Pendant ce temps, dans la fonction publique fédérale...

2023/02/08 | Par Orian Dorais

Cela fait maintenant deux ans que je réalise des entrevues pour l'aut'journal et, depuis, j'ai couvert l'actualité syndicale dans la fonction publique québécoise en long, en large et en travers.  Cela dit, mea culpa, je ne me suis pas vraiment intéressé à ce qui se passait du côté des employés de l'État fédéral. Je tenais pour acquis que ces derniers avaient nécessairement des meilleures conditions que leurs collègues au provincial. Mais le désastre abyssal qu'a été le système de paie Phénix – dont la méprisable saga a débuté il y a douze ans – et la loi spéciale imposée, en 2018, aux facteurs de Postes Canada par le « gauchiste » Justin Trudeau représentent autant de preuves que tout n'est pas rose au fédéral. Au point où l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) va bientôt procéder à un vote de grève impliquant plusieurs dizaines de milliers de ses membres. Je m'entretiens à ce sujet avec Yvon Barrière, vice-président exécutif régional de l'AFPC-Québec.
 

Orian : En premier lieu, pourriez-vous nous parler un peu de l'AFPC et du vote de grève à venir ?

Yvon Barrière : L'AFPC est un syndicat pancanadien de la fonction publique qui représente 240 000 membres. Moi, je suis vice-président exécutif de l'AFPC-Québec, qui est affiliée à la FTQ et compte 44 000 syndiqués au Québec. Ça, c'est 23 000 fonctionnaires ou autres employés d'agences fédérales et, environ, 21 000 travailleurs du milieu universitaire, des aéroports, de la Commission des champs de bataille, etc. Pour ce qui est du vote de grève, au moment même où on se parle, 35 000 agents de l'Agence de Revenu du Canada (ARC) ont entamé un vote de grève qui va aller jusqu'au 7 avril. Et 120 000 autres membres vont être appelés à se prononcer à compter du 22 février, jusqu'au 19 avril. Un mandat fort enverrait un message aux élus.

O. : Quelles sont vos revendications ?

Y. B. : Je souligne que la plupart de nos membres sont sans contrat depuis juin 2021, donc depuis plus d'un an et demi. Et on préfèrerait ne pas se rendre à deux ans sans convention. Notre principal enjeu est le salaire, parce que le gouvernement offre 2,6 % d'augmentation par année, ce qui est très en deçà de l'inflation. On calcule qu'avec cette offre-là, nos membres perdraient entre 8 % et 10 % de leur pouvoir d'achat, dans les prochaines années, donc on part du principe très raisonnable que les gens ne devraient pas s'appauvrir en travaillant au public.

Avant, on disait souvent que les travailleurs fédéraux sont tous des gras durs, mais ce n'est plus vrai du tout. Je pense à nos hommes de métier – les marins de la garde côtière ou les peintres en bâtiment, massons et électriciens qui travaillent sur des édifices publics – qui font 14,8 % en bas de ce qu'ils pourraient faire au privé. Et, un enjeu qui frappe plus le personnel féminin, les adjointes administratives, qui sont en majorité des femmes, font entre 6% et 8% en dessous du prix du marché. Des travailleuses qui font environ 40 000 $ par année et sont moins payées qu'au privé, c'est très loin d'être des gras dur.

O. : C'est plus des conditions de « cheap labour ». De la part d'un gouvernement « féministe ». 

Y. B. : Voilà. Justement, on demande aussi à ce que le gouvernement n'utilise pas la sous-traitance, surtout pas à l'étranger ! Ça, c'est particulièrement absurde. Règle générale, on reproche au gouvernement de ne pas payer assez nos syndiqués, ce qui fait en sorte qu'il y a un exode vers le privé, ce qui risquerait d'affecter les services. Et je rappelle que ces services-là sont restés à un très bon niveau durant toute la pandémie, grâce au travail des employés.

Parlant de ça, on veut un droit à la déconnexion dans la convention. C'est pas normal que certains membres doivent répondre à des gestionnaires à toute heure du jour ou de la nuit. Après une certaine heure, il faudrait qu'on ne tente plus de rejoindre les travailleurs. Plus largement, on demande une meilleure conciliation famille-travail.

O. : Il y a quelques mois, je faisais une entrevue avec Philippe Desjardins, représentant les syndiqués de Revenu Québec. Il disait qu'un des grands avantages de travailler pour l'ARC ou pour d'autres organismes fédéraux, plutôt que pour Revenu-Québec, était que le fédéral permettait d'être 100 % en télétravail. Or, le gouvernement vient de jeter cet avantage par la fenêtre, en exigeant un retour au travail hybride...

Y. B. : Pour la plupart de nos membres, on veut négocier l'intégration du télétravail dans la convention. Présentement, c'est une politique administrée au bon vouloir des gestionnaires. On veut coucher ça sur papier et on n'est pas systématiquement contre le travail hybride, mais il faut des aménagements qui seraient « gagnant-gagnant » pour les travailleurs et le gouvernement. Sauf que la présidente du Conseil du Trésor – Mona Fortier – n'a pas vraiment proposé d'aménagements. Elle a exigé unilatéralement un retour au travail physique entre deux et trois jours par semaine. Si elle voulait nous aider à obtenir un mandat de grève, elle n'aurait pas pu faire mieux.

Pendant la pandémie, le gouvernement a engagé beaucoup de fonctionnaires qui habitent en régions. Comment ils font pour « rentrer au bureau » s'ils habitent à des centaines de kilomètres des grands centres ? En plus, le télétravail évite la propagation des virus, comme ceux de la « triple épidémie » de cet hiver, et diminue la pollution. Surtout, si on peut éviter le temps de transport, comme la traversée pénible du pont Gatineau-Ottawa, ce serait superbe. Et on s'entend qu'être à l'ordinateur à la maison ou au bureau, c'est pareil.

La fonction publique a prouvé, pendant la COVID, qu'elle travaillait aussi bien en télétravail. On a un peu l'impression que le gouvernement libéral a fléchi le genou devant les chambres de commerce de Montréal ou Ottawa, qui veulent qu'on retourne dans les centres-villes.

O. : On dit aussi que le système de paie Phénix fait encore des siennes...

Y. B. : Oui, le gouvernement ne paye pas assez et, en plus, il paye mal. C'est un stress constant pour nos collègues, que ce soit « leur tour » d'avoir une paie incomplète ou absente. On a recensé 40 000 nouveaux cas problématiques liés à Phénix. La situation s'est améliorée depuis les pires années, 2016 à 2018, mais c'était facile de faire mieux que ça.

O. : En terminant, êtes-vous confiant d'obtenir une bonne convention, si on va en grève ?

Y. B. : Oui. On sait déjà qu'il ne devrait pas y avoir de loi spéciale, parce que le Parti Libéral est minoritaire. Et aucun projet de loi antisyndical ne va être accepté par le NPD. Ni par le Bloc. Ce serait très surprenant que Trudeau demande l'aide de Pierre Poilièvre. En plus, le premier ministre avait critiqué Doug Ford pour ses lois forçant le retour au travail. Donc, il serait incohérent de faire au fédéral ce qu'il dénonce au provincial.