Selon Radio-Canada, au Québec, pendant la COVID, les représentants de McKinsey ont « piloté des comités », « organisé des rencontres stratégiques » et « distribué des rôles sur des groupes de travail ». Aujourd’hui, le gouvernement veut créer une Agence Santé-Québec et des mini-hôpitaux privés, autoriser la télémédecine privée et annonce la tenue de forums de discussion. Ce sont des politiques mises en place par McKinsey en Grande-Bretagne, qui ont détruit le National Heath Service (NHS) britannique, comme le révèle le chapitre qui y est consacré dans le livre When McKinsey Comes to Town. The Hidden Influence of the World’s Most Powerful Consulting Firm (Doubleday), de Walt Bogdanich et Michael Forsythe est digne d’intérêt. McKinsey a la réputation de dupliquer ses «recettes gagnantes». Le Québec n’y échappe pas.
McKinsey comes to the NHS
Le National Health Service (NHS) britannique a servi de modèle à notre système de santé. Plus populaire que la reine, il faisait la fierté des Britanniques. Mais, au cours des dernières décennies, sous l’influence de McKinsey, il s’est graduellement privatisé et a ouvert la porte aux entreprises américaines.
Le cabinet McKinsey est présent en Grande-Bretagne depuis 1957. À l’époque, il a contribué à l’implantation du modèle de gestion américain dans les grandes entreprises (Shell, Rolls-Royce, Cadbury Schweppes, Unilever, Rio Tinto, etc.) et dans le secteur public (BBC, Atomic Energy Authority, Bank of England). Au début des années 1970, il a aidé à la restructuration de 25 des 100 entreprises les plus importantes du pays.
En 1972, McKinsey a été invité à réorganiser le NHS. Une intervention totalement inefficace, dont l’unique résultat a été la croissance de la bureaucratie. Les années 1980, les années Thatcher, ont été du pain bénit pour McKinsey avec la privatisation de l’acier, de la construction navale, de l’aviation, des télécommunications. Mais le NHS a été épargné, mais son tour allait venir.
Le gouvernement de John Major l’a pris pour cible. Il a voulu introduire la concurrence en permettant aux patients de choisir leurs médecins avec l’objectif déclaré de larguer les hôpitaux les moins performants. Mais la « magie » du marché n’a pas opéré. Pour surveiller les opérations, Major a mis en place une bureaucratie tentaculaire qui a perduré, si bien que les coûts administratifs du système ont explosé, passant de 5 % du budget en 1970 à 13 % en 2003. Major a aussi autorisé de confier la construction de nouveaux hôpitaux à des entreprises privées. Résultat : des projets qui devaient coûter 11,4 milliards de livres ont bondi à 80 milliards.
Sous Tony Blair, les hôpitaux ont été reconfigurés afin de pouvoir fonctionner sur le modèle des entreprises. Pour les avoir à l’oeil, un nouveau chien de garde a été créé, l’agence Monitor. À sa tête, en tant que responsable de la stratégie, on ne pouvait trouver mieux qu’un ancien employé de McKinsey. En fait, les consultants de McKinsey et les fonctionnaires gouvernementaux sont souvent interchangeables. (Rappelons que le gouvernement du Québec s’apprête à mettre sur pied l’Agence Santé-Québec.)
Coupures…
Lors de la crise financière de 2008, le gouvernement se tourne vers McKinsey pour des suggestions de compressions dans le budget du NHS. Le cabinet-conseil présente alors un PowerPoint de 123 diapositives (McKinsey aime les PowerPoint). Il propose des économies de 20 milliards de livres (32 milliards US$) en coupant 10 % de la main-d’œuvre, soit 14 000 emplois. Les autres employés sont incités à travailler plus fort. La firme a même calculé que 1,7 % du temps des médecins était perdu en pauses thé !
Mais l’essentiel réside dans l’imposition de contrats de « performance » pour une valeur de 400 millions de livres d’économies. McKinsey cible les « interventions de soins de santé de faible valeur ». Ainsi, en réduisant les hystérectomies de 70%, on économiserait 80,6 millions et un autre 118 millions avec une diminution de 30 % des opérations aux genoux.
