Neutralité religieuse : des positions irréconciliables

2023/01/20 | Par Marie-Claude Girard

L’autrice vient de publier La petite histoire de la Loi sur la laïcité de l’État et de sa contestation juridique aux Éditions du Renouveau québécois. Pour se procurer le livre, cliquez ici.
 

La mise en œuvre de la neutralité religieuse de l’État, tant par le Canada que par le Québec, semble avoir pris des directions diamétralement opposées depuis les années 1970. S’agit-il de positions irréconciliables ?

Voici, pour alimenter la réflexion, un bref rappel des mesures prises, au cours des ans, par Ottawa et par Québec au sujet des religions ainsi que les enjeux actuels. Cette réflexion est importante dans le contexte de la décision imminente de la Cour d’appel sur la validité de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21).
 

Les choix d’Ottawa

Lors du rapatriement de la Constitution, le gouvernement fédéral a choisi de débuter le libellé de la Loi constitutionnelle de 1982 par : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit … » et s’est assuré de protéger certains droits spécifiques aux écoles religieuses (art.29). Les écoles publiques des commissions scolaires catholiques de l’Ontario peuvent donc, par exemple, continuer à discriminer leurs enseignants à l’embauche en fonction de leur religion.

Qui plus est, contrairement à d’autres pays du Commonwealth, le Canada refuse de revoir la description des activités de bienfaisance qui donnent accès à des bénéfices fiscaux appréciables. Il préfère maintenir le flou actuel, en se basant sur une jurisprudence qui, elle, s’appuie sur une vieille loi anglaise adoptée en 1601. Ainsi « l’avancement des religions » est toujours reconnu comme activité de bienfaisance, ce qui comprend : le financement des prêches, les services offerts conformément aux dogmes et aux doctrines religieuses, les lieux de culte ainsi que les missions de propagation de la foi.

En 2004, Ottawa ajoute une exception religieuse au Code criminel pour offrir une défense aux personnes fomentant volontairement la haine dans des déclarations publiques, dans la mesure où leurs propos s’appuient sur un texte religieux auquel ils croient.

Le fédéral utilise aussi son privilège parlementaire à deux reprises, soit en 2019 et en 2022, pour passer outre au jugement de la Cour suprême de 2015 sur la neutralité religieuse de faits et d’apparence requise pour les représentants de l’État et pour maintenir la prière à la Chambre des communes.

Enfin, en 2021, le gouvernement octroie une exception religieuse quant à la vaccination obligatoire imposée aux personnes voyageant en avion et en train de même qu’aux fonctionnaires fédéraux.
 

Pendant ce temps au Québec…

La neutralité religieuse de l’État au Québec a pris son essor dans les années 1970, lors de la Révolution tranquille. L’une de ses premières réalisations fut la prise en charge de l’éducation par les autorités publiques et laïques via la création d’un ministère de l’Éducation. Il s’en est suivi, la déconfessionnalisation des commissions scolaires, via une modification constitutionnelle en 1997, et la refonte du curriculum scolaire québécois.

En 1976, l’Assemblée nationale du Québec remplace la prière par un moment de recueillement.

Toutefois, au début des années 2000, l’octroi d’accommodements consentis sur des bases culturelles ou religieuses crée un malaise. La Commission Bouchard-Taylor est ainsi créée en 2007 et recommande l’interdiction du port de signes religieux pour certains agents de l’État.

Depuis, sept projets de loi ont été déposés1 pour répondre à la volonté clairement exprimée par les Québécoises et les Québécois pour une société plus laïque, mais seuls les projets de loi 62 (visant notamment à encadrer des demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes) et de loi 21 ont été adoptés. Cette dernière loi interdit le port de signes religieux aux représentants de l’État en position d’autorité.

Enfin, les crucifix ont été retirés des palais de justice québécois et du Salon bleu de l’Assemblée nationale en 2019.
 

Enjeux actuels

Les parcours du Canada et du Québec semblent aux antipodes. Leurs visions s’entrechoquent et se retrouvent aujourd’hui devant les tribunaux via la contestation de la validité de la loi 21.

Parmi les éléments analysés par la Cour d’appel, notons le respect des lois préconfédératives et pré-Charte canadienne ainsi que l’architecture constitutionnelle (ou principes constitutionnels non écrits). Dans le premier cas, la loi 21 serait inconstitutionnelle attendu que la protection de la liberté de religion échapperait au régime prévu dans les chartes tandis que, dans le second cas, la protection des préceptes moraux et des valeurs sociales incomberait au gouvernement fédéral.

La décision de la Cour d’appel statuera donc sur la responsabilité de la protection de la liberté de religion au Canada.
 

Conclusion

Constitutionnaliste reconnu, Benoît Pelletier rappelle que même si une fédération a pour idéal le respect des particularités propres à chacun des États membres, les fédérations ont tendance à se centraliser, notamment par l’effet unificateur des tribunaux2.

Le Canada a clairement choisi de respecter la liberté de religion en intégrant les religions dans les affaires de l’État. Le Québec, quant à lui, s’appuie sur la séparation de la religion et de l’État, pour protéger la liberté de croire ou de ne pas croire des citoyens et des citoyennes.

La décision de la Cour d’appel prévue au cours des prochaines semaines enverra une indication quant à savoir si les positions, diamétralement opposées du Canada et du Québec en matière de neutralité religieuse de l’État, sont réconciliables ou pas.
 

1 Soit les projets de loi 94 (2010), 60 (2013), 398 (2013), 491 (2014), 492 (2013), 62 (2015) et 21 (2019).