien a approuvé un texte criminalisant le sexe hors mariage et le concubinage, ce qui a été dénoncé comme un glissement vers le fondamentalisme dans le pays à majorité musulmane le plus peuplé du monde.

Le texte rend passibles d’un an de prison les personnes ayant des relations sexuelles hors mariage et de six mois de prison les couples non mariés qui habitent ensemble, selon un exemplaire de la loi consulté par l’Agence France-Presse.

Les premières versions du projet de loi prévoyaient de rendre l’homosexualité illégale, mais cette disposition a disparu du texte final. Mais la prohibition du sexe hors mariage et du concubinage pourrait cependant être utilisée pour « criminaliser » la communauté LGBTQ dans un pays qui n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe.

Le nouveau code contient plusieurs nouveaux articles sur le blasphème, déjà un crime en Indonésie, qui élargissent sa définition. Désormais, le fait d’encourager ou de forcer autrui à renoncer à sa religion, l’apostasie, est aussi un crime passible d’une peine de prison.

Des « valeurs » canadiennes, vraiment !? En fait, le Canada est prêt à s’acoquiner avec tous les pays, peu importe leurs valeurs, qui ne « perturbent » pas l’ordre mondial hérité de la Seconde Guerre mondiale et ne menacent pas l’hégémonie américaine.