Le PowerPoint proposait la firme américaine HMO Kaiser Permanente comme modèle à suivre en matière d’austérité, en omettant de dire que le coût de la gestion d’un hôpital en Grande-Bretagne équivalait au tiers de ce qu’il coûtait aux États-Unis.
En 2010, le gouvernement de David Cameron fait adopter une législation pour introduire plus de concurrence dans le NHS. McKinsey obtient un contrat de 300 000 livres pour conseiller l’agence Monitor. Plus tard, il obtiendra un contrat de 6 millions de livres pour une offre de services à l’équipe dirigeante de la NHS.
Un conseiller du gouvernement Cameron a proposé, en accord avec McKinsey, de réduire le personnel de 150 000 personnes en éliminant 32 000 lits et en minimisant les procédures pour des interventions comme les mastectomies. McKinsey a évalué à 20 milliards de livres les économies qui pourraient être réalisées par de telles mesures en 2014-2015.
… et privatisation
Le rapport de McKinsey proposait de confier aux médecins l’allocation de la plus grande partie du budget annuel de 100 milliards du NHS pour la gestion du système. La solution ultime, selon l’agence Monitor, dirigée par un ex-employé de McKinsey, était la privatisation.
Dans cette perspective, une solution mise de l’avant était que les entreprises privées puissent acheter des hôpitaux, particulièrement les moins performants. McKinsey avait même un acheteur potentiel, Helios, une chaîne d’hôpitaux privés allemande, dont une compagnie parente avait été un client de McKinsey. Craignant une réaction négative des employés, il a été décidé de ne privatiser que de 10 à 20 hôpitaux et seulement un à la fois.
En février 2021, McKinsey a présenté un plan, portant le logo NHS, pour revamper l’agence. (Le Sénat français a aussi constaté que McKinsey camouflait ses propositions en utilisant le logo du ministère de la Santé.) Avec des références à l’américaine HMO Kaiser Permanente, le plan suggérait, entre autres, d’aider « les patients à prendre eux-mêmes en charge leurs soins ». Par exemple, des maladies chroniques, comme le diabète, pouvaient être gérées par les patients « en partenariat avec des professionnels » de la santé au moyen d’appels téléphoniques plutôt que par des visites. (Au Québec, l’IRIS a révélé que le gouvernement Legault vient d’adopter en catimini un décret permettant la télémédecine privée.)
En 2012, le Health and Social Care Act, suivant la recommandation du rapport, confiait aux médecins la gestion des budgets des hôpitaux. Ces derniers n’ayant pas suffisamment de temps à y consacrer, un groupe de consultants, dont faisait partie McKinsey, a obtenu un contrat de 7,1 millions de livres pour « conseiller » les médecins. Le groupe comprenait également des compagnies américaines comme la UnitedHealth Group, qui figurait parmi les dix principaux clients de McKinsey. En 2014, un ancien vice-président directeur de UnitedHealth dirigeait le NHS en Angleterre. Aux États-Unis, il s’était opposé à l’Obamacare en disant que les États-Unis n’avaient pas besoin d’un NHS.
Sans surprise, les sommes versées au privé ont augmenté de façon vertigineuse. Sous le gouvernement de John Major, dans les années 1990, elles s’élevaient à 96 millions de livres; sous les travaillistes Blair et Brown à 8,4 milliards; après une nouvelle décennie de règne conservateur, elles atteignaient 14,4 milliards. On a calculé que l’argent versé aux agences de consultants aurait permis de payer le salaire de 35 infirmières ou de dix médecins par hôpital.
Lors de la COVID, Boris Johnson a confié à un ancien dirigeant de McKinsey la mise en place du programme de test et traçage. McKinsey a facturé 563 400 livres pour donner une « vision, un but et un narratif » à cette campagne. Le résultat a été désastreux. Par contre, la campagne de vaccination menée par le NHS, en toute autonomie, a été un franc succès. Et sans frais.
Aujourd’hui, le NHS est dans un tel état de délabrement qu’au mois de décembre dernier 100 000 infirmières étaient en grève. Une première dans les 106 ans d'histoire de leur syndicat.
Note
Pour un résumé du Rapport du Sénat français sur McKinsey : https://lautjournal.info/20230113/mckinsey-un-cabinet-de-bon-conseil
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