En décembre 1988, la Cour suprême du Canada, par l’arrêt Ford, invalide l’article de la Charte de la langue française sur l’affichage. La Cour statue que la notion de liberté d’expression comprend les messages commerciaux et que l’interdiction d’employer une autre langue que le français est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par les chartes.
Cependant, magnanime, la Cour considère comme justifié le fait d’exiger la présence du français dans la publicité commerciale et les raisons sociales. Elle affirme même que l’exigence de la nette prédominance du français serait juridiquement et constitutionnellement admissible.
Le Québec français se souleve d’un bloc contre ce jugement. Manifestations et assemblées se succédèrent. Les locaux d’Alliance Québec sont incendiés.
À cette occasion, le président d’Alliance Québec, Royal Orr, associe deux collaborateurs de l’aut’journal, Paul Rose et Hans Marotte, à cet incendie. Dans un texte connu sous le titre Qui ne dit mot consent, Royal Orr déclare : « Des menaces de violence, et maintenant un incendie criminel… Nous nous adressons à nos concitoyens de langue française : est-ce là le genre de société que vous voulez?... une société où… un nombre inquiétant de gens prennent pour modèles Paul Rose et Hans Marotte? »
Par la suite, Paul Rose et Hans Marotte ont intenté une poursuite de 900 000 $ contre Alliance Québec pour diffamation par insinuations et associations en vertu du code civil québécois et de la Charte québécoise des droits et libertés.
Rose et Marotte argumentent que l’organisme Alliance Québec « ne pouvait pas ne pas ignorer le tort qu’il pouvait et a effectivement causé aux demandeurs en les accusant de façon aussi insinueuse d’être à l’origine d’un prétendu climat lequel aurait été, aux yeux de l’organisme défendeur toujours, largement responsable de l’incendie ».
Leur avocat, Me Marc Poupart, avait rappelé que Paul Rose a « dument purgé sa sentence dans des termes et conditions au-delà de toute commune mesure de l’avis de plusieurs juristes » en rapport avec les événements d’Octobre 1970.
Quant à Hans Marotte, qui était dans l’attente de son procès pour avoir voulu faire respecter la Loi 101 sur l’affichage, il jugeait que les déclarations incendiaires d’Alliance Québec risquaient de constituer un outrage au tribunal « de nature à lui causer un préjudice irréparable en l’empêchant de pouvoir bénéficier d’un procès juste et équitable ».
Rappelons qu’en 1988, le jeune Hans Marotte avait acquis une notoriété instantanée dans les cercles nationalistes lorsqu’il avait enrubanné, au péril de sa vie, la Croix du Mont-Royal d’une immense bannière sur laquelle était écrit « loi 101».
Il faisait face à 80 chefs d’accusation pour cette action et d’autres actes en liens avec la défense de la langue française par le groupe Action Québec Français (bris de vitrines de commerces ne respectant pas la loi 101), ce qui le rendait passible de 40 ans d’emprisonnement.
Me Robert Lemieux et Me Pierre Cloutier, les avocats des felquistes de 1970, avaient dans un premier temps fait casser 40 chefs de complot. Finalement, Marotte fut reconnu coupable sous des chefs d’accusations mineurs de méfaits.
Les conséquences politiques de l’arrêt Ford
Revenons à l’arrêt Ford. Sous la pression populaire, le gouvernement Bourassa fait adopter en décembre 1988 la loi 178. En s’appuyant sur la clause dérogatoire, cette loi édicte que l’affichage, à l’extérieur des établissements, devait continuer de se faire uniquement en français, mais que l’affichage à l’intérieur des établissements pouvait se faire en français, ou à la fois en français et dans une autre langue, à condition que le français soit nettement prédominant.
La décision du gouvernement Bourassa d’invoquer la « clause nonobstant » soulève un tollé au Canada anglais et les commentateurs politiques lui attribuent une part de responsabilité dans l’échec de l’entente du Lac Meech en 1990. Les anglophones de Montréal mènent également une campagne internationale contre la loi 178 et s’adressent au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Aussi, cinq ans après l’adoption de la loi 178, soit à l’échéance de la clause dérogatoire, le même gouvernement Bourassa bat en retraite et décide de donner suite à l’arrêt Ford. La loi 86 modifie la Charte de la langue française pour permettre l’emploi d’une autre langue pourvu que le français soit nettement prédominant.
Le Parti Québécois capitule
Quand le Parti Québécois prend le pouvoir en 1994, son programme prévoit le retour à l’unilinguisme français dans l’affichage et l’extension des dispositions de la loi 101 aux cégeps, mais la décision est différée après la tenue du référendum de 1995.
Lorsque Lucien Bouchard remplace Jacques Parizeau, il s’empresse de rassurer la communauté anglophone, lors de son célèbre discours au Centaur en s’engageant à ne pas donner suite à ces deux promesses.
Au congrès du Parti Québécois de novembre 1996, Bouchard affronte les militants sur ces questions en affirmant qu’il ne pourrait se regarder dans le miroir s’il respectait leur volonté. Les militants lui rendent la monnaie de sa pièce avec un vote de confiance d’à peine 76,2 % et Bouchard menace de démissionner.
Pour contrer la grogne militante, Lucien Bouchard annonce la création d’États généraux sur la langue dont il confie la présidence à un homme de confiance, Gérald Larose, qu’il a associé à la création du Bloc Québécois alors qu’il était président de la CSN. Par la suite, les deux ont été les figures de proue de la tendance des « non-alignés » à la Commission Bélanger-Campeau, comme le rappelle Jean-François Lisée dans Le Tricheur.
En décembre 2000, pendant les travaux des États généraux sur la langue, le premier ministre Lucien Bouchard, par l’intermédiaire d’un article du journaliste Denis Lessard de La Presse, « précise » le mandat de la Commission Larose. « Statu quo au cégep et dans l’affichage », disait la manchette de La Presse. Le rapport de la Commission Larose proposera le statu quo sur ces deux questions.
C’est le même mandat que le premier ministre François Legault vient de donner au comité présidé par Jean-François Roberge : Statu quo au cégep et dans l’affichage.
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