Marionnettes en mode majeure

2023/02/15 | Par Olivier Dumas

Consacré à l’art de la marionnette, le Festival de Casteliers souffle ses 18 bougies. Tour d’horizon avec sa fondatrice et directrice artistique depuis ses débuts, Louise Lapointe.
 

« Jamais je ne les ai considérées (les marionnettes) comme une médiocre invention. Elles peuvent illustrer tous les mouvements de la vie, tous les appétits, toutes les passions », entendons-nous dans la pièce de théâtre La Compagnie des petites personnes, d’Isabelle Doré (publiée aux Éditions de la Pleine Lune). En parlant de la 18e édition du Festival de Casteliers du 1er au 5 mars, Louise Lapointe, partage un enthousiasme similaire pour un art « poétique et métaphorique » qui l’habite depuis toujours.  

Pour la « majorité » de cet événement, des créations de trois continents venant de pays comme le Québec, le Canada, la France, la Belgique, la Tchéquie ou encore Taiwan, laisseront, certes, de beaux souvenirs aux publics de tous âges. Car les figurines, entre autres, en bois, en carton, à fil, à gaine ou à tige des théâtres d’ombres ne s’adressent pas qu’aux enfants. De plus, comme l’a déjà soulignée son instigatrice, la marionnette constitue un «art millénaire toujours contemporain, en mesure de répondre à certaines de nos réponses existentielles».     

Avec son sourire contagieux, Louise Lapointe récolte la bonne humeur autour d’elle. L’an dernier, elle fut élevée au grade de chevalière de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française. En 2018, nous la voyions fabriquer des masques au Conservatoire d’art dramatique de Montréal (où elle a travaillé comme accessoiriste et technicienne de scène) dans le touchant documentaire Certains de mes amis, de Catherine Martin. 

Cette créatrice est la nièce de Jeanne Lapointe (1915-2006), première femme professeure de littérature à l’Université Laval, « l’une des artisanes de la Révolution tranquille qui a siégé à la Commission Parent », comme seule femme laïque parmi les commissaires. L’intellectuelle a fait des recommandations pour laïciser le système d’enseignement, en plus de défendre la mixité et l’accessibilité pour différentes classes sociales. « Elle a fait beaucoup pour la cause féministe », souligne avec ferveur sa nièce.  

Bercée dès l’enfance par les marionnettes qu’elle voit à la télévision, la future directrice artistique constate l’effervescente de cet art dans la société québécoise. En 1948, Micheline Legendre « fonde le Théâtre de marionnette de Montréal et, plus tard, le premier festival international lors de l’Expo 67. (Le Casteliers présente, par ailleurs, plus d’une centaine de marionnettes conçues par cette pionnière dans les vitrines des rues Van Horne, du Parc et Bernard du 17 février au 7 mars). Dans les années 1970, de nombreuses compagnies voient le jour comme le Théâtre de l’Œil, le Théâtre Sans Fil et le Théâtre de l’Avant-Pays (qui a cessé ses activités en 2019) ».  

Dans les années 1980, l’étudiante obtient d’abord un diplôme en arts visuels de l’Université Laval, avant de poursuivre son parcours académique en production et technique à l’Université Ryerson. Survient une rencontre déterminante avec l’un des pionniers de la marionnette contemporaine, Felix Mirbt (1931-2002), auprès de qui elle plonge véritablement dans le 11e art. Celui-ci « avait monté une production avec les finissantes et finissants de La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht avec comme accessoires des boîtes de carton et des manches à balais ». 

Par la suite, Louise Lapointe s’envole pour étudier à l’École nationale supérieure des arts de la marionnette à Charleville-Mézières en France au début de la décennie 1990. Dès son retour en sol québécois, elle s’implique activement à l’Association québécoise des marionnettistes. Son engagement lui permet de développer des liens avec des artistes d’ici et d’ailleurs, et de travailler à l’avancement de l’art de la marionnette, « ma grande passion qui réunit mon cheminement en arts visuels et en production ».  

Connu sous le nom des trois jours du Casteliers à sa fondation en 2005, le rendez-vous est devenu au fil des années l’un des plus inventifs de la métropole. Tant par son accessibilité pour toutes les générations que par la qualité des productions étrangères et québécoises, il constitue l’un des plus chaleureux qu’il m’ait été de fréquenter. En plus du festival international annuel, le diffuseur organise en parallèle une saison régulière conjuguant « des pratiques plus traditionnelles aux approches plus contemporaines ». 

Sa directrice artistique constate que cet art millénaire ne cesse de se renouveler, et surtout « de se décloisonner. De multiples facettes dans l’expression de la marionnette sont accentuées par les nouvelles technologies. Par ailleurs, une table ronde aura lieu autour des formes nouvelles influencées par les arts numériques et la robotique ».   

La présente édition propose en ouverture Ici ou (pas) là, du Collectif Label Brut de France, où le comédien Laurent Fraunié, sans une seule parole, exprime la peur de grandir à l’aide de mannequins, divers objets et projections vidéo. En grande première, une création du Théâtre Incliné de Laval, Seuils, conjugue de la planche à roulette, de la danse et des extraits textes de trois dramaturges féminines (Marie-Louise Bibish Mumbu, Julie Vincent et Marie-Hélène Larose-Truchon). De Belgique, le spectacle Simples machines interroge avec ses marionnettes robotisées la place grandissante (et parfois inquiétante) de la place de la robotisation dans nos vies et dans l’art créateur même.     

« Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est une parole qui agit », écrivait Paul Claudel dans Mes idées sur le théâtre à propos de la marionnette. Louise Lapointe reprend cette philosophie. « Ce sont nos doubles que nous voyons devant nos yeux et qui donnent du sens à notre vie. Par leur présence et leur humour, elles nous permettent d’en comprendre mieux les enjeux. Les ombres nous fascinent. »      
 

Pour la programmation du festival et de la saison 2022-2023 :
https://festival.casteliers.ca/
 et   https://casteliers.ca/saison-2022-2023/ 

Association québécoise des marionnettistes
Fondée en septembre 1981 par une trentaine de praticiennes et de praticiens du 11e art, l’Association québécoise des marionnettistes (AQM) vise la reconnaissance, le développement et le rayonnement de sa discipline par ses pairs et le public sur les scènes nationales et internationales. À l’initiative de l’AQM et du Casteliers, la Maison internationale des arts de la marionnette (MIAM) a été fondée à l’automne 2018. Développé par la communauté en plein cœur du quartier Outremont, ce centre de diffusion, de création, de formation et de médiation se consacre entièrement aux arts de la marionnette. Pour plus de plus amples informations :

https://aqm.ca/ et https://lamiam.ca/.  

Pour connaître les différentes compagnies ainsi que des praticiennes et praticiens du Québec, un site à découvrir : https://www.unimacanada.com/section-queacutebec.html