La spirale infernale de l’industrie de l'aluminium

2023/01/06 | Par Germain Dallaire

Les 12 et 15 décembre dernier, Francis Vailles publiait dans La Presse+ deux textes percutants sur ce qu'il faut appeler les privilèges exorbitants de l'industrie de l'aluminium au Québec. On y apprenait, entre autres choses, que cette industrie n’avait pratiquement pas payé d'impôt au cours des quatre dernières années et qu’elle avait bénéficié, dans le cadre des contrats à partage de risques portant sur l'achat d'électricité, d'une subvention de 1,4 milliard $ au cours des huit dernières années. Cerise sur le sundae, l'industrie est dispensée de payer des droits ou des taxes sur la part de GES (7 %) qu'elle produit.

Dans le contexte actuel, Francis Vailles va jusqu'à qualifier d’absurde l'appui massif des gouvernements aux alumineries. Deux semaines plus tard, en écho à ses articles, l'ancien PDG de la Société générale de financement (SGF) Marc G. Fortier avance que, dans un contexte complètement différent de celui des années 80-90, « une évaluation rigoureuse et transparente est souhaitable ».

En fait, quand on analyse la dynamique de l'industrie de l'aluminium au cours des deux dernières décennies, c’est plutôt de spirale infernale dont il faudrait parler. Cette dynamique est dictée par Rio Tinto (RT), le numéro un de l'industrie au Québec avec 55 % de la production. Si nos gouvernements accordent autant de faveurs aux multinationales de l'aluminium, c'est tout simplement pour leur permettre de compétitionner un tant soit peu RT.
 

L’aluminium, de l’électricité en barre

La base de l'équation est simple. On évalue que le coût de l'électricité représente environ 30 % du coût de production de l'aluminium. L'aluminium, c'est un peu beaucoup de l'électricité en barre. Or, RT jouit du privilège de posséder ses propres barrages (6), qui ont, en plus, la qualité d'être amortis depuis longtemps. On ne saura jamais le coût de production d'un kilowatt/heure pour RT. C'est ce qu'on appelle pudiquement le secret commercial, mais qui n'est pas secret pour rien. Parlons, c’est l'hypothèse des syndicats, d’un sous le kilowatt/heure soit environ le quart du prix payé par les autres alumineries, un prix déjà déficitaire pour Hydro-Québec.

Ce privilège de RT remonte au commencement du siècle dernier et a été renouvelé au début des années 60 lorsque René Levesque avait soustrait l’Alcan de la nationalisation de l'électricité. À l’époque, il avait justifié cette exception par les nombreux emplois. Dans les années 60, Alcan employait plus de 12 000 personnes. Aujourd’hui, RT en emploie 3 500…

En 1984, le gouvernement signait avec l’Alcan le bail de Péribonka d'une durée de 25 ans. En contrepartie du privilège qui lui était consenti, Alcan s'engageait essentiellement à construire trois nouvelles alumineries, à défaut de quoi le gouvernement pouvait prendre possession des barrages. Aujourd'hui, près de 40 ans plus tard, deux usines ont été construites (à Laterrière et et Alma) mais on attend toujours la construction de celle d'Arvida. Dans son rapport annuel 2021, RT ne prévoit pas de construction d'ici 2030.

En 2006, le bail de Péribonka a fait l’objet d'une entente de continuité jusqu'en … 2058. En 2007, Alcan est passé dans l'escarcelle du géant minier Rio Tinto. La dynamique déjà négative avec l’Alcan s'est sérieusement détériorée. Rio Tinto n'a pas respecté ses engagements (maintien du siège social, recherche et développement, développement industriel régional).

Le marché de l'aluminium étant difficile (aujourd’hui c’est la Chine, il y a 25 ans, c'était la Russie qui inondait le marché d'aluminium à bas prix), Rio Tinto a rapidement compris que le joyau d'Alcan était ses barrages hydroélectriques.

Comble de bonheur, lorsque Rio Tinto a des surplus, Hydro-Québec est obligé de les acheter. En 2012, Rio Tinto a engrangé 148 millions $ en vente d'électricité, lors d'un lock-out de 6 mois dans son usine d'Alma. Les travailleurs voulaient freiner la sous-traitance dans l'usine. Il y a de ces effets pervers…

En 2018, ne reculant devant rien, Rio Tinto a renégocié à la baisse le prix de l'électricité acheté d'Hydro-Québec en fonction de ses besoins. On parle de 3 cents le kilowatt heure, ce qui est près de deux cents moins cher que ce que paie les autres alumineries dans le cadre de leurs contrats à partage de risque.
 

À mille lieux du pacte social des années 1960

Au printemps 2022, après bien d'autres, ce sont des cadres à la retraite de RT qui sonnaient l'alarme. Rio Tinto a déjà un surplus énergétique de 120 mégawatts. Avec la fermeture des vieilles cuves Soderberg à Arvida prévue en 2025, ce surplus augmenterait à plus de 400 mégawatts. Le regroupement d'anciens cadres craint que, par des échanges d’énergie avec Hydro-Québec, RT en profite pour alimenter son usine de Sorel-Tracy qui vient d'annoncer un important projet de décarbonation de 750 millions $ largement subventionné par les gouvernements. Avec l'usine de Sorel-Tracy, on n'est plus du tout dans l'aluminium.

Rio Tinto ne respecte pas ses engagements. Le bail de Péribonka est bafoué et sans cesse revu à la baisse. Entraînés dans une spirale infernale, nous sommes à mille lieux du pacte social qui avait soustrait l’Alcan de la nationalisation au début des années 60. Aujourd'hui, la terre brûle rendant incontournable une transition écologique qui fait de l’hydroélectricité un bien précieux s'il en est.

Alors même que le super ministre Fitzgibbon pointe un doigt accusateur sur les ménages québécois, 20 % de l'électricité produite au Québec alimente l'industrie de l'aluminium. De ce 20 %, moins de la moitié est vendu en bas du prix coûtant et le reste est donné pour une bouchée de pain à une multinationale multimilliardaire qui n'en fait qu'à sa tête et à qui les gouvernements répondent invariablement « oui, avec plaisir ! ». Une question s’impose: où se trouve le fond du baril ?