La désaffection de l’UQAM

2023/02/17 | Par Frédéric Lacroix

« Berri-UQAM : une désaffection qui saute aux yeux », titrait un article du Devoir du 11 février 2023. Le centre-ville de Montréal autour de l’UQAM est en effet de plus en plus visiblement décrépit. Cet article arrive après d’autres nous annonçant, par exemple, la fermeture d’institutions du quartier comme le St-Sulpice et Archambault. Sous nos yeux, c’est tout le « quartier latin », le quartier qui s’est épanoui et qui a grandi avec l’UQAM, qui est en train de partir en lambeaux.

Il est instructif de comparer subjectivement la dynamique qui règne autour de l’UQAM avec celle autour de Concordia pour constater qu’une toute autre « vibe » règne dans le quartier universitaire un peu plus à l’ouest. La question se pose : le déclin du quartier latin est-il lié au déclin de l’institution phare de ce quartier, c’est-à-dire l’UQAM?

L’UQAM et Concordia

C’est la commission Parent qui, au milieu des années soixante, a recommandé la fondation de deux nouvelles universités à Montréal, l’une française (l’UQAM) et l’autre anglaise (Concordia). Étonnamment, la Commission faisait cette recommandation alors que c’est pourtant du côté français, pas du côté anglais, qu’une explosion de la fréquentation universitaire était prévue : « Alors qu’en 1960-61, la proportion des garçons de langue française de 18 à 21 ans inscrits à l’université était inférieure à 10 %, nous prévoyons qu’elle augmentera très rapidement, comme elle a commencé à le faire, pour toucher son taux maximum de 17 % vers 1970. Le résultat en est que, dans les universités de langue française, le nombre d’étudiants aura presque triplé en moins de dix ans (de 1960 à 1968), quintuplé en quinze ans (de 1960 à 1976), et plus que sextuplé en vingt ans (de 1960 à 1981). »

Le gouvernement du Québec se sentait manifestement contraint de donner aux anglophones la même chose qu’il accordait aux francophones, et ce, même si les raisons rationnelles pour le faire étaient faibles. Ainsi, cette création de deux institutions quasi jumelles, l’une francophone et l’autre anglophone, presque au même moment, est l’illustration saisissante de l’empire de l’idéologie du « libre-choix » de la langue d’enseignement au postsecondaire, idéologie qui détermine depuis des décennies l’action du gouvernement québécois en ce domaine. Le même scénario s’est rejoué récemment avec la construction de deux mégahôpitaux universitaires, l’un francophone et l’autre anglophone, à Montréal.

Mais la marée montante du baby-boom annoncé par la Commission est aujourd’hui en reflux accéléré. Le poids démographique des francophones au Québec est en voie d’effondrement. Le recensement 2021 a montré que les francophones, langue maternelle, ne constituent plus que 46,5 % de la population de l’ile de Montréal (51,5 % selon la langue parlée le plus souvent à la maison), soit un déclin de 9,4 points en 30 ans (et 5,9 points pour la langue parlée à la maison). Et ce déclin de la proportion de francophones sur l’ile de Montréal, dans la région métropolitaine de Montréal et dans tout le Québec, va se poursuivre pour tout l’avenir prévisible.

Il est connu que ce sont surtout les francophones qui poursuivent leurs études postsecondaires en français tandis que les anglophones les font en anglais et que les allophones se divisent en deux blocs selon leur tropisme (« francotrope » ou « anglotrope »). On peut donc se poser la question à savoir comment évolue l’UQAM relativement à Concordia alors que le poids démographique relatif des francophones à Montréal est en train de s’écraser. Voyons, par exemple, ce qui se passe du côté des effectifs étudiants.

Un reflux accéléré

La figure 1 présente l’effectif global, étudiants temps plein et temps partiel, pour tous les cycles pour Concordia et l’UQAM sur la période 1995-2022.

Figure 1

On constate à la figure 1 que l’effectif global de l’UQAM est passé de 38 800 étudiants en 1995 à 35 250 en 2022, soit un déclin de 3 550 étudiants ou 9,15 %.

Sur la même période, l’effectif de Concordia est passé de 24 844 à 38 744, soit une augmentation de 13 900 étudiants ou 55,95 %.

On peut distinguer trois périodes distinctes sur la figure 1:

1)    Rattrapage : de 1995 à 2014, il y a eu un rattrapage graduel de Concordia sur l’UQAM. Alors que l’UQAM avait 13 956 étudiants de plus que Concordia en 1995, la différence entre les deux en 2014 n’était plus que de 6 835 étudiants.

2)    Déclin : A partir de 2014, l’effectif de l’UQAM entra en déclin rapide. La chute atteignit 18,2 % sur la période 2014-2022, soit 2,3 % de son effectif chaque année. Pendant ce temps, Concordia poursuivit sa montée de façon quasi constante jusqu’à 2020, sommet qui fut suivi d’une légère baisse de 2020 à 2022. Cette baisse de Concordia de 2020 à 2022 représente 868 étudiants, soit 2,2 % de l’effectif global. Cette baisse pourrait n’être qu’une fluctuation des effectifs résultant de la pandémie de COVID19.

3)    Déclassement : A partir de 2018, les effectifs à Concordia dépassèrent ceux de l’UQAM. La différence entre les deux universités, en faveur de Concordia, atteignit 3 494 étudiants en 2022.

La figure 1 démontre donc qu’au cours des vingt-sept dernières années, Concordia a déclassé l’UQAM en termes d’effectif global. Depuis 2014, les effectifs étudiants à l’UQAM sont en chute libre.

La désaffection du quartier autour de Berri-UQAM est un miroir de la désaffection qui règne à l’UQAM même. L’article du Devoir affirme que les « étudiants désertent les environs de l’université ». On ne saurait si bien dire.

Comme pour les cégeps, le « libre-choix » ou la concurrence entre les langues d’enseignement, dans un contexte de déclin du français, mène et mènera de plus en plus au déclassement des cégeps et des universités ayant le français comme langue d’enseignement.

Pour le Québec français, le libre-choix de la langue d’enseignement au postsecondaire est une politique suicidaire.