La loi du plus riche

2023/02/01 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

Oxfam vient de publier un rapport intitulé La loi du plus riche - Pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités. On y lit : « Pour la première fois en 25 ans, la pauvreté gagne du terrain. Mais parallèlement, d’autres profitent de ces crises multiples. Les plus fortuné·es se sont considérablement enrichi·es, et les bénéfices des entreprises ont atteint des sommets, provoquant une explosion des inégalités. »

Les crises économiques ont tendance à accroître les inégalités, et tant la pandémie que la dernière année inflationniste y ont contribué. Normalement, le rôle de l’État est d’assurer le maintien d’un minimum d’égalité, mais il ne semble plus y arriver.

Le rapport d’Oxfam illustre la situation : « Depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses, soit près de deux fois plus que les 99 % les plus pauvres de la population mondiale. » Plus loin, il ajoute : « Au cours des dix dernières années, les 1 % les plus riches de l’humanité ont capté plus de la moitié de toutes les nouvelles richesses dans le monde. » Il s’agit donc d’une tendance qui s’est accélérée depuis la pandémie.
 

Le système est brisé

Les systèmes de taxation et de redistribution de la richesse des États ne fonctionnent plus. De manière générale, la fiscalité des fortunés et des grandes entreprises est trop laxiste, sans oublier leurs recours fréquents aux paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôt. Malgré leurs beaux discours, les chefs d’État en font trop peu pour freiner la tendance.

En ce qui concerne l’inflation, l’organisme calcule que « les profits des entreprises sont à l’origine d’au moins 50 % de l’inflation en Australie, aux États-Unis et en Europe, dans ce qui est autant une crise du coût de l’exigence du capital qu’une crise du coût de la vie ». Autrement dit, dans ces pays étudiés, au moins la moitié de la hausse des prix est allée directement grossir les profits des grandes entreprises.

Il aurait été intéressant d’avoir les calculs pour le Québec ou le Canada, mais on peut penser que c’est semblable. Ainsi, un récent article du Globe and Mail titrait: « Les bénéfices montent en flèche dans les plus grandes entreprises, malgré la hausse des taux et la pandémie. » Dans l’article, on peut lire: « Une étude du Globe and Mail sur les états financiers de plus de 200 sociétés cotées en bourse montre qu'au cours des neuf premiers mois de 2022, les revenus ont augmenté de 37 % et le bénéfice net de 40 %, comparé aux neuf premiers mois de 2019, la dernière année d'activité ‘‘normale’’ prépandémique. » Si l’ensemble des secteurs y gagnent, les premiers à en bénéficier sont les pétrolières et les minières, les chaînes d’épicerie et les banques.

Par exemple : « Le secteur énergétique, qui comprend les entreprises qui extraient du pétrole et du gaz du sol (mais pas les services publics, qui sont une catégorie distincte), a vu ses revenus augmenter de 77 % en 2022 par rapport à 2019, tandis que le bénéfice net a augmenté de 113 %, pour atteindre 53,2 milliards de dollars, pour les 37 entreprises du secteur. » Dans cette étude, le secteur bancaire, qui compte 28 entreprises incluant des compagnies d’assurance, a réalisé un bénéfice net de 67,9 milliards $, toujours pour les neuf premiers mois de 2022.

Dans le même sens, le Journal de Montréal titrait récemment : « Les profits des pétrolières et détaillants ont explosé ». Enfin, lorsque le gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem s’inquiète en affirmant que le mécanisme normal de la concurrence n’opère pas, c’est qu’il observe que dans de nombreux secteurs les hausses de coûts de production sont intégralement passées dans les prix de vente sans aucunement réduire les marges ou bénéfices.
 

Pour un impôt exceptionnel

Face à ces surprofits qui alimentent l’inflation, Oxfam suggère aux États de mettre en place une taxe sur les bénéfices exceptionnels des entreprises. Dans le même esprit, l’organisme appelle aussi à implanter un impôt exceptionnel de solidarité sur la fortune et taxer nettement plus les versements de dividendes.

De façon à mieux répartir la richesse, qui est trop fortement captée par les 1 % les plus riches, Oxfam propose un impôt sur le revenu et sur le capital d’au moins 60 % pour celles et ceux qui se retrouvent dans le club sélect du 1 %. L’étude suggère aussi un impôt sur la fortune des super-riches. Les recettes issues de ces prélèvements devraient servir à mieux financer les services publics qui permettent de réduire les inégalités, comme la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire et sans oublier la transition verte.

Évidemment, toute la pression politique des grandes entreprises et des mieux nantis auprès des chefs d’État est telle qu’il sera ardu de modifier leur cadre fiscal. Par exemple, la menace de déménager de pays est fréquemment utilisée. C’est pourquoi une concertation entre États est importante pour renverser le rapport de force. Trop souvent, les gouvernements se cachent justement derrière ce manque de concertation pour continuer à être trop complaisants.

Dans tous les cas, les données du rapport d’Oxfam parlent d’elles-mêmes et des modifications doivent être apportées à la fiscalité pour mieux répartir la richesse. Même chose pour les paradis fiscaux. L’étude estime que 10 % du PIB mondial échappe à l’impôt grâce à leur utilisation. En ce qui concerne les individus, ce seraient presque exclusivement les 0,01 % les plus riches qui s’en serviraient.

Malgré les engagements des pays de l’OCDE et les beaux discours, la lutte contre l’utilisation des paradis fiscaux avance trop lentement. Les stratagèmes d’évasion fiscale sont toujours améliorés et les États peinent à suivre le rythme. L’étude d’Oxfam illustre la situation : « Les Pandora Papers ont, par exemple, révélé comment l’élite mondiale évite désormais les paradis fiscaux qui font office de ‘‘usual suspects’’ (comme le Luxembourg, les îles Vierges britanniques ou le Panama) et se tourne de plus en plus vers des territoires offrant les mêmes avantages, mais considérés comme plus neutres comme le Dakota du Sud, le Nevada, le Delaware ou même l’Alaska aux États-Unis. Et ce n’est pas seulement de l’argent qui est amassé dans les paradis fiscaux. Les personnes fortunées y affluent également pour dissimuler des biens comme des maisons, des yachts et des œuvres d’art. »

Afin de mieux lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par les 0,01 %, Oxfam rappelle quatre pistes de solutions, à savoir la mise en place de registres publics des bénéficiaires effectifs; interdire les sociétés-écrans anonymes; la création d’un registre mondial des actifs et rendre l’échange automatique d’informations plus complet et plus efficace, et accessible à tous les pays